Auteur Sujet: Le saut de l'ange...  (Lu 6490 fois)

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Hors ligne Coccie

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Le saut de l'ange...
« le: 22 août 2017 à 12:10:00 »
Mon deuil est tout récent mais pas moins traumatisant que tout ce que je peux lire ici... le 5 juillet mon compagnon est allé se jeter de la falaise d'Etretat. Il était malade depuis 2 mois (léger emphysème...) et a développé une terreur de la maladie et de la diminution physique que nous avons, moi la première, son généraliste, ses proches largement sous-évaluée.
Il s'était fait prescrire une kyrielle d'examens, tout était normal. Il y avait une angoisse ancienne de la diminution physique (son père est resté invalide 7 ans, placé en maison spécialisée après un AVC, privé de parole... il a été incapable d'aller le voir, et défendait son droit à l'aider à "partir"... il m'en avait aussi parlé pour lui-même, disant qu'il ne supporterait pas le handicap, les médicaments... j'avais, nous, avions minimisé ces propos), angoisse doublée d'un fond dépressif ancien.
Nous devions partir en vacances 10 jours plus tard, dans un lieu que nous aimions beaucoup, où nous retrouvions des amis, des copains, beaucoup de musiciens (nous sommes musiciens tous les 2 et avions travaillé un énorme répertoire... dont je me sens amputée depuis son départ : impossible de jouer, impossible d'écouter, toute musique me renvoie à lui).
La violence du choc a été terrible car j'ai reçu un message d'adieu au moment où il était déjà dans le train, sans précision sur sa situation géographique. J'ai alerté la police, qui l'a géolocalisé à Etretat après une attente interminable. Là, la police m'a dit : "ça sort de notre circonscription, il faut que vous appeliez la gendarmerie locale". "Pouvez vous me mettre en relation ? " - "Vous trouverez le numéro sur internet..." No comment.
La gendarmerie locale a envoyé une patrouille, c'était interminable. J'ai rappelé, on m'a dit que les falaises, c'était grand, qu'on le cherchait. Et puis un dernier appel. Je n'arrivais même pas à comprendre ses propos, le vent soufflait, je le faisais répéter. Il semblait alcoolisé, presque hilare... je disais tout ce qui me passait par la tête, pétrifiée par mon impuissance. Puis la patrouille est arrivée, il les a salués et a coupé la communication. Je suis allée me coucher un peu rassurée, mais très peu dormi. Au matin, toujours pas de nouvelles. Arrivée au travail, j'ai rappelé la gendarmerie, pleine d'espoir, et c'est là qu'on m'a asséné "La personne est passée à l'acte". Un parpaing sur la tête m'aurait fait moins d'effet. Je le croyais récupéré, sauvé, à l'hôpital... j'ai appris qu'à l'arrivée de la patrouille, à 20 mètres de lui, il a lâché le téléphone, la bouteille, et a sauté dans le vide. Au travail, m'attendait aussi un long mail explicatif, la maladie, le besoin quotidien de son pulvérisateur qui s'amplifiait... ses remerciements pour nos années et beaux moments partagés, sa demande de pardon, sa promesse d'être "toujours là"...
Des complications pour ses funérailles : pas de place dans le caveau familial auprès de son père, une place réservée pour la maman... il a fallu l'incinérer pour pouvoir le placer au même endroit. Je suis allée au Havre chercher l'urne avec ses frères, je l'ai ramenée sur mes genoux dans la voiture...
J'ai été bien entourée, famille, amis... oscillant d'un état de stupéfaction, de sidération... à des pleurs, la récupération d'une partie de ses affaires (nous ne vivions pas ensemble), le vidage de sa maison, la mise en place de tous ces objets auxquels je m'accroche, dans mon environnement. Sa guitare que je ne peux toucher. Ses écrits d'adolescence, ses paroles de chansons que j'ai lues les premiers jours mais que je ne peux plus rouvrir. Des centaines de photos sur mon fichier dur, résumant 9 années de souvenirs, que je ne peux regarder. Ses lunettes, son eau de toilette, des vêtements qu'il a souvent portés, des bibelots qui composaient son univers. De certains, je ne sais rien. Mais je les ai vus si souvent chez lui qu'ils ne pouvaient aller à quelqu'un d'autre.
J'ai vu un psy qui m'a mise sous anti dépresseurs. J'ai pu prendre des "vacances" en finissant, après 3 semaines par me "détendre" et "profiter" un peu d'un environnement sans rapport avec nous. Mais le retour parisien est atroce. J'ai repris le travail hier, complètement déphasée. L'avenir me semble un gouffre sans fond, à me demander si j'en ai vraiment un. J'ai encore un fils de 15 à charge, actuellement en vacances, qui rentrera bientôt, je sais que je devrai prendre sur moi pour l'accompagner et m'occuper de lui. Cela me semble impossible. Plus rien n'a de sens. Ma vie n'a plus aucun sens et je ne souhaite pas la poursuivre dans ces conditions car je doute de résister à cette douleur, même si j'ai été capable de "mettre des choses en place" pour faire mon deuil, comme, entre autres, m'inscrire sur ce forum !
Quand je lis tous ces témoignages, je finis de comprendre que ce sera long, très long... une amie touchée de près par plusieurs suicides, m'a dit qu'on n'est plus jamais la même "après". On apprend juste à vivre avec. Mission impossible au jour d'aujourd'hui. Pour quoi, pour qui ? Il a tout emporté, et avec lui, la musique, mon avenir, tout en me laissant l'énorme culpabilité de "n'avoir pas senti suffisamment", l'horreur et la violence du geste pour quelqu'un qui craignait la douleur et la souffrance (les images tournent en boucle, le soir au lit, le matin au réveil, et me terrifient...), de ne pas l'avoir appelé le matin de cette journée, où il s'est décidé brutalement (même si le geste était réfléchi et préparé depuis une semaine comme il me l'a écrit), après une Xième pulvérisation de son aérosol. Je le vois faire son sac, fermer à clé sa maison avec la certitude de n'y plus revenir, aller prendre tout seul son train à la Gare St Lazare, avec 1000 pensées, m'écrire par petit bouts, pour me poster le long message que j'ai trouvé au travail le lendemain, je suis sûre qu'il pleurait en l'écrivant car il était hypra sensible et très émotif, et ça me brise le cœur. Arriver sur place, prendre son car, marcher le long des falaises pour trouver "l'endroit idéal", et attendre le "bon moment" en regardant le coucher de soleil...
Et si je n'avais pas appelé la police ? Et si elle n'était pas arrivée au moment où je lui parlais ? J'aurais peut être pu le dissuader, le retenir... tout le monde me dit que non, mais je n'en suis pas sûre... malgré le fond dépressif, il aimait la vie, il l'a écrit. Et mon image, ma personne, ont toujours été pour lui une motivation à se reprendre, à retrouver de la gaieté.. je suis convaincue que si la police n'était pas arrivée à ce moment précis, il serait peut être encore là. Comme je suis convaincue que son généraliste, auquel il a demandé la veille un moyen d'en "finir rapidement", n'a pas évalué la détresse et l'a laissé repartir dans la nature sans garde-fou...
1000 et une questions qui resteront à jamais sans réponse...
Comment vivre avec ça ?
Je n'en ai pas la force, ni l'envie, ni le goût. Tout ce que j'aimais être, faire, a disparu. Plus rien n'a de sens. La douleur est insupportable. Celle de sa famille, sa mère de 88 ans aussi. Quelle injustice. Je suis sûre aussi que s'il avait évalué l'ampleur des "dégâts collatéraux", il se serait senti tellement coupable qu'il aurait reculé. Il avait horreur de faire de la peine, c'était quelqu'un de profondément gentil.
Merci de m'avoir lue. A défaut de m'avoir soulagée (je pleure), ça m'a fait du bien d'écrire.

Hors ligne qiguan

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #1 le: 22 août 2017 à 22:12:13 »
Je t'ai répondu là
Mais c'est bien d'avoir créé ton coin, ton fil 
http://forumdeuil.comemo.org/vivre-le-deuil-de-son-conjoint/bis-repetita/msg88433/#msg88433
"il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé" A. Einstein
"Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque" René Char

Hors ligne Pandor

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #2 le: 23 août 2017 à 05:11:28 »
Ton histoire m'a touché ( comme toutes ici d'ailleur ), comment faire pour aller de l'avant sans eux, sans but.

Ça fait bientôt 8 mois que je cherche la réponse, ça prendra du temps mais certains ici y sont arrivés alors pourquoi pas nous..

Dans tous les cas je te souhaite beaucoup de courage.

Je n'ai pour ma part pas encore réussi à dormir, car tout comme toi je suis hanté par ces images morbides, tout ça pour dire que tu n'es pas seule.

Affectueusement
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Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #3 le: 24 août 2017 à 10:47:44 »
Merci pour ta réponse...
Tout ce que je lis ici me renvoie à des états d'une confusion extrême que je constate chez tous. Le désespoir, l'incrédulité, la chape de plomb du réveil avec le retour à cette réalité, les images qui reviennent en boucle, les choses impossibles à faire, la terreur des prochaines "1ere fois sans lui, anniversaires, Noël, vacances, réunions avec amis...", l'impression d'être absente à la vie extérieure, d'être un zombie, d'être condamnée à vie à la douleur.
C'est terrifiant.
J'ai passé l'après midi d'hier avec sa mère, nous avons beaucoup pleuré toutes les 2, mais après la crise j'ai passé une soirée un peu apaisée. Ce contact avec elle m'est indispensable, prioritairement à quiconque, ce que ne comprends pas bien ma propre mère, un peu jalouse, à laquelle j'ai dû dire qu'elle ne pouvait pas comprendre...
L'agressivité, même anodine, avec les proches fait aussi partie du process, à ce que j'ai lu du livre du Dr Christophe Fauré : "Comment faire son deuil après le suicide d'un proche ?", acheté il y a 2 jours et très instructif.
Une phrase m'a frappée : "La personne qui s'est suicidée a mis fin à une douleur. Pour les autres, c'est le début de l'enfer".
Rien n'est moins vrai. Si cet enfer doit être vécu à perpétuité, autant en finir aussi. (Apparemment, les idées de mort sont fréquentes chez les proches, parents, conjoints... et font partie des phénomènes psychiques qui se déclenchent...)

Hors ligne Pandor

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #4 le: 25 août 2017 à 04:36:09 »
Oui, en effet, les chances de suicides augmentent drastiquement chez l'endeuillé, ça fait parti du processus.

C'est pour ça qu'il faut, si possible, être suivi par psychiatre et autre, toute aide est bonne à prendre.

Ce qui m'a apaisé un peu, c'est les recherches théologiques/spirites diverses, je te conseille d'y jeter un oeil, ça ne coûte pas grand chose et ça donne parfois un peu d'espoir.

Affectueusement.
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Hors ligne Régine

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #5 le: 25 août 2017 à 06:38:59 »
Bonjour d'abord je veux vous dire toute ma sympathie

Ce que,vous écrivez me touchent beaucoup aussi. Le deuil qui suit la perte d'un être cher est tellement personnel , chaque chemin est différent  selon les personnes. C'est un choc terrible , ce que vous vivez  et toutes les idées et les emotions intenses en témoignent.ça demande du temps absorbé une réalité pareille mais  c'est aussi  c'est ce qui nous permet d'y survivre .
je  comprends bien votre besoin d'être avec votre belle-mère,  et c'est important d'aller vers ce qui vous apporte un peu de réconfort et une bouffe d'air.
Ici, vous serez toujours accueillie dans toute les états d'âme qui vont survenir.

Même si..c'est très difficile..Prenez soin de vous !

Hors ligne Denpaolig

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #6 le: 25 août 2017 à 16:09:52 »
Bonjour Coccie,

Je viens de lire ton fil sur ce forum et je voulais t'envoyer par ces quelques mots un peu de chaleur dans l'horreur que tu vis. Je me suis posée les mêmes questions que toi pour savoir comment j'allais faire face à mes trois enfants que j'élève seule désormais depuis le suicide de leur papa il y a 4 mois. Et bien la réponse est là... Je puise ma force en eux car les voir sourire, rire depuis ce 24 avril est quelque chose de rare, de précieux et de si courte durée face à une culpabilité débile qui vient effacer leurs sourires, leurs rires... Alors, j'essaye de reprendre une routine certainement plus facile que la tienne puisque mon mari et moi ne vivions plus ensemble depuis 7 ans. Le quotidien a quelque chose de lourd parfois mais c'est aussi ce qui raccroche à la vie... Pas facile tous les jours (j'oscille entre travail et arrêt de travail car mon moral s'amuse de moi et joue au yo-yo) mais j'essaye quand mes enfants sont présents de faire les mêmes choses qu'avant pour leur maintenir leurs repères.
Une dernière chose, surtout ne culpabilise pas d'avoir appelé les secours. C'était la seule chose à faire. Si tu ne l'avais pas fait, tu aurais culpabilisé davantage et tu ne te serais jamais pardonné de ne pas avoir essayer de le sauver. Je crois, non je suis sûre, que les personnes décidées à passer à l'acte le feront quoi que l'entourage puisse mettre en place pour prévenir les passages à l'acte.

Et puis pleures, pleures autant que tu le veux (peux ?) car ça fait effectivement du bien, se vider de cette façon, ne pas garder en soir les émotions tristes, douloureuses...
Je me permets de t'embrasser bien fort et je reviendrais te lire...

Muriel.



Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #7 le: 25 août 2017 à 20:02:08 »
1000 mercis pour vos réponses qui me sont déjà d'un grand soutien... J'ai lu en 2 j "Après le suicide d'un proche", du docteur Christophe Fauré, j'y trouve l'écho de toutes ces émotions traumatisantes, si fortes et si douloureuses, et j'essaie d'intégrer la durée, si longue à priori, de l'acceptation, de la restructuration...
Le sentiment d'injustice est bien présent aussi, pour moi qui ai eu un parcours de vie difficile, pour lui qui a tant souffert qu'il n'a pas pu trouver d'autre solution pour que cela cesse.
Recherches spirites, oui, j'explore aussi de ce côté, tout est bon à prendre quand on est aussi perdu...
Nous ne vivions pas ensemble, et sa maison a dû être relouée... Difficile d'imaginer des inconnus dans "nos" murs, qui ne sauront rien de notre histoire, de SA triste histoire...
Je lui écris aussi, ça m'autorise à maintenir un lien avec lui, comme s'il me lisait...
Terribles aussi les dégâts collatéraux, qui vont bien au delà du cercle des proches.
Une agréable surprise au travail, repris ce lundi, avec une collègue qui a vécu la souffrance d'une famille endeuillée par le suicide du frère de son ex compagnon...elle savait ce que je ressentais, elle a eu des mots qui m'ont apaisée un peu... Le malheur est partout, on n'en a souvent aucune idée et on se fait parfois une opinion erronée sur des gens que l'on croise tous les jours...
Certains d'entre vous participent ils à des groupes de paroles pour personnes concernées par le suicide sur Paris ?
Bien à vous tous

Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #8 le: 04 septembre 2017 à 10:55:34 »
Aujourd'hui, près de 2 mois après le suicide de mon compagnon, je sens un léger "mieux"... je ne pleure plus ou peu, (pour l'instant !) et même si l'absence est toujours béante, et l'avenir un puits sans fond avec tant de choses à "reconstruire" ou même à imaginer, je me sens un tout petit peu moins plombée... les médicaments doivent faire leur effet, le suivi psy je ne sais pas (du mal à évaluer...), les lectures tournant autour du suicide permettant de se sentir moins seule dans sa douleur si particulière.
J'ai repris le travail et malgré mes réticences, c'était une bonne chose. Mon esprit est occupé quelques heures dans la journée. Mon fils est rentré de vacances, c'est la rentrée, il a 15 ans. Nous avons un peu évoqué le sujet car je souhaitais lui montrer que je faisais face. Mon compagnon n'était pas son papa, mais il était dans sa vie depuis près de 10 ans, même ponctuellement. Mon fils s'exprime très peu, j'ai provoqué la discussion, lui ai expliqué le mode opératoire de cette disparition, qu'il ignorait. Lui ai expliqué que je lisais bcp, que je voyais un psy, que ce serait long et qu'il me fallait apprendre à vivre avec "ça" pour le restant de mes jours. Et puis on est passé à autre chose, il m'a raconté ses vacances, et l'échange était joyeux.
Parfois, depuis cette 1ere semaine moins accablée, je culpabilise, j'ai l'impression "d'oublier". Mais je sais que cette culpabilité fait aussi partie de ces nouveaux fonctionnements qui se mettent en place. Non, je n'oublie pas, il est toujours là dans mon esprit, dans mes pensées, il m'accompagne partout. Ses photos sont chez moi, quelques vêtements dans un coffre sous mon lit, sa guitare, des objets que j'ai récupérés chez lui ont pris place au milieu des miens. Je suis dans la phase de "recherche" caractéristique du deuil. J'ai besoin de garder "le lien" avec lui par ces présences matérielles, (et immatérielles aussi, c'est vrai, je lui parle, j'ai parfois l'impression de le voir, ou qu'il me répond d'une façon ou d'une autre). A côté, je sais aussi que j'ai le droit de sourire, de rire, même si le retour à la réalité, quelques secondes ou minutes après,  m'amène à cette culpabilité d'avoir oublié quelques instants. Les souvenirs communs continuent de se bousculer mais je lutte pour ne pas trop m'y attarder. Le chemin sera long jusqu'à pouvoir les affronter sereinement. J'évite de penser à sa maison, désormais relouée et occupée par des inconnus, aux magnifiques moments que nous y avons passés, à regarder le jardin, prendre le soleil dans une chaise longue, regarder des films le soir sous une même couverture, la musique que nous y avons faite ensemble. La musique, je ne peux plus l'écouter. Il était guitariste, je suis pianiste, nous chantions ensemble et avions monté un important répertoire de reprises des années 60/70 que nous chantions à 2 voix. Je coupe la radio souvent, car la moindre chanson évoque inexorablement quelque chose de notre histoire musicale. Tout ceci est trop douloureux. J'ai perdu mon amour, j'ai aussi perdu mon partenaire musical, et toutes nos connexions artistiques, toutes ces chansons qui signifiaient tant pour nous, et nous renvoyaient à notre jeunesse. C'est un double deuil, voire un triple, celui de l'amour, de la musique partagée, de la jeunesse qui était "revenue" par ce biais....
J'essaie de relancer un projet "d'avant" : une nouvelle formation pour faire autre chose une fois la retraite arrivée (3 à 5 ans), quitter Paris, rejoindre, peut-être un éco-lieu avec des personnes de mêmes "sensibilités", partageant les mêmes valeurs... j'essaie de réagir. C'est un long chemin, j'en ai conscience, très difficile, loin d'être gagné. J'ai reçu 3 de nos amis communs hier, c'était la première fois depuis sa mort. On a parlé de lui, des circonstances, de beaucoup de choses, et puis on a réussi à parler d'autre chose autour de la table, et même à rire. Le soir, c'était moins lourd aussi, même si la nostalgie était là. Sa photo était sur le buffet, il était parmi nous quand même... il me manque énormément, je voudrais me blottir contre lui et que tout ça ne soit qu'un cauchemar, mais je suis consciente que la réalité, c'est la vie sans lui, ou avec lui, "autrement"... j'ai été tentée de le rejoindre (étape classique du deuil par suicide), j'y pense encore mais je ne l'envisage plus de façon aussi abrupte : je me dis que moi aussi, j'ai ce choix là, si un jour je pense "avoir fait le tour de la question", ne plus trouver d'intérêt particulier à ma vie, si je n'arrive pas à reconstruire quelque chose qui vaille la peine ou ait du sens. Mais j'y pense de façon très sereine, et pas comme un besoin ou une nécessité absolue.
Tout ça pour dire que je continue de lire ici l'expression de la souffrance, que nous sommes tous connectés par un même chagrin immense, et que j'ai quand même envie de transmettre ce message, titre d'un roman, même s'il semble absurde à nombre d'entre nous, moi comprise : "La vie renaîtra de la nuit". Je vous embrasse tous.
« Modifié: 04 septembre 2017 à 11:00:49 par Coccie »

Hors ligne qiguan

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #9 le: 05 septembre 2017 à 17:30:07 »
oui
 "La vie renaîtra de la nuit"
vu de où je suis dans mon deuil
je te dis tu es sur le "bon" chemin, cheminement même si bien sûr cela sera chaotique et non linéaire tec .
Là tu arrives à plein de choses, souviens t'en quand tu seras dans les phases plus creuses ... qui viendront avec les cycles du deuil.
Lis ici
écris
et permets que je te dise ton fils a une merveilleuse maman qui lui montre la Vie !
je te serre fort
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Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #10 le: 07 septembre 2017 à 14:52:33 »
Bon ben voilà, il y a 2 jours, ça allait mieux.. depuis hier... plus du tout.
Plombée par la date "anniversaire"  : 2 mois hier que ma vie a explosé...
Un coup de blues bien normal je pense, et qui se reproduira de nombreuses fois, tous les 5 (jour du "geste"), et 6  (jour où j'ai eu l'info par la gendarmerie...)
Hier j'étais chez sa maman... on n'avait pas grand chose à se dire, je me suis sentie un poids pour elle ce jour là, elle était fatiguée, moi aussi (j'ai fait une heure 15 de trajet pour y aller, autant pour rentrer...), après avoir déjeuné et regardé des albums photos, j'ai pris mon courage à deux mains pour repartir de cette banlieue triste à pleurer...
Mon fils de 15 ans reprend ses aises  : rentré à 20h15 alors que je lui demande d'être là vers 19h30 pour le dîner (il était sorti du lycée à midi !) - me répond que c'est un horaire "normal"... n'a toujours pas rangé ni sa chambre ni son bureau qui sont dans un désordre indescriptible alors qu'il vient de rentrer en cours... toujours pas constitué sa trousse de rentrée, toujours pas vidé sa poubelle (depuis avant les vacances !), toujours pas récupéré un vêtement neuf "oublié" chez un copain...  et me prend de haut...
J'ai fini par m'isoler pour pleurer dans la salle de bains ! Me disant que je n'aurai jamais le courage de gérer mon deuil, et de me battre au quotidien pour faire respecter quelques règles basiques à la maison, me faire respecter (je suis seule avec lui, je précise...)
Bref, une journée vraiment "sans", qui impacte celle d'aujourd'hui aussi, et toute la perspective de la fin de semaine...
Cela passera... ou pas....
Hier mon compagnon m'a manqué terriblement. En pleurant dans la salle de bains, je lui parlais "Ah, si seulement tu étais là...."

Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #11 le: 02 octobre 2017 à 16:58:10 »
Déjà un mois que je n'ai pas écrit ici... pour tenir, je mets des choses en route : un projet de formation, notamment, la recherche d'un éco-lieu pour ma vie future...  je suis bien consciente que je mets un emplâtre sur une jambe de bois,  que je mets un masque pour ne pas sombrer. Après quelques jours intellectuellement bien occupée, je me suis retrouvée devant un nouveau WE à "meubler", ce que j'ai toujours su très bien faire car les idées ne manquent jamais...  pour la première fois depuis 3 mois, je me suis remise au piano, quelque chose de nouveau pour ne pas pleurer sur notre répertoire commun... il était dans mon dos (enfin, sa photo...), je jouais pour lui. J'ai bien travaillé, 3h en tout, bien avancé. Mais quelle tristesse après. Je n'aurais voulu qu'une chose : qu'il soit là pour m'écouter. Il aurait été enthousiaste, aurait sauté sur sa guitare pour m'accompagner. On aurait eu ce moment de partage unique, qui n'appartenait qu'à nous, autour de la musique. Qu'est ce qu'on s'éclatait avec ça. Notre complicité était unique, car en tant que musiciens, nous avions les mêmes réflexes.
Il n'était pas là. Et je pleurais. Pourquoi, pour qui jouer maintenant. Il a emporté une partie de la musicienne, notre musique commune, ma jeunesse, en plus de sa personne.
Tout m'est douleur : le triste temps de Toussaint de ce dimanche, le soleil qui revient à l'instant sur Paris. Parce qu'il en est privé, il ne peut plus profiter de ces petites, toutes petites joies de la vie. On ne peut plus s'aider mutuellement à supporter le moins joli, dans le partage de nos sensibilités. c'est insupportable.
Je réclame le droit, moi aussi, à choisir le moment de partir, quand j'estimerai "avoir fait le tour" de mes possibilités et de mes envies. Si rien de ce qui peut être devant ne trouve grâce, ne génère un petit élan vital, si je sens que tout est derrière et que je n'ai plus rien à attendre (et plus envie d'attendre quoique ce soit), je voudrais moi aussi, mettre un terme à ce parcours que j'estimerai suffisant. Mais aurai-je son courage ?

Hors ligne qiguan

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #12 le: 02 octobre 2017 à 22:02:04 »
la lecture de ce que j'ai nommé dans table des matières comme
un livre utile
http://abrideabattue.blogspot.fr/2012/04/jai-reussi-rester-en-vie-de-joyce-carol.html
voir
http://deuil.comemo.org/deuil-suicide-chagrin

https://www.youtube.com/watch?v=oBesFh2U00Y aussi
peuvent accompagner ton chagrin légitime
affectueusement
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Hors ligne Coccie

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #13 le: 31 octobre 2017 à 13:14:26 »
Les larmes m'ont cueillie ce matin, lors de mon trajet de bus pour aller au travail.
On me trouvait "mieux", et c'est vrai, depuis quelque temps, je me sentais un tout petit peu moins plombée. Je me rends compte que tout ce que je mets en route, entreprends, assure au quotidien, est une façade qui camoufle l'état de désespoir intérieur. Je suis déçue, les amis sont retournés à leurs occupations et leur vie, ce qui est bien légitime, ceux qui partagent avec moi ce deuil gardent une certaine distance comme s'ils voulaient se protéger, et ne peuvent donc entendre mon ressenti alors que mon premier réflexe serait de me tourner vers ceux qui l'ont aimé et bien connu...
Je reste seule avec cette souffrance, qui intervient à l'improviste et me serre brutalement le cœur, c'est physique.
Aujourd'hui je suis en colère après lui, qui m'a laissée avec "ça" pour le restant de mes jours, sans imaginer le marasme que sa disparition violente entraînerait derrière elle. Je suis en colère, et il est la seule personne vers qui je voudrais me réfugier. J'ai perdu mon amour, mon ami, mon complice, ma jeunesse, notre musique. Ne pas avoir de réponse au "pourquoi" d'une telle injustice, d'une accumulation d'épreuves dans ma vie, me rend amère et encore plus en colère.  Parfois, je n'ai plus envie de continuer, je me verrais bien en finir moi aussi, pour d'une part le rejoindre, et d'autre part pour arrêter de souffrir, ne plus rester devant ce vide abyssal, sans plus d'envie pour l'avenir. C'est dur, dur dur....

Hors ligne qiguan

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Re : Le saut de l'ange...
« Réponse #14 le: 31 octobre 2017 à 18:56:22 »
oui c'est DUR DUR et longtemps ...
tes constats seront et ont été ceux de beaucoup ici sur notre condition de perte du conjoint ...
Citer
Je me rends compte que tout ce que je mets en route, entreprends, assure au quotidien, est une façade qui camoufle l'état de désespoir intérieur.
cela aussi est, sera et a été très partagé
il n'y a pas de recette ...
si tu lis
http://forumdeuil.comemo.org/apres-le-suicide-dun-proche/pourquoi-c'est-si-douloureux/
tu verras un parcours ... avec un deuil proche du tien ...
ça ne te consolera pas
mais tu sauras qu'une y a survécu malgré tout
savoir que d'autres ont survécu moi m'a aidé (même si mon deuil était pour une part différente)
affectueusement
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