Jour 3
Je relis le journal de bord que les infirmières ont rédigé durant tes 13 jours de coma :
- l'espoir des 1ers jours, mes nuits sans sommeil tendues vers cet espoir que tu sortirais du coma;
- l'annonce que ton cerveau était endommagé et que peut-être à ton réveil, tu ne me reconnaîtrais plus;
- l'annonce des dégâts de ton cerveau qui sont irréversibles, que tu ne sortirais peut-être pas du coma, le médecin qui écrit qu'elle espère encore que ce soit l'effet des sédatifs et non l'effet d'un cerveau trop abîmé...Mais les dégâts étaient irréversibles, si tu revenais du coma, tu resterais à jamais à l'état végétatif;
- la décision de débrancher le respirateur artificiel;
- laisser la Mort t'emporter, impuissante, savoir chaque jour un peu plus que tu partais, qu'on ne se reverrait plus...
Chaque jour, je me suis soignée pour toi, durant ces 13 jours. Chaque jour j'étais belle, je sentais bon, pour que peut-être ces ondes douces pénètrent ton coma, entrent à l'intérieur de toi. Je voulais que tout soit beau et doux autour de toi. pour que si jamais tu revenais...
Je voulais que tu reviennes, mais au fond de moi, je savais que tu partais...
Je me souviens qu'au début de cette année 2012, je m'étais tiré les cartes, le jeu de Melle Lenormand, juste par curiosité...et j'avais vu ta Mort. Je l'ai rejetée. Je me suis dit : bien sûr, tout le monde meurt un jour, mon chéri est plus âgé que moi...logique qu'il parte un jour...
Mais je ne pensais pas que la déchirure était si proche, que quelques courts mois à peine passeraient et que tu me serais si brutalement arraché. je n'ai pas voulu y croire. J'ai rejeté cette vision donnée par les cartes.
Mais quand tes problèmes au coeur ont débuté, une sonnette d'alarme en moi résonnait. je ne savais pas comment faire pour que toi et les médecins soyiez attentifs... Que faire contre des médecins qui disent qu'il n'y a rien?
C'est à cause de mes cartes sans doute que j'ai pensé lors de notre aurevoir sur ce quai de gare que c'était peut-être la dernière fois...Je t'ai transmis dans mes baisers toute la Tendresse que je pouvais car j'ai pensé 'peut-être est-ce la dernière fois?...Il faut qu'il sache et ressente à quel point je l'aime'.
Je n'ai pas voulu écouter ma petite voix intérieure.
Je ne peux rien effacer, pas revenir en arrière. je suis impuissante.
Ces 13 jours sont à la fois un éclair dans le temps et d'une longueur interminable comme des mois écoulés tant la souffrance, l'angoisse étaient fortes et terribles. L'impression de vivre 4 journées en une seule...
Au début, je ne pouvais te voir que de 15 à 19h. J'étais emplie d'espoir alors les heures de jour loin de toi étaient pénibles mais gérables. Je trépignais, n'attendant qu'une chose : sauter dans ce métro qui me conduirait jusqu'à toi. je m'activais le matin dans mon impatience de te revoir. Et puis enfin, près de toi, je pouvais t'aimer, te toucher, te transmettre tout mon Amour. mais je n'ai pas toujours pu retenir mes larmes. Je ne voulais pas pleurer devant toi car tu avais assez à gérer avec toi-même pour encore devoir porter sur tes épaules mon chagrin et mon angoisse.
Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer. Je t'en demande encore PARDON. je ne voulais pas te faire de mal en t'affichant ma douleur et ma peine, je voulais que tu puisses partir dans la Paix, sans te soucier que nous qui restons pouvons souffrir de ton Absence.
Puis les mauvaises nouvelles sont arrivées. Chaque jour un coup en plein thorax pour me dire que l'espoir s'éteignait au fur et à mesure des jours.
Alors c'est devenu la course contre la montre. Je voulais vivre chaque seconde à tes côtés, respirer avec toi, pour toi, t'apaiser, te soutenir, prendre ta peur si elle existait face à la Mort et ta souffrance quand je voyais ton beau corps souffrir de ces terribles crampes, ces larmes. Mais toi aussi tu m'as soutenue dans ces moments : loin de toi je hurlais de douleur. Il n'y a qu'à tes côtés que je m'apaisais. je ne supportais pas d'être loin de toi. C'était invivable, INSOUTENABLE. Savoir que tu partais à JAMAIS et ne pas pouvoir partager ces derniers moments ? Impossible, INHUMAIN ! Je remercie le service des soins intensifs qui m'a laissé à tes côtés, m'aménageant un lit de camp à tes côtés. je ne mangeais plus, ne dormais plus, même sous somnifères.
les infirmiers et médecins étaient étonnés que j'arrive à rester à tes côtés malgré le spectacle dur de ces tuyaux qui transperçaient ton corps de partout : sondes, cathéter, baxters. Ils ont écrit que je n'étais pour toi 'que baisers, malgré les tuyaux partout'. Oui, je trouvais le moindre carré de peau disponible pour t'embrasser : il restait tes joues, ton front, tes mains si belles, tes bras par endroit, un tout petit creux de cou dans la courbe douce de ton épaule. j'ai pu te masser le ventre quand l'infirmière m'a laissée l'aider à faire ta toilette. J'aurais fait n'importe quoi pour toi!
Dans ta 1ère chambre aux soins intensifs, il y avait un vieux monsieur de 81 ans...6 semaines de coma. Il a commencé à bouger lentement les doigts, à serrer péniblement la main de l'infirmière...et en 3 jours, il est sorti du coma avec une vitalité que je n'aurais pas soupçonnée les 1ers jours où je l'ai vu plongé dans son coma. mais il est sorti ! J'étais heureuse pour lui et son épouse qui n'aurait pas à souffrir de l'Absence. mais au fond de moi, je voyais ton corps musclé, sain, vif, tes belles mains, tes yeux clos, toi qui ne revenais pas alors que tu aurais dû...Et je me disais : 'pourquoi le mien ne revient-il pas? Pourquoi ? POURQUOI ??
Pourquoi suis-je punie ? Qu'est-ce que je paie depuis ma naissance ? Quelle faute grave ai-je commise dans une autre vie pour que celle-ci me fasse autant souffrir ?
Oui, parfois j'ai de ces pensées...Je voudrais comprendre. je voudrais comprendre pourquoi la souffrance est si inégalement répartie dans le genre humain ?
je crois qu'il y a des gens qui souffrent bien plus que d'autres et je voudrais comprendre POURQUOI ?
Jour 3 de ce journal - Après-midi
Ca y est, ça commence. Ton Absence de plein fouet..Les larmes jaillissent de mes yeux sans que je puisse contrôler.
J'ai voulu manger. Déjà ce matin, j'ai à peine pu. cet après-midi, c'est la nausée.
Je me réfugie dans mon journal. J'ai cru naïvement que ce journal me permetrrait de traverser en douceur la tempête, que je pleurerais, mais moins fort...
Non, ton Absence m'explose la cage thoracique. les cris s'étouffent dans ma gorge.
...
J'ai du faire une pause.
J'ai pleuré, je voulais pleurer tellement fort que rien n'est sorti! ou à peine...Rien à voir avec ,on état intérieur. ca aurait du être l'explosion de sanglots. C'est l'implosion. Tout pète à l'intérieur. Pulvérisée de l'intérieur.
J'avais de la colère, j'aurais voulu shooter, frapper dans le smurs car je me sens IMPUISSANTE ! JE NE PEUX PAS TE FAIRE REVENIR ! Shooter, déchirer, pulvériser l'ABSENCE, LE VIDE, LE GOUFFRE. J'ai beau pleurer, hurler, souffrir, vômir ...RIEN ne te fera revenir...RIEN ! Je suis confrontée à la Nuit vide, à ta place vide à mes côtés, à l'absence de tes mains dans mes cheveux...
J'ai l'impression que la vie, ça n'existe pas, que la Mort, ça n'existe pas, que ce qu'on vit n'existe pas, que tout est IRREEL.
La vie ? Une vaste blague !
Je voudrais croire à une Vie Après. Ca m'aiderait peut-être un peu ? Mais les Bouddhistes qui y croient ne sont pas moins malheureux lorsqu'ils perdent un être cher. Mais je ne crois plus à tout ça...Je crois que ces pensées nous aident à tenir le coup, juste un peu ? Et encore ?...
Je voudrais te manger d'Amour. Il y avait des moments en ta présence où lmon être entier débordait, brûlait, j'étais incandescente d'Amour, tout ce sentiment irradiait de moi vers Toi.
Ta disparition est un coup de hache qui a déchiqueté mon corps en plein centre. Du coeur aux hanches. Je suis disloquée.
Un zombie dans la vie. Exsangue. Juste une enveloppe corporelle qui a des besoins que je hais : manger, dormir, boire ! A quoi bon !
Ce corps fonctionne et je le hais pour cela. Je lui en veux de me rappeler que je vis, que je dois continuer SANS TOI.
Mais j'en lis plein sur internet qui souffrent du même mal : perdre l'Amour de notre vie. Y a pas de mot pour décrire cette souffrance, cet arrachement. Toutes leurs histoires me touchent. J'ai mal pour eux.
ZAZIE : 'j'écris quand j'ai mal aux autres,
quand ma peine ressemble à la vôtre'
Chanson : SUR TOI