Je me lève, à 12h tous les jours... Parfois 11h30, pas avant... Je n'ai pas de travail. J'en recherchais avant... avant.... et puis maintenant, je n'ai pas la force... J'ai un diplôme dans le social... Pour le moment, je ne me sens pas capable... je ne me sens pas capable... d'écouter, de soutenir les gens... d'autre gens, parce que je n'ai pas l'énergie... Je ne peux pas... En tous cas pas comme ça. Pas maintenant. Pas encore. Pas pour un salaire. Pas dans une institution, auprès de gens qui voudront me voir forte, à qui je devrai rendre des comptes... Les rares personnes que je croise, en dehors de mes parents, et de quelques amis qui n'ont pas pris la fuite... me demandent: "alors, tu as des projets? Tu as trouvé du travail? " Et moi je m'en fous. Je m'en fous tellement. Pas de tout non. Je ne me fous pas de tout. Mais de ça, oui. De ce vernis de surface qui se craquelle. De mes apparats qui se délitent: je m'en fous. Tant mieux d'ailleurs. Qu'elle meure, cette peau de surface. Cette collection de masques. Je m'en fous. Éperdument.
Mais ça va bientôt faire 9 mois que je vis dans un monde sans matins. Parce que, j'ai peur de me réveiller tôt. Des journées trop longues, remplies de vide. D'absence. Des plages de temps trop longues dans lesquels mon cerveau pourrait projeter toutes mes angoisses, toutes mes peines... Mes journées, c'est manger, meubler mon après midi comme je peux, chercher l'oubli devant la télé... puis tenter de me souvenir de tout... de tout ce qui est "lui", "nous"... en allant marcher, seule, ou avec ma chienne.... Et puis dormir. D'un sommeil dans lequel je sombre assez facilement, en général, mais qui m'emporte vers des rêves agités dont je sors plus épuisée encore.
Cette semaine, mon historique de navigation est truffé de mots angoissants... Des recherches sur les troubles de l'anxiété, sur les maladies mentales. Car oui, en plus, je suis "malade". Enfin, ce que j'entends par là, c'est qu'un jour, un groupe de médecins en blouses blanches, très certainement merveilleusement bien dans leurs baskets et se considérant comme tout ce qu'il y a de plus normal ont décidé de créer des cases, en fonction de certains symptômes. Selon cette merveilleuse classification, certains, très rares, atterrissent dans la colonne "équilibrés", d'autres dans la colonne "barrés mais juste ce qu'il faut", et d'autres, moins chanceux, dans la colonne "malades". Moi je suis de ceux là.
Je souffre de troubles de l'anxiété. Une forme de ce qui s'appelait des "névroses obsessionnelles". Une part de moi cherche à me persuader que je suis ce que je ne suis pas, que j'ai envie de ce que je ne veux pas... et pour tenter de retrouver qui je suis réellement dans ce merdier, mon cerveau s'emballe et m'entraîne dans d'incessantes ruminations. S'en suivent des angoisses monstrueuses. Et puis il y a l'épuisement, la culpabilité terrible liée à ces pensées sur lesquelles je n'ai plus d'emprise. Qui m'entraînent là où je ne veux surtout pas aller.
J'avais dompté tout ça... Je croyais avoir dompté tout ça... Quand mon amour est parti, j'étais tellement sonnée, choquée... la souffrance est venue après. Pas très longtemps après. Oh non. A peine le temps de se dire "je vais morfler" et là voila. Mais pendant ce laps de temps, où la vague n'était pas encore là, où je la voyais approcher, j'ai eu le temps de me dire que je devrai être forte. Tout faire pour ne pas me laisser happer à nouveau par la "maladie". Au moins ça... Au moins ça... Je ne voulais pas que la maladie me vole ma vie, ma survie, sa mort... la souffrance de son absence...
Et aujourd'hui, je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi penser... Je me suis montrée forte... J'ai lutté. Lutté. Lutté. Mes phobies, mes angoisses n'ont pas repris la même emprise sur moi que par le passé. Je sais que j'ai déjà été plus loin sur le sentier de la folie... Mais malgré tout, je sens toutes ces faiblesses, tapies dans l'ombre comme des vautours. Alors comment garder espoir, par moment, quand on à la sensation que c'est sans issue? Que tôt ou tard, même si j'avance d'encore un mètre, de quelques centimètres... L'épuisement finira par l'emporter et tout ce merdier par me rattraper?
C'est triste... c'est glauque... Oui, sans doutes un peu. C'est vrai. Mais je ne veux pas qu'on me plaigne. Je refuse qu'on me plaigne. Je ne suis pas à plaindre. Ceux qui s'apitoient sur moi parce que "vue de l'extérieur", ma vie semble fichue. En miettes... Parce que mon amour est parti, si jeune. Parce que je suis retournée vivre chez mes parents à la campagne. Parce que je suis seule.... Parce que ma vie sociale, professionnelle a volé en éclats... Ceux qui s'apitoieraient sur moi s'ils savaient pour les troubles contre lesquels je lutte depuis l'adolescence... Tous ceux là... Leur attitude me met en rogne. Parce qu'ils ne voient que le résultat. Pas la lutte. Ils ont les yeux rivés sur l'arrivée. Ils ne voient pas le chemin, la course...
Je ne suis pas à plaindre. Parce que même si ma souffrance fait peur, elle ne m'a pas mise à genoux.
Je ne suis pas résignée. J'espère ne jamais l'être. Je ne suis pas résignée, et je ne détourne pas les yeux pour autant. A l'heure où toutes les enseignes, les magazines, les commerces... nous bombardent avec la recherche du bien être, la pensée positive.... je dis qu'il ne doit pas s'agir d'un prétexte pour fuir la souffrance. Eviter de la regarder en face... Le bien être, l'apaisement, l'épanouissement ne sont pas des injonctions. Elles ne peuvent être des injonctions. Elles sont l'objet d'une quête. D'un cheminement. Qui passe par la prise en compte de la souffrance. L'apprentissage de comment vivre malgré elle, avec elle.
Je suis tellement en colère par moments, lorsque je ressens, lorsque je lis parfois aussi dans vos commentaires, la pression que certains nous mettent pour qu'on aille mieux, qu'on se bouge, qu'on passe à autre chose. Je suis tellement en colère parfois lorsque je ressens, comme un reproche dans les regards, lorsque je montre ma souffrance. Parce que beaucoup préfèrent ne pas voir, ne pas savoir...
J'ai dépassé, ou du moins j'essaye, le stade de la colère dirigée contre des personnes en particulier, à cause de leurs maladresses... Je sais qu'elles ne comprennent pas. Qu'elles ne peuvent pas. Que j'étais comme elles souvent aussi. Que je le serai encore, malheureusement, peut être...
Mais ce contre quoi je demeure en colère, c'est le système, la société et ses rouages. Qui a fait germer en nous cette impossibilité de regarder en face la mort et la souffrance. Qui a condamné certains d'entre nous à la maladie, en nous rendant symptômes des dysfonctionnement d'une communauté. La société et son modèle perverti, axé sur la réussite, le mérite... sur tout ce qui brille. La société qui se moque des sentiments, des émotions.... et qui survalorise l'intellect, les mots savants, les esprits cartésiens... et qui pourtant repeint le monde en noir et blanc à coup d'amalgames, d'idées simplistes... dès que les intérêts de quelques uns sont menacés, ou dès qu'on tente de lui ouvrir les yeux sur ses propres névroses.
La souffrance liée au manque, à l'absence de mon amour, de mon chéri, de mon ange.... est immense. Impitoyable. Mais il ne saurait en être autrement. Et c'est une souffrance que je chéris. Que j'aurais tant aimé ne pas connaitre, mais puisqu'il ne saurait en être autrement: je la chéris. Je la chéris cette souffrance. Et si elle m'a ébranlée au plus profond de mon être, ce n'est pas elle qui sera responsable si je devais chuter un jour et ne plus me relever. Ça ne pourrait pas être cette souffrance, car il y a de "lui" dans sa mort, comme dans la vie qu'il a mené. Et rien de ce qui est "lui" ne peut me détruire...
Ce qui me détruit, ce qui pourrait me faire chuter: c'est tout ce qui en moi a été abîmé, déchiré, sali par une société, un monde qui n'aura pas su me préparer à faire face à la souffrance dans ce qu'elle a de plus pur. A la mort dans ce qu'elle a de plus implacable. Ce qui pourrait me faire chuter, c'est cette société qui, à travers tous ses fanatismes; religieux ou laïques, ne m'aura pas enseigné la confiance, dans les choses invisibles et pourtant essentielles comme l'amour, l'harmonie...
Je ne sais pas comment, je ne sais pas comment... pas vraiment, pas précisément, pas encore... mais j'espère tellement que j'arriverai à quitter le navire avant qu'il coule.
Parce qu'une chose est sure: lui, mon poète fantasque et fantastique, mon justicier solitaire, mon philosophe incompris, mon ange terrestre, mon amour, mon cœur, ma moitié... dans ce bateau là, il n'y est pas.