Envie de parler de lui, de nous et de moi aussi... sans trop bien savoir par où commencer, quoi dire... Envie de trouver un moyen d'immortaliser notre histoire dans sa totalité. De créer quelque chose: un texte, une chanson, un tableau, un film... quelque chose qui contiendrait l'essence de "nous", son essence à lui surtout. Bien sûr je sais que c'est impossible. Ce que nous avons vécu, je ne pourrai jamais le recréer. Mais l'idée de distiller ce que nous avons partager pour en extraire un peu de beauté me maintient en vie je crois... Alors pour le moment, je consigne des bribes de pensées, de vécu ici. Ailleurs aussi, mais j'assume avoir besoin de ces regards, de ces réactions, de ces encouragements. Ceux que mon amour ne peut plus me témoigner aussi directement quand je me contente de lui parler dans le secret de mon cœur...
Hier j'ai souffert. Beaucoup. D'un coup. Un état de sidération, d'effondrement, de suffocation... d'un coup. Comme au premier jour. Et je vais sans aucun doute paraître masochiste si je confesse qu'entortillée dans mon désir de reprendre mon souffle et de retrouver un peu d'apaisement, il y avait un filet de joie: celle de retrouver l'intensité de la douleur liée à son absence. L'intensité du mal de lui. Et en même temps, la certitude douce-amère qu'il ne me quittera jamais. Que je ne pourrai pas l'oublier comme il m'est arrivé d'en avoir peur...
Et puis j'ai repris le contrôle... Cette faculté que j'ai de rebondir, de me ressaisir, que je maudits la plupart du temps mais avec laquelle je vais devoir apprendre à me réconcilier... Sombrer, mourir d'amour... quelque chose en moi y aspire désespérément et rage, trépigne que je sois encore debout alors que lui n'est plus là... Mais c'est ainsi. Les épreuves successives, celles d'avant aussi, m'ont fragilisée et paradoxalement rendue plus forte et je crois que je ne m'effondrerai pas... Ce que je retourne contre moi parfois en m'accusant d'insensibilité, ce sont aussi les armes qui m'aident à affronter le quotidien. Et je ne pense pas qu'il m'en veuille d'être encore debout. Je m'efforce même de croire qu'il s'en réjouit... Assumer ça, même timidement, même temporairement, c'est un progrès je crois...
Je suis allée à l'anniversaire de C... Il y avait du monde, je n'ai plus l'habitude. Elle était contente que je sois là je crois... Elle et les autres, ceux aussi qui ne savent pas quoi me dire, qui se montrent gênés en ma présence... Hier, je me suis sentie en paix face à eux. J'ai pu faire un pas de côté vis à vis de ma souffrance et voir la leur aussi sans la mépriser: celle d'être impuissants face à ce que je vis. J'ai parlé un peu de tout et de rien avec les uns et les autres... J'ai fait un peu semblant, comme toujours, mais ça va... Et puis quand ça n'allait plus, je suis partie. Et j'ai vu dans le regard des autres qu'ils lisaient la profondeur de ma tristesse dans mes yeux. Ça m'a fait du bien qu'ils le voient. De ressentir qu'ils l'avaient vu. Je n'ai pas eu à parler, à me forcer. Je n'ai pas cherché à donner le change. Un autre petit pas en avant pour moi je crois. Un petit pas que je note pour ne pas l'oublier.
Et aujourd'hui, cette envie, de noter quelques bribes de notre histoire... Comme ça, en vrac... Ce besoin de lui rendre le rôle titre dans ce que je vis, ce rôle que ma douleur liée à son absence s'accapare le plus souvent, le repoussant dans l'ombre... Autre paradoxe... Cette impression que dans ma souffrance, je pense à lui continuellement, sans y penser vraiment... Voilà, donc:
Je l'ai rencontré, par un heureux hasard que j'appellerai destin, sur les marches de l'opéra de Toulon... On a commencé à parler, comme ça... Sans raisons particulières... Attirés comme deux aimants (d'ailleurs, c'est drôle ce double-sens du mot "aimant")... Ce soir là, j'avais prévu d'aller au cinéma, voir "le grand Budapest Hôtel"... Je connaissais à peine son prénom, (celui, comme je l'ai appris plus tard, qu'il s'était choisi)... pourtant je l'ai invité. Nous y sommes allés ensemble... A ce moment là, je ne crois pas que j'étais amoureuse de lui. Je suis même certaine que je ne cherchais pas à le séduire... C'est ça le plus étrange.... Il me semble simplement que je ne pouvais pas faire autrement que de rester avec lui. Que je ne pouvais pas faire autrement que de le faire entrer dans ma vie, comme ça. Tout simplement. Après le cinéma, nous avons parlé. Longtemps... Petit à petit, je l'ai trouvé de plus en plus mystérieux et fantasque aussi... De plus en plus proche de moi et en même temps, totalement inaccessible... Cette impression de m'a jamais quitté par la suite... Il parlait totalement librement, de ses émotions les plus profondes et les plus intimes, de ses rêves, de ses croyances... Des expériences qu'il avait faites aussi, à la limite de ce que mon cerveau alors un peu trop cartésien était capable d'entendre sans les assimiler à de la "folie". Oui, je le trouvais un peu "fou"... Je me souviens m'être dit: "il est peut-être psychotique ou je ne sais quoi"... Je m'en veux à présent de toutes ces pensées, mais à l'époque je ne savais pas... Poser des étiquettes sur le monde et les gens devait me rassurer, même si bien sûr j'aurais été bien incapable de l'admettre... Et pourtant, malgré tous mes doutes, mes questionnements, comme il se faisait tard, je lui ai proposé de rester dormir chez moi. Je n'éprouvais toujours pas d'élan amoureux particulier envers lui. Pas de coup de foudre "à l'américaine"... Mais indéniablement, un coup de foudre d'un autre genre... Profond, inéluctable. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n'avais pas d'idée derrière la tête. Je ne saurais expliquer ce qui m'a dicté ma conduite, à ce moment là. C'est comme si quelque chose avait pris les commandes en moi. Tout s'est fait simplement, comme une évidence. Il est donc resté dormir, dans mon épouvantable petit studio. Nous sommes restés allongés, côté à côté, sans nous toucher, nous effleurant à peine de temps en temps... Et puis le lendemain, il est reparti...
Et puis le lendemain, ou le surlendemain je ne sais plus: je l'ai revu, sur la petite place en bas de chez moi, à la table d'un café. Il m'a fait un signe de la main et est venu me rejoindre. Habillé de toutes les couleurs, comme toujours. Il m'a rejoint, m'avouant qu'il passait par là dans l'espoir de me croiser. Il parlait fort, riait aux éclats... Moi je savourais sa présence, tout en me recroquevillant un peu sur ma chaise, honteuse de me sentir malgré moi touchée par les regards en biais des serveurs qui visiblement, passaient au crible ce drôle d'oiseau coloré et sa verveine menthe. Nous sommes restés ensemble, encore, longuement... Et puis les souvenirs et la chronologie se mélangent un peu dans ma tête... Je le revois, en bas de chez moi avec sa fille. Sa magnifique puce qui le rendait si fier et qui avait alors 9 ans. Sa fille, son trésor: si intelligente, si lumineuse. Je me revois découvrir son appartement de l'époque, ces tentures multicolores tendues au plafond: on se serait cru dans une tente berbère. Et partout des dessins de sa fille, de objets sans aucune valeur pécuniaire mais emprunts d'une valeur sentimentale bien plus grande: des fleurs séchées, des pierres, des morceaux d'écorce, des petites figurines, des instruments de musique... Et cette odeur, d'épices, de papier d’Arménie, d'eau de cologne... L'odeur de la vie, l'odeur du bonheur... gravée à jamais en moi... Et puis doucement, les choses ont évolué entre nous... Doucement pour moi et entre nous, car il voulait respecter mon rythme, et beaucoup plus soudainement pour lui. Il m'a très vite avoué qu'il m'aimait. Bien que dans son cas, le mot "avouer" ne convienne pas. Il n'avait rien à cacher, donc rien a avouer... Il n'y avait aucune distance entre ses pensées, ses émotions, ses paroles, ses actes... Il m'a dit qu'il m'aimait, avec des mots forts, enflammés... Il m'a dit qu'il m'aimait sans aucune gêne, sans aucune peur, sans aucune entrave... Il s'est livré, mis à nu, alors que nous nous connaissions à peine... J'ai eu peur. J'ai toujours eu peur... Même maintenant, si je n'y prends pas garde, je me sens comme "pressurisée" par la force de ses sentiments... Mais il y avait toujours cette force en moi, qui, en quelques sortes, savait. Qui a fait que j'ai plongé, que j'ai osé, que je suis restée au lieu de m'enfuir. Il m'est arrivé de me sentir perdue dans notre relation... Inquiète. Moi qui ai toujours revendiqué fièrement mon autonomie, mon indépendance. Moi la célibataire endurcie, j'ai perdu tout contrôle. J'ai eu peur d'être engloutie, de m'oublier... Aujourd'hui, je regarde notre histoire et certaines choses m'apparaissent dans toute leur évidence... Je trouvais parfois qu'il allait trop vite. Que les choses allaient trop vite entre nous... Je ne comprenais pas cette urgence. Cette urgence de vivre. Maintenant, comme je la comprends. C'est comme s'il savait. Comme si nous savions. (D'ailleurs, étrangement, je pense vraiment, aussi brutale qu'ait été sa mort, qu'une part de nous savait... Il a écrit un texte la veille de son départ incroyablement troublant. Quant à moi, je suis retombée sur un dessin que j'ai fait de lui, il y a environ un an (bien avant son départ) où je le représente, la main sur son coeur fissuré, mis à nu par un trou béant dans sa poitrine. Je ne me l'explique pas..). Cette urgence de vivre notre amour, donc, prends tout son sens aujourd'hui. Alors comme je lui suis reconnaissante de m'avoir brusquée un peu, secouée, sortie de mes repères... Et comme je suis heureuse de ne pas avoir succombé à mes peurs et d'avoir continué à marcher à ses côtés... Pas seulement par respect pour la force de ses sentiments à lui, mais parce qu'aujourd'hui, je comprends réellement l'intensité de ceux que moi-même j'éprouvais et éprouve plus que jamais pour lui... à travers cette absence, qui me révèle tant de choses... Parfois je me désespère devant l'absurdité de la vie. Maintenant que j'ai compris tout ça, pourquoi faut-il que nous soyons séparés? Et puis je repense à tous ces signes, toutes ces synchronicités, toutes ces choses qui nous ont amenés à nous rencontrer, à cheminer ensemble et je me raccroche à la conviction que nous nous retrouverons... Oui, d'une façon ou d'une autre, j'y crois... En attendant, je sens, je sais qu'il vit en moi. A travers moi. Son regard sur le monde, la vie, les gens... notre amour... tout, tout ça, est gravé en moi. Je souffre et souffrirai encore, je douterai de nouveau, je serai rattrapée par mes peurs... certainement surement. Mais la tempête peut bien ravager la surface, il y a un trésor qui repose, serein, protégé, en profondeur... <3 Merci mon amour. <3