Bonjour Numis,
je ne sais pas si je pourrai trouver les mots pour t'aider avec cette saleté de culpabilité qui s'accroche à nous quand tout bascule... Elle s'accroche pour moi aussi depuis des mois et je lutte tous les jours contre elle.
Mon compagnon a fait un "déni de cancer" comme j'aurais pu faire un déni de grossesse. En Décembre, il me parle d'une boule au sein et je me dis tout de suite que ce n'est pas possible, que c'est un cancer du sein. Ce n'était pas le sein, mais le testicule et le médecin traitant a dit a mon compagnon que c'était une simple inflammation... Des mois à se disputer parce que je voulais que mon compagnon retourne voir le médecin. Et au milieu de tout ça, ma thèse à rédiger et mon compagnon qui râle sans arrêt contre tout, et moi qui lui répète qu'il m'emmerde, qu'il n'est pas le centre du monde, que je m'occuperai de lui après avoir terminé d'écrire. L'envie de le planter, souvent, la peur qu'il ne m'aime plus, la colère. Et puis je rends ma thèse en Mai et j'arrive enfin à ce que mon compagnon aille voir mon médecin traitant. Quelques semaines qui nous amènent à ce 17 Juin où l'échographie ne me laisse pas de doute sur ce qui arrive. Et mon compagnon qui lutte, ce déni, ce foutu déni qui s'accroche. Et comme un déni de grossesse où quelques heures après avoir mis les mots la grossesse devient évidente, quelques jours après avoir mis les mots sur le cancer, le corps de mon compagnon le lâche. Le 19 Juin, mon compagnon perd peu à peu l'usage de ses jambes et on doit lui enlever une énorme masse qui comprime sa moelle épinière. Et il y a des métastases partout, après seulement 3 semaines, c'est déjà fini.
Pourquoi je te raconte notre histoire? Parce qu'elle est pleine de cette culpabilité que tu vis aussi et parce que je pense que tu pourras y trouver des similitudes. Depuis des mois, je vis avec des "et si" qui tournent en boucle. Et si je n'avais pas rédigé ma thèse à ce moment précis, est-ce que j'aurais pu mettre un bon coup de pied aux fesses de mon compagnon? Et si je lui avais dit que je l'aimais au lieu de lui dire qu'il n'était pas le centre du monde, est-ce qu'il aurait eu envie de se battre? Et si je ne lui avais pas reproché de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour se battre, est-ce qu'on aurait évité la colère dans ses derniers moments? Et si j'avais mis bout à bout tous les symptômes, est-ce que je n'aurais pas pu toute seule savoir que c'était si grave? Et si j'avais été là pour lui comme il a été là pour moi? Pour moi, tout est source de culpabilité...
Numis, je sais que c'est très douloureux, que tu cherches sûrement des réponses pour comprendre au moins intellectuellement ce qui vous est arrivé. Et peut-être que parce que tu n'en trouves pas, tu t'accuses d'être responsable, parce que ça au moins c'est une réponse. Oui, il y a une raison, c'est parce que ce jour-là, cet instant-là, tu n'étais pas là. Non Numis, non je t'assure tu n'es pas responsable et tu n'as pas besoin d'être puni, tu as déjà assez de souffrance comme ça. La lutte contre la culpabilité va peut-être être douloureuse et épuisante pour toi. Il faudra apprendre à supporter l'idée qu'il n'y a pas de coupable et pas de raisons valables pour expliquer pourquoi la femme que tu aime(ais) n'est plus là. Accepter qu'un concours de circonstances est venu tout faire basculer, mais pas toi, toi tu n'as pas de pouvoirs magiques pour lire dans l'avenir.
Tiens bon Numis, je suis de tout cœur avec toi.