La mort de Pierre m'oblige à trouver toute ma place en tant que sujet.
Elle m'oblige à me repositionner.
J'ai fait le choix de ne pas le rejoindre dans sa mort, j'ai fait le choix de la vie et de lui survivre, aussi j'ai désormais la responsabilité de vivre et de m'assumer pleinement.
Aujourd'hui, depuis cette épreuve et avec elle, depuis que j'ai été arrachée à mon homme que j'aime si intensément, je suis là seule face à moi-même. Je n'ai plus sa présence entourante, bienveillante et aimante pour me rassurer, m'aider, me réconforter. Je ne peux plus lui partager ni joies, ni peines, ni idées, ni réflexions Je deviens ma seule et principale interlocutrice. Je suis obligée de trouver en moi réponses aux interrogations qu'il m'aurait aidée à élucider.
Or étonnamment, je découvre que ce rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur me devient doux et porteur. Je me découvre, et de plonger dans mon puits intérieur m'oblige à trouver en moi, et en moi seule, les ressources pour affronter cette vie désormais sans lui. Et cette solitude, qui désormais est mienne, m'oblige et m'autorise à me redécouvrir et à me redéfinir.
Je dois me positionner en tant que sujet plein et entier face à tout ce qui s'impose à moi.
Je suis désormais seule dans l'éducation de ma fille, seule face à des décisions à prendre, face à des projets à entreprendre, toutes ces prises de position que jusqu'alors nous avions toujours menées à deux, m'échoient toutes entières.
Cette solitude m'impose une discipline de fer. De là vient aussi ce besoin, cette nécessité d'être seule et de n'accepter aucun dérivatif à mon nouvel état. Je suis devenue le cerbère de mon espace intérieur et je le défends bec et ongles. Je n'autorise aucun parasitage avec cette urgence de me trouver et de me redéfinir. Je sens que c'est en m'écoutant et en me secondant moi-même que je trouverai véritablement la voie pour lui survivre. Toute mon énergie se trouve mobilisée par cette urgence-là. Je délaisse pour l'heure tout ce qui ne participe pas à ce travail. Moi l'active, l'amoureuse des grands espaces, je me retrouve tous les jours devant ma feuille blanche à apprendre à me redessiner dans un dessein de survie mais d'exploration aussi. Le désert de son absence m'ouvre l'espace intérieur de mes ressources inexplorées jusqu'alors. Je veux être convaincue aujourd'hui que là se trouve la voie de l'apaisement pour moi.