Je continue sur ma lancée car je ressens ce soir le besoin d'écrire... Ce deuil (j'emploie le mot, même si il n'a jamais signifié et ne signifiera jamais pour moi qu'il est possible (ni même souhaitable) un jour de "tourner la page"... je tente de continuer, avec lui).... ce deuil, donc, ne ressemble en rien à ce que j'aurais pu imaginer, à ce que j'espérais... Il échappe totalement au contrôle, au vouloir... J'espérais tellement, qu'au fil du temps, je le sentirai à nouveau présent à mes côtés. De manière plus forte, plus palpable... Pour le moment, il n'en est rien. Mes souvenirs s'estompent, mes repères se brouillent, chaque jour un peu plus...
Et je découvre que malgré tout, il est possible de continuer à vivre. Je découvre que même si tout ce qui était palpable, physique, humain... dans notre amour s'efface, il y aura bien quelque chose... la force du lien, de l'amour... qui demeurera. Qui ne me quittera plus... J'essaye d'apprendre, chaque jour, à accepter cette réalité sans amertume. A l'accueillir avec reconnaissance et non avec frustration... C'est dur. Tellement dur encore. Peut être parce qu'au delà de tout ce que nous partagions tous les deux, en terme de philosophie, de valeurs... Au delà même de cette énergie, de ce magnétisme, de cette magie entre nous, invisible à nos yeux mais bien palpable... il y avait aussi ce lien charnel, physique. Je ne parle pas uniquement de sexualité, je parle avant tout de cette tendresse. De toute cette communication non-verbale. De cette présence. De cette chaleur. De ces regards... Tandis que toute ma vie, mon cerveau? ma personnalité? mon caractère? m'ont poussé vers l'intellectualisation à outrance, l'analyse, l'abstraction... dans notre amour j'ai renoué avec cette part de moi méconnue ou oubliée. Cette capacité à aimer avec simplicité... Cette sensibilité à fleur de peau. Cet élan instinctif de donner de l'amour, à travers les gestes, les attentions... J'ai eu l'impression de renouer avec ma vraie nature. Celle qui se passe de mots... mon chéri me disait toujours à quel point il était touché, au plus profond de son être, par ma communication non-verbale. Et je sentais moi-même, que grâce à lui, quelque chose d'autre prenait parfois les commandes en moi... une spontanéité échappant au contrôle de mon mental.
Alors ce qui me manque aujourd'hui, c'est lui, bien sûr... tellement... et c'est aussi de ne plus pouvoir aimer ainsi. Ne plus pouvoir aimer comme je l'ai aimé. Ne plus pouvoir lui démontrer à lui, mon amour, de cette manière...
Je me retrouve rejetée dans ce registre de la pensée, de l'abstraction, de la recherche d'un sens... toutes ces questions qui stimulent ma capacité d'analyse, ma réflexion... Toute cette dimension cérébrale prédominante. Je ressens cette impossibilité de lui témoigner mon amour dans les gestes comme une amputation. Je suis un peintre sans pinceau, un pianiste sans instrument... J'ai du vocabulaire et je peux user des mots à outrance, mais ce que j'aimerais continuer à lui témoigner, où qu'il soit à présent, se passe de mots. Se trouve au delà des mots... et si je commençais tout juste à comprendre à ses côtés la possibilité d'exprimer certaines choses dans les gestes, il me faut aujourd'hui à nouveau redécouvrir une autre façon de lui exprimer mon amour...
J'ai ressenti parfois, depuis son décès, en de rares et si précieux instants de grâce, cet amour circuler en moi, entre lui et moi... partout... Ça m'est arrivé fréquemment, au cours de la première année, lorsqu'à une vague de souffrance extrême succédait... une sorte d'espace de vacuité... un instant suspendu... empli de sérénité, de douceur..... d'une chaleur presque palpable. Dans ces moments là, l'amour que je ressentais, de lui à moi et de moi à lui était presque... physique, charnel. Cela n'avait rien d'une projection mentale, d'une idée... C'est difficile à expliquer... Pour moi, ces instants sont révélateurs de la possibilité pour la conscience d'emprunter une voie se situant au delà du mental.... J'imagine que c'est ce genre de vécu que certains expérimentent dans la prière, la méditation... Enfin... je ne l'imagine pas. C'est ce que j'ai moi-même vécu, et je m'accroche à la réalité de ces quelques étincelles lumineuses... Ce sont des instants qui se situent hors du temps, ou tout prend son sens... qui sont très difficiles à décrire... Des instants que j'étais prête à accueillir probablement.... du moins.... je sens qu'ils n'étaient pas le fruit d'un pur hasard et que mon attitude les a quelque part, rendus possibles... et en même temps, paradoxalement, ces expériences n'étaient pas le fruit de ma volonté... Et aujourd'hui, c'est un paradoxe qui continue à me questionner..... La place de la volonté dans la "grâce"... Cet équilibre si subtil à trouver entre le fait de "se prendre en main", et de "lâcher prise"...
Aujourd'hui, les vagues de souffrance sont moins intenses, mais je garde au fond de moi la sensation d'une lutte permanente et les instants de sérénité emplis de notre amour( tels que ceux que j'ai décrits) se font rares. Et je me demande pourquoi... Je tente de résister à la tentation de me juger, de m'en vouloir pour ce revirement de situation... J'ai la sensation d'une brèche qui se referme, toujours plus, et je me demande s'il me faut accepter de la laisser se refermer... même si ça implique de plonger dans ce brouillard, dans cette absence de repères où tout est moins intense... la souffrance, mais le reste aussi.... ou si au contraire je dois m'employer à trouver un moyen de renouer avec cette intensité.... J'aimerais pouvoir vivre ces moments de sérénité, cette présence lumineuse dont je parle plus haut... sans avoir pour cela à passer par des moments de grande souffrance... J'aimerais vivre le calme après la tempête, sans la tempête...
Je ne sais si ce que j'écris aura du sens pour vous... J'ai la sensation que pour pouvoir continuer à avancer dans cette vie, il me faut suivre un fil tellement ténu, tellement subtil.... qui se faufile au milieu de tant de paradoxes...
Je me réjouis de ces quelques jours qui m'attendent au monastère... J'espère parvenir à ne pas trop projeter d'attentes sur cette expérience... J'ai également tenté de prendre contact avec un groupe de personnes qui s'intéressent à la voie du soufisme près de chez moi... Le soufisme est une branche de l'islam qui recèle d'une telle sagesse....
J'aimerais d'ailleurs partager avec vous ce poème que j'ai écrit... après avoir découvert l'histoire de cet amour extraordinaire entre le poète Rûmi et le derviche Shams de Tabriz... Mon chéri, c'était mon "Shams", mon soleil à moi.... Cette histoire est venue raisonner si fort en moi... J'ai écrit ce poème il y a bientôt deux mois... Peut être l'une des dernières fois où j'ai eu la chance, l'espace d'un instant, de le sentir si proche...
Merci d'accueillir mes paroles. Je vous embrasse, toutes et tous. Vos présences sur ce forum, et sur cette Terre, sont précieuses. N'en douter jamais.
Shams
Soleil de mes jours et de mes nuits, derviche qui s’ignore,
Placé sur ma route pour éclairer les tréfonds de mon être,
Tu m’as ouvert la voie, honoré ici-bas tous tes engagements, gravés dans le secret des étoiles,
Et je devine au plus profond de mes entrailles, à travers ce contrat qui nous lie, qu’il me reste à accomplir, ma part.
Porter ta voix dans la société des hommes, être du soleil le rayonnement.
Et cette Vérité nue, que je cherche à contempler, tout en détournant le regard,
Fait battre la chamade dans mon cœur, amoureux et terrifié.
Saurais-je un jour, assumer de devenir, ce que Rûmi fut pour Shams ?
Faire de toi ma muse, devenir le poète ?
Car le soleil ne peut briller, sans que ses rayons n’acceptent de se briser sur le sol,
Et ta lumière sans être tienne, à travers moi, continue d’implorer en silence :
« Laisse-toi me répandre… »
Où que tu sois désormais et au nom de l’Amour, je t’implore quant à moi de ne pas m’épargner, mais de me vaincre.
Brûle et révèle,
Apprends-moi à me consumer.