8 semaines depuis ta mort. Tu es là, à chaque instant.
Je cherche un peu des appuis, pour faire face, car il faut faire face, parait-il.
Un contact, un autre, des balises argos lancées dans cet océan déchaîné. Des vagues plus hautes que celle d'Okusai qui submergent mon âme en sang.
La parole s'écoule en un mince filet. On m'écoute. On me demande d'être attentive, car je suis en état de fragilité, de stress aigu, parait-il. Cela libère un court instant. Puis cela revient, par vagues.
Le répit a deux visages:
L'un c'est que je lis, je cherche, je fouine pour tenter de saisir un je ne sais quoi qui apaise, qui explique. J'achète des livres. Je découvre de magnifiques ouvrages, de magnifiques chercheurs, de magnifiques documentaires, des témoignages, des mots qui font mouchent. Mais le répit ne vient pas de la découverte, mais de ce faire- ensemble si présent et qui pulse aujourd'hui partout dans mes cellules. Nous étions ce couple du faire ensemble. Nous cherchions ensemble, intarissables.
L'autre vient de ce que nous ferons ensemble à partir de ce jour. Continuer notre oeuvre, imprimer ta trace, sentir ta force qui forçait tant l'admiration me tenir de colonne vertébrale pour faire. Cela donne un courage, le temps d'un instant. Un corps pour deux. On sera petitement logé, mais c'est la seule solution que je trouve pour mettre en sens ce qui ne pourra jamais l'être.
Il y a aussi la sourde révolte: notre monde si consensuel, si laïc, si moderne, si moralisateur, si propret, quelle place fait-il aux endeuillés, aux défunts? Et bien aucune, ma p'tite dame, tu vas te faire foutre avec ton deuil, tu te fais engueuler à la poste parce que ton mari n'a pas pu signer le changement d'adresse, allez vite, circulez ce deuil que je ne saurais voir.
Ce monde, il a perdu la tête. Ca aussi je l'ai lu dans les livres. Mais c'est une chose de le lire, et une autre de le vivre en prenant un uppercut dans la mâchoire.