Le 14 avril, cela faisait un an... Un an. Et je ne peux exprimer avec des mots ce que ce "un an" signifie. Ce n'est pas quantifiable, mesurable... C'est à la fois "rien", et à la fois "énorme"... Un an qu'il n'est plus là... Non, ce n'est certainement pas "rien", c'est "énorme"... Le 14 avril, c'était "vendredi saint".... Et l'an dernier, tu es parti, à tout juste 33 ans, tandis que nous gravissions ensemble le Mont Faron... Je sais mon chéri, ton amour pour les symboles, les mystères... et pour les taquineries subtiles... Je t'imagine en train de rire, fier de cette énorme plaisanterie. Toi qui te montrait toujours si agacé, lorsque les gens te faisait remarquer ton petit "côté christique"... Tu es parti comme tu étais, dans un coup d'éclat, de théâtre... Dans un élan imprévisible... J'ai été en colère... Mon désarroi était énorme... Il l'est encore, parfois. Et puis parfois aussi, je ne peux m'empêcher de sourire... Comme lorsque j'ai découvert cette "coïncidence" du vendredi saint... De tes 33 ans... C'est comme si quelque part, tu étais parti dans un grand éclat de rire... Ça m'a fait repenser, à cette scène... lorsque nous marchions ensemble dans les rues de Toulon et que nous sommes tombés sur cette procession d'église... Des prêtres en rangs, chantant et fixant le sol d'un air morose... Et toi, avec ton espièglerie et ton impertinence, tu t'es mis à danser en faisant de grands moulinets avec tes bras et à hurler avec une joie provocante: "Alléluia mes frères!! Alléluia!" Mon grand fou. Comme je t'aime. Comme tu m'as agacé parfois. Et comme je t'aime.
Le 14 donc, je suis allée marcher à la Sainte Baume... J'ai réservé trois nuits au monastère... J'ai réussi à faire abstraction, des moments où le cadre d'église prenait le dessus sur le fond... mettant à nu l'orgueil des hommes qui pensent détenir la vérité. J'ai fait de belles rencontres... L'une d'elle, totalement improbable: le coup de cœur de S., dont elle me parle depuis si longtemps... Au milieu de cette foule, il a fallu que je tombe sur ce type, qui a ressenti le besoin de se confier à moi.... Tu n'imagineras jamais sa surprise, lorsque je lui ai demandé "tu ne connaitrais pas S. par hasard?", alors qu'il pensait se confier depuis plus d'une heure à une parfaite inconnue venue qui plus est de l'autre bout de la France... Enfin si, tu imagines sans doutes... Tu devais être là, près de nous, heureux de cette nouvelle plaisanterie, de ce nouveau tour de magie improbable... J'en ai parlé à S. bien sûr, par la suite. Et apparemment, cette rencontre providentielle a fortement ébranlé l'esprit cartésien de son ami... Tu as bien réussi ton coup. Bravo
!
Et puis, j'ai parlé à cette dame, d'une douceur incroyable... qui a fini par me confier que son mari était parti lui aussi, il y a trois ans... De belles rencontres, donc.
Le jour J, je me suis levée aux aurores pour arpenter cette forêt que tu aimais tant, que tu arpentes encore.... Du moins, mon cœur en est-il convaincu.... Et je t'ai senti. Partout. Partout. Tu me disais toujours à quel point tu trouvais cette forêt magique. Tu tentais toujours de me décrire ce qui se produisait en toi, au contact de cette nature si ancienne, si préservée... Cette vague de joie, de confiance qui s'emparait de toi. J'avais du mal à comprendre... Je tentais d'analyser, d'intégrer ce lien privilégié à la nature dont tu ne cessais de me parler, mais je ne le comprenais pas. Pas vraiment... Et je peux bien te le dire maintenant, souvent, j'étais à la fois curieuse, fascinée, mais aussi frustrée. Jalouse même.... De ne pouvoir te suivre totalement là où ta sensibilité exacerbée te portait...
Et bien le 14, je me suis sentie plus proche de toi que jamais, parce que j'ai compris je crois. J'ai compris vraiment.... Sous ces arbres, au cours de cette journée, j'ai senti toute appréhension me quitter, et je me suis sentie guidée... Et submergée, littéralement submergée par tant d'amour et de beauté.... Je me suis surprise à pleurer à grandes eaux, puis à rire comme une démente en criant "merci" au milieu de ces arbres... Nous n'étions que tous les deux, et cette nature... et peut être y avait il, un peu plus loin, hors de ma vue, quelque promeneur étonné, quelque observateur décontenancé par ces élans de folie... et bien je m'en fous. Tant mieux, tant pis... Je sais que toi, tu aurais regardé amoureusement cette percée victorieuse de la déraison à travers ce carcan raisonnable, moralisateur qui m'empêche de respirer.
Mon amour, cette joie que j'ai ressenti... je la note ici pour ne jamais l'oublier.... Car c'est étrange comme des sensations aussi fortes deviennent insaisissables, fugaces... lorsqu'on tente de les enfermer dans notre mental... Comme il est facile, de dénaturer un ressenti aussi authentique par des analyses empruntes de doute, d'anxiété et d'incrédulité...
Ce jour là, j'ai ressenti de la joie, une joie énorme. Et cette joie était la tienne. C'est cette sensation que j'ai eu, dans cette forêt où nous avons dispersé tes cendres... C'est cette sensation qui s'est imposé à moi, et il me faut admettre que cette sensation restera sensation... Qu'aucune preuve rationnelle ne pourra la rendre plus vraie, plus réelle que ce qu'elle a été en cet instant.
Et puis la veille de Pâques, après avoir regardé une derrière fois toutes ces magnifiques fleurs qui poussent désormais près de ton arbre, dans cette clairière où nous allions ensemble... j'ai pris le chemin du retour... Je suis arrivée en Alsace le samedi soir.
Le jour de Pâques, j'ai ressenti le besoin de me lever aux aurores, une fois encore, pour me joindre à ce rituel auquel je n'ai plus participé depuis des années... La vigile pascale... Un peu avant 6h, nous nous sommes assis dans l'église, pour chanter tout doucement, en attendant la lumière du jour... Puis nous nous sommes retrouvés autour d'un feu de camp, sur le parvis... Tu aurais aimé ça, je pense... Je ne crois plus à l'église en tant qu'institution depuis longtemps... mais ce jour là.... j'ai ressenti à nouveau, la chaleur discrète de la communauté se raviver en moi. Cette chaleur qui nait de l'amour et de la solidarité, qui peut jaillir n'importe où, n'importe quand, indépendamment des dogmes et des cultures qui tentent de la dominer... Je t'ai senti avec moi, là encore.... A ta place. Dans cette atmosphère aussi puissante qu'éphémère de réconciliation, d'accueil, d'acceptation...
Et puis nous avons pris le petit déjeuner, ensemble, et je me suis retrouvée face à ce Monsieur. Ce Monsieur d'un certain âge... Avec ses yeux bleus profonds. Comme les tiens... Et pendant un temps que je ne saurais déterminer, nous avons eu un échange sincère, authentique.... Comme si une bulle s'était formée autour de nous. Comme si l'information passait entre nous au delà des mots, sans entraves... Cette impression d'un voile qui l'espace d'un instant, s'est levé, déchiré... Comme lorsque tu m'avais emmené, l'été de notre rencontre, dans les Pyrénées, à la rencontre de tes amis... Des chercheurs de vérité, comme toi... Je me souviendrais toute ma vie de cet été... De ce cadeau que tu m'as fait, de ré-ouvrir une porte en moi... entre moi et les autres, entre moi et le monde.... Toutes les fois que je vis un moment de cette intensité, un moment de rencontre véritable... Tu es là. Plus que jamais. C'est à toi que je le dois. J'ai tant appris de toi. Aujourd'hui encore, j'apprends tant de toi.
Merci mon amour, mon ange. Je t'aime. Tu danses dans mon cœur.