Bonjour à tous
J'ai 45 ans, et il y a 7 semaines, j'ai perdu mon épouse dans un accident de la route.
Nous avons étés percutés au retour d'une soirée, à 200m de chez nous, par un gars dont le permis était suspendu et qui roulait à toute allure, sous alcool et stupéfiants. Il nous a percutés en grillant un feu rouge. Mon épouse est décédée à son arrivée à l'hôpital.
Mes deux filles, deux ados, ont été blessées. La plus jeune a eu une fracture du bassin, la plus âgée une fracture ouverte de la jambe.
J'ai eu diverses blessures, une fracture de la clavicule, un pneumothorax. Et surtout une commotion cérébrale qui fait que je ne me souviens que de quelques flashs de quelques secondes dans les heures qui ont suivi l'accident. L'impression que j'étais dans un cauchemar, dont j'allais me réveiller à tout instant. Sauf que le réveil n'est jamais venu ... je reste avec un black-out sur les heures sans doute les plus importantes de ma vie.
A l'inverse, ma grande fille est resté consciente chaque seconde du drame, se souvient de la douleur, de sa jambe désaxée, de sa mère qui gémit.
Aujourd'hui, j'aurais aimé me souvenir, et j'aurais aimé qu'elle ne se souvienne pas. La vie est, là aussi, très mal faite.
Nos amis, la famille, nous ont entourés dès les premiers instants et on a eu une chance formidable de les avoir. Car s'occuper de deux petites en fauteuil roulant avec un seul bras, le "mauvais" en plus, je ne sais pas comment j'aurais pu faire. Sans compter les premiers jours, l'hôpital, le retour à la maison, qui ont ressemblé à une descente aux enfers.
Aujourd'hui, on apprend à vivre à trois. Les filles sont pleines de courage, sans doute plus courageuses que moi. On parle de l'avenir. Et puis, surtout quand vient le soir, la dégringolade se produit.
On m'avait averti après l'accident que les mois à venir seraient difficiles, et qu'il y aurait cet effet "montagnes russes". Je me les prends de plein fouet aujourd'hui.
On ouvre un placard, on tombe sur un souvenir, une photo, et on plonge. Ou, pire, que ça, on prend dans ses bras ses filles qui pleurent en demandant leur maman, et on le coeur qui se déchire littéralement.
Et puis on va un peu mieux, même si on culpabilise de se surprendre par exemple en train de chantonner. Et mon cerveau me fait vivre ce qui s'appelle apparemment une "amnésie émotionnelle" ; j'oublie ma femme, son visage, sa voix, j'oublie le quotidien avec elle. Elle s'efface peu à peu derrière une vitre à gros grains, comme celle que l'on met dans les salles de bain. C'est un mécanisme d'autodéfense parait-il, sans doute efficace, mais qui en contrepartie me donne l'impression que je ne l'aimais pas, ou pas assez pour m'en souvenir. Pour m'en dissuader, je me souviens de ces 35 ans à la côtoyer, de ces 22 ans de vie commune. Je me replonge dans mes souvenirs, et ... je replonge tout court.
La tristesse monte et descend, mais il y a une chose qui reste en permanence : le sentiment de solitude. Tous les amis du monde ne peuvent rien y changer. Quand on a passé 22 ans à se réveiller et se coucher à côté de quelqu'un, quand on a eu une femme qui était à la fois épouse, meilleure amie, psy et confidente, la solitude s'abat sur vous comme un éclair. Et vous laisse par terre. L'absence de quelqu'un à qui parler, l'absence de quelqu'un à serrer dans ses bras, où contre qui se lover. La solitude est pour moi le poison le plus terrible dans cette épreuve.
La colère également. Contre l'enc*** qui nous a fait ça. Contre ce con**** irresponsable qui a stoppé nette la vie d'une maman extraordinaire, d'une femme formidable, la colère contre celui qui a changé à jamais la vie de mes filles, qui a changé à jamais mon avenir.
La colère aussi contre la justice, muette depuis l'accident. Certes, le chauffard est en détention préventive - encore heureux devrais-je dire. Mais je n'ai eu aucun appel du juge d'instruction, pas le moindre courrier. 7 semaines après, aucune information sur l'accident, puisque je ne peux pas accéder au dossier tant que je n'ai pas été entendu par le juge.
Celui qui a détruit notre vie sait tout de nous, des circonstances de l'accident. Moi je ne sais rien d'autre que les bribes qui m'ont été rapportées, je dois vivre avec ce black-out insensé et rester avec mes questions. Et avec l'impression que ce qui est arrivé à ma femme est déjà tombé dans l'oubli.
Ma femme de part son métier venait en aide aux gens, et elle excellait quand il s'agissait de les rassurer, de les faire se sentir mieux. C'est dire si elle me serait précieuse aujourd'hui.
Elle n'avait de cesse de dire que mêmes dans les plus grands malheurs, et elle en avait elle-même connu, il y avait la lumière au bout du tunnel. Je vais la croire sur parole, mais pour l'instant, elle est bien pâle et bien lointaine.