Je m' appelle Laurence, tout le monde m'appelle Lola, il s' appelle Marc.
Une de mes belles soeurs a dit de nous : "vous ne viviez que l'un pour l'autre, et pour l'amour des autres ..."
C'est la plus belle chose que j'ai entendue, la plus vraie ... et en même temps la plus triste dans la mesure où on en parle au passé ...
J'ai 55 ans, Marc 57, nous avons vécu 32 ans ensemble, on nous disait couple fusionnel, nous faisions tout, toujours ensemble, même si nous n'étions pas toujours d' accord, je voulais aller à droite, il voulait aller à gauche, je voulais une petite voiture, il voulait un 4X4, je voulais écouter le foot, il voulait écouter un film avec Meg Ryan, à moins que ce ne soit l'inverse ...
Je n'ai pas le souvenir d'une dispute .... en 32 ans de vie commune ... la vie passait légère, malgré tous les problèmes et l'absence d'enfant ...
Marc travaillant dans la grande distribution, nous avons changé plusieurs fois de département, pour son travail, je me suis adaptée ...
Il y a 9 ans environ, une très grave dépression l'a contraint à cesser ses activités professionnelles ...
Il était cadre supérieur, nous avons dû sauter de l'ascenseur social en marche, nous l'avons fait à deux, j'ai cessé toute recherche d'emploi, j'avais peur de me retrouver veuve prématurément...
Dépression, médicaments, arythmie, hospitalisation ....
Sorti d'affaire, mais toujours dépression, alcool, médicaments, psy ... cirrhose ...
Plus d'alcool, plus de médicaments, il y a un an, les spécialistes nous disent que son foie fonctionne de nouveau à 80% après 2 ans d'abstinence alcoolique ... la dépression semblait s'améliorer ... Je revis ...
Avant Noël, Marc se sentait "barbouillé", trop de chocolat sans doute ... la vérité était tout autre ...
Un examen à l'hôpital de Draguignan avant les fêtes, je suis toujours dans l'insouciance, un rendez-vous sur Marseille fin janvier, je suis toujours en positive attitude ... Je ne sais faire que cela depuis 10 ans pour le soutenir !
Batterie de tests, dont je ne saurais citer tous les noms ... première réelle angoisse, Marc, d'une si rare intelligence et clarté, me semble incohérent dans ses propos, confus ... le spécialistes ne sont pas alarmistes …
Il recouvre un peu ses esprits, on le laisse sortir, dans l'attente de résultats de biopsie programmés pour le 18 février ...
Marc rentre à la maison ! Je suis heureuse, quel que soit le résultat, on fera face !
Il est très fatigué, normal, pensais-je, on lui a supprimé ses somnifères !
10 jours plus tard, il ne mange presque plus, mais se plaint à peine, il est épuisé...
Le vendredi 6 février il écoute son match de foot Saint Etienne dont il est supporter contre Lens, un beau match 3-3
Il veut dormir dans la petite chambre du bas, trop fatigué pour monter, "tu peux éteindre la lumière ? " ce sont ses derniers mots ...
Le lendemain matin, samedi, je le trouve dans le coma. Samu, c'est le week-end, toute sa famille appelle, je suis seule ... je ne sais rien, je ne comprends rien ... Transfert sur Marseille, enfin un place disponible en réanimation quelque part ... Mon frère vient me soutenir, enfin quelqu'un sur qui m'appuyer ... Marc est très bien pris en charge, par une équipe compétente et humaine. Je veux y croire, on m’explique que c’est grave, oui bien sûr, je m’en doute, il est dans le coma … Je veux y croire encore, je demande même comment se passe le réveil.
Le lundi, j’appelle l’hôpital où il a subi tous les tests, le médecin m’explique que Marc est atteint d’un cancer rare, grave, pratiquement non opérable, que la seule chose envisageable sera des soins palliatifs… et que Marc en était informé il y a 15 jours ! Je reste pétrifiée, dans ma tête les tours jumelles du World Trade center viennent de se faire percuter par deux avions … Je me refuse à demander combien de temps il lui reste à vivre, quelques mois pensais-je …
Le frère de Marc arrive le lundi après-midi, ensemble nous discutons avec le médecin du service de réanimation, Marc est maintenu en coma artificiel. J’informe le médecin de son état de santé et cette fois-ci je veux savoir.
« Jeudi … s’il est toujours parmi nous … il faudra se revoir » me répond-il.
Jeudi !!! C’est dans moins de trois jours !!! Cette fois ci les tours jumelles dans ma tête s’effondrent ! Je me sens comme ces gens vus sur les vidéos du 11 septembre, couverts de cendres et de poussières, hagards, errant, titubant …
Le frère de Marc appelle ses parents, il dit juste « il faut que vous descendiez », juste ces quelques mots lourds de sens, tous ont compris la signification, le silence s’installe.
L’accès au service de réanimation est très restreint et règlementé, 2 fois une heure par jour, pas plus de 2 personnes à la fois. Une heure, c’est si peu … je dois la partager … afin que tous puissent lui témoigner leur amour … j’y joins le mien … je vole quelques minutes à la pendule …
Le mercredi dans la nuit, l’appel tant redouté retentit …
Pardon de la longueur de ce récit, que je souhaitais bref, mais je sais que vous me comprenez.
laurence