Bonjour. Je m'appelle Emma. J'ai 37 ans, bien que je me sente plus vieille que les pierres.
J'écris ici un peu par hasard car je ne sais plus très bien à qui, comment et où parler. Je ne suis pas familière du système de forum même si j'aime l'idée de la Rome antique. Et effectivement quand je vois les 16 smileys à disposition au dessus de cette fenêtre, je me dis que je dois m' être perdue. Même si parfois il y a trop ou pas assez de mots, un visage jaune peut-il témoigner du gouffre qui s'ouvre?
La vérité c'est que je me suis perdue partiellement en octobre dernier à l'annonce du cancer de mon mari. Mon compagnon de 18 ans. Le papa de ma fille de 4 ans. 10 mois de plongée dans l'inconnu, l'inconnu de la maladie, des blouses blanches, de la souffrance morale et physique, de la perte de l'envie. Il restait l'espoir cependant...qui faisait vivre selon l'expression consacrée. Il est mort le 19 août après une nuit d'agonie lente et discrète, à son image. Une longue nuit durant laquelle ma belle-mère et moi l'avons accompagné jusqu'à la barque de Charon. Et l'avons laissé partir, le masque mystérieux de la mort imprimé sur son visage. Là je me suis perdue. Je le suis toujours d'ailleurs. Je dois remonter doucement de ces rivages sombres pour ma fille que je chéris mais je ne sais pas quel visage, quelle voix présenter. La douleur infinie m'a éparpillée aux quatre vents. Je le cherche partout et nulle part. J'enchaîne les états d'hébétude et de révolte, j'ai envie de tout brûler, et pourtant je m'accroche à chaque objet comme à des reliques sacrées.
Et cette tristesse comme une eau à température variable. Que faire de tout ce reliquat d'amour, de projets avortés, de promesses en suspens, de ce désir mort? Et comment continuer à regarder les yeux de ma fille, ses deux flaques de mer bretonne dans lesquelles je vois mon amour perdu et dans lesquelles se reflètent mon impuissance à être une maman fonctionnelle?
Les limbes.
Bonjours Emma. Ton histoire m'a profondément émue. J'espère que ça continueras à te faire du bien-ne serait-ce qu'un peu dans un premier temps-de venir nous parler. Ici nous vivons tous la même chose, nous savons tous ce que tu èprouve. Les personnes qui n'ont pas vécu ce drame ne peuvent pas comprendre ce que nous vivons-celles qui l'entrevoient sont dotées d'une extraordinaire empathie, et sont d'autant plus précieuses qu'elles sont rares :)j'espère que tu as quelques personnes de ce genre dans ton entourage.
Ton deuil est tout réçent, ces premières semaines sont les pires parce-qu'aprés l'état d'hébétude où nous a plongé la perte de l'être aimé, nous commençons à réaliser ce que représente vivre sans lui, nous commençons à le vivre et nous comprenons que nous allons devoir faire avec tout le reste de notre vie
c'est un passage tristement obligé, aussi déchirant que ce soit. Nous nous sentons comme amputé-sans anésthésie-d'une partie de nous-même, et pourtant nous devons continuer à effectuer les gestes du quotidien, jour après jour, malgrès ce vide immense.
J'ai vécu, plusieurs mois, cette étape-j'allais dire insupportable, et c'est effectivement ce que nous éprouvons sur le moment, mais il faut croire que c'est supportable puisque nous survivons
; j'ai perdu mon compagnon le 2 mai 2015, après qu'il ai été dans un coma profond dont il n'est pas sortis depuis le 23 avril au soir: il était tombé accidentalement dans ses escaliers alors qu'exceptionnellement j'ètais absente pour la nuit. Le choc initial, tellement traumatisant à l'annonce de son décès, puis la profonde stupèfaction, incompréhension incrédule des premières semaines, avant la pleine prise de conscience.
Peu à peu, pas à pas j'ai pus non pas "faire mon deuil" (je hais cette expression parce-qu'elle donne une impression d'oubli, pour ma part je dirais: vivre mon deuil en paix, plus confortablement), mais apprendre à vivre avec, à vivre le quotidien, chaque instant avec son souvenir indélébile en moi, mais avec plus de sérénité, teintée d'une douce mélancolie. J'arrive à sourire avec plus de joie que de tristesse à l'évocation de notre amour, de nos merveilleux souvenirs, de la personne qu'il a été. Il y a des hauts et des bas, mais je peux témoigner qu'avec suffisament de patience, de ténacité, de résistance passive-car il ne s'agit pas de brûler les étapes ou de refouler quoi que ce soit, ça aurait l'effet inverse-de petites embellies, puis un mieux-être, une certaine paix intérieures sont possibles.
J'ai bien conscience que ce doit être pire encore pour toi parce-que ton conjoint a souffert, et que tu as assisté à sa mort
ce n'est peut-être pas une grande consolation, mais ses souffrances sont terminées et, tout au long de sa maladie puis de sa fin de vie, tu as été là pour lui, tu l'as accompagné avec tout l'amour possible; il le savait et, même dans son état, ce devait être un don merveilleux pour lui, vous avez toujours eu conscience de votre lien.
Ta petite fille est le témoignage vivant de votre amour; tu dis toi-même qu'elle a ses yeux, et je comprends que ça ravive la douleur de la perte, de l'absence, mais c'est aussi la preuve qu'elle est une partie de lui :)j'espère qu'avec le temps, cette ressemblance t'apportera plus de joie que de douleur. Vous avez besoin l'une de l'autre, et il sera toujours présent dans vos cœurs. Ce qu'il aurait voulu plus que tout, c'est votre bonheur (c'est impossible dans l'immédiat, je le sais, mais lorsque de l'eau aura coulé sous les ponts...et encore une fois je ne parle pas d'oublier, de cesser d'honorer la mémoire de l'Autre), et, pour commencer, que vous continuez à vivre. Ce que tu aurais voulu pour lui, si c'était toi qui ètait partie la première.
Pour ce qui est des smileys, personnelement quand j'èprouve des émotions contradictoire, je mets ces deux-là:
ou
mais si la vraie souffrance est là,
ou même
n'y suffisent pas. Je verrais bien
...