Amour, amour, mon amour...
Le temps passe... Je t'écris moins, je m'écris moins... je crois que parfois, je perds le goût d'écrire... Sans doutes parce que je réalise qu'aucun de mes mots ne te fait revenir. Sans doutes parce que, si l'écriture est un exutoire, l'absence de tes réponses en est le coût. Et c'est un coût si élevé...
Parfois je crois aller "mieux". Parce que je ne passe plus mes journées à pleurer, à lutter contre l'angoisse, paralysée, roulée en boule... Et puis, je réalise que ce "mieux", c'est un fragile équilibre entre l'oubli de moi-même et la somme de mes efforts: ceux que je fournis en attendant de te retrouver... Mais "te retrouver", dans mon esprit, c'est un mirage, une zone de flou, un lieu sans cesse recouvert d'une brume épaisse... "Te retrouver", ce n'est jamais bien loin, jamais dans bien longtemps... Mes efforts s'arrêtent à cet horizon fictif. Car au delà, ils seraient pulvérisés dans l'infini.
Je crois bien qu'aussi dingue que cela puisse paraitre, je ne peux me défaire de l'idée que je vais te retrouver. Un jour. Bientôt... Je ne sais pas bien quand... Simplement, il y a cette idée folle qui demeure au fond de moi. Ce rêve éveillé. Cette idée que tu pourrais encore revenir. Que je pourrais te rejoindre... Je ne pense pas au suicide, non... Ou juste comme ça... Comme une ombre qu'on ressent le besoin d'étreindre avant de la dissiper... Et pourtant elle est bien présente en moi, cette idée délirante... Que je pourrais te retrouver.
Je crois bien que c'est cette illusion, dont je peux dire qu'elle en est une sans pour autant parvenir à m'en défaire, qui rend possible les petits mieux... J'essaye de prendre de la hauteur, de m'observer, de comprendre ce que je fais... Je crois, sans en avoir conscience la plupart du temps, que je me prépare. Je fais des choses pour pouvoir te les expliquer, pour pouvoir les justifier auprès de toi. Je fais des choses pour que tu sois fier de moi à ton retour. Je fais des choses pour te plaire. Pour te plaire encore lorsque tu reviendras... Lorsque tu reviendras.
Tu ne reviendras pas. Je tente de comprendre. Tu ne reviendras pas. J'écris, je lis cette phrase, et je ne parviens pas à l'intégrer. Je ne peux pas. Je ne peux pas... Ça ne veut rien dire... Les mots glissent et ne s'impriment pas. J'ai parfois cette sensation que tout glisse... Tout... Tout glisse, tout m'échappe. Plus rien ne s'imprime.
Il y a un an, s'imprimaient les dernières images... Toi, moi... Il y a pile un an: en train de manger un fondant au chocolat sur une aire d'autoroute déserte, en pleine nuit, quelque part entre le Var et l'Alsace... Un voyage en autostop à l'improviste, pour faire une surprise à ma mère le jour de son anniversaire... On se trouvait fous. On se pensait invincibles.
Je te revois, en train de jeter des fleurs sur les pares brises des conducteurs, bloqués dans les bouchons, pour les faire sourire. Je t'entends rire de mes pitreries, savamment exécutées pour inciter les voitures à s'arrêter et nous amener jusqu'au prochain village, jusqu'à la prochaine sortie... Je me souviens de ta main, si chaude, si rassurante dans la nuit froide... Je me souviens de ces heures passées dans cette caravane avec ce sympathique Monsieur à l'accent Belge et son chien. Et puis la dernière ligne droite, après 26h de stop: ce chauffeur qui nous as offert cette énorme cigogne en peluche à notre arrivée en Alsace de bon matin... Cette peluche, elle est toujours là, chez mes parents... Elle me rappelle, parmi tant d'autres choses, que je n'ai pas rêvé. Que je ne t'ai pas rêvé. Que toutes ces choses là, nous les avons bien vécues ensemble, il y a un an à peine...
Que nous est-il arrivé mon amour? Que nous est-il arrivé... J'entends mes parents parler de cet anniversaire, l'an dernier. De leur surprise en nous voyant arriver, épuisés mais radieux... J'entends mon père dire à ma mère "tu te rends compte... on est bien peu de choses..."... Une tentative, maladroite, pour mettre des mots, sur sa propre incompréhension... Moi, il y a bien longtemps que je n'en ai plus, des mots, pour dire, pour exprimer, ce qui se terre dans ce trou béant... J'écris encore, un peu... je tâtonne... Mais dans la parole, il n'y a plus rien. Il n'y a plus de paroles. Tous les mots sonnent faux, creux dans ma bouche...
Je repense à nous, il y a un an à peine... et je ne sais ce qui me fait le plus peur... Ce brouillard irréel vers lequel j'avance, ou celui qui recouvre petit à petit les souvenirs des moments que nous avons partagés... Le passé et l'avenir sont comme deux mirages, qui s'éloignent de plus en plus lorsque je tente de les retenir, de m'en approcher. Reste le présent. Le présent. Cette offrande dont je ne sais que faire, qu'il m'est si difficile d'accepter sans toi à mes côtés...
Je tiens bon, pourtant. Car je ne sais pas faire autrement... Je tiens bon, pourtant. Tu le sais bien... Je tiens bon, car si le monde est irréel, ta mort l'est peut-être elle aussi... Je tiens bon, car je ne comprends rien, et que je n'aime pas ça. Je tiens bon, car je suis têtue. Je tiens bon, car je suis cassée, et que j'aimerais bien apprendre à réparer ce qui peut l'être. Je tiens bon, car je suis malade, et que j'aimerais bien guérir, un peu... pour te plaire encore. Te plaire à nouveau. Je tiens bon, car je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas...
Je t'aime. Tellement, tellement, tellement fort.