Jour 9 et 10
Pas envie d'écrire le Jour 9. Parce que je n'en peux plus ! Je ne veux pas écrire mais si je n'écris pas, je deviens folle ! Je suis épuisée par ce cerveau qui 'turbine' sans arrêt ! Je voudrais dormir : impossible. Je voudrais écrire quelquechose de sensé : impossible. Je voudrais être avec toi : impossible. Si je n'écris pas sur toi, je suis mal. Car t'écrire, c'est me réfugier près de toi, te faire vivre encore un peu. Si j'essaie de dormir : je ne peux pas. Si j'essaie de pleurer : rien ne vient. Si j'essaie de ne pas penser : j'y arrive pas ! A devenir fou ! Je ne peux me tourner vers rien pour être en paix.
J'en ai marre d'écrire parce que ça te fait vivre en moi et me confronte chaque jour davantage à ton absence, à l'impossibilité de te revoir. POUR TOUJOURS ! POUR L'ETERNITE !. je m'imprègne de toi en écrivant MAIS TU N'ES PLUS LA POUR RECEVOIR MON AMOUR ET IL FAUT QUE MON CERVEAU ENFIN LE PERCUTE ! Tu ne reviendras pas, est-ce clair ?? J'ai beau t'aimer à la folie : c'est à sens unique. OK ? Je m'épuise à t'aimer, à l'écrire chaque jour, à le sentir si intensément dans mon coeur et dans mon corps.
Je suis en colère car je ne sais pas quoi faire de ces sentiments d'Amour pour toi qui me submergent, qui continuent d'afleurer et que je ne peux plus te donner. C'est horrible d'aimer à sens unique, de mesurer chaque jour ce que je perds en t'ayant perdu, de faire la liste interminable et douloureuse de ce que je ne vivrai plus.
J'en ai marre d'avoir mal et d'avoir l'impression que tu es indifférent. Réponds-moi, BORDEL ! Dis-moi comme tu peux que tu m'aimes, que tu ne m'oublies pas, me laisses pas comme ça dans ce vide intersidéral !
Je m'énerve car j'ai entendu tant d'histoires où les gens qui restent après la perte d'un être cher reçoivent des 'signes'. Et moi, j'en voudrais, mais rien ne se passe. Je me reproche alors de peu^t-être ne pas t'avoir assez aimé pour que tu m'en donnes ? Alors, bien sûr, je me sens abandonnée. Et, toi-même, tu me disais que les défunts ont bien autre chose à faire qu'à s'occuper de nous. Que, parfois, ils nous regardent de là-haut, mais s'empressent bien vite de retourner à leurs occupations.
Envie de rencontrer quelqu'un qui peut 'communiquer' avec les défunts...Idiot ? utile ?
mais toi, tu es parti, tu as rejoint cette fille connue il y a 20 ans qui t'a fait tant souffrir et à laquelle tu demandais 'pardon'. Pardon de quoi ?? Elle t'a fait tant de mal...
Est-ce que si j'écris sur toi, tous les jours, cela t'empêche-t-il de 'partir' ? Est-ce mal ce que je fais ? J'ai lu hier un extrait d'un livre sur le Bouddhisme (La grande métamorphose) où l'auteur dit qu'il est 'bien', pour accepter la mort d'un être cher, de tenir un journal, à condition que cela ne soit pas dans le but de retenir le défunt.
Je n'arrive pas à cerner dans quelle démarche je suis ? Est-ce que je te retiens ? Ou est-ce que je ré-écris notre histoire pour ne rien oublier, m'en imprégner pour mieux te laisser partir, ou 'intégrer' que tu es parti ? mais en même temps, dans ces lignes, je te demande un signe. Un signe sur lequel m'appuyer pour savoir que même si tu es loin et inaccessible, tu veilles sur moi. Cela me donnerait de la force. Savoir que tu as autre chose à faire mais que tu gardes sur moi un regard doux et bienveillant, protecteur et aimant.
Ce soir, c'est Noël. En un éclair, je replonge vers ces 2 autres Noël partagés avec toi. Je n'en ai vécu que 2 avec toi. Il est préférable que je ne sois pas là à 'fêter' cela dans une maison où tu es passé. Pas de trace de toi ici, pas de confrontation avec ta chaise vide. Tu n'es pas venu ici. Je n'ai pas dormi dans tes bras ici...
Cet après-midi, je me suis aidée à pleurer : écouté tous les morceaux de Zazie que je te chantais à l'hôpital. Me souvenir de ton visage qui se détendait en entendant ma voix que je faisais la plus douce possible.
Vendredi 30 novembre, 4h40. Claudia est venue dans ma chambre me réveiller. Elle s'est accroupie devant moi et m'a dit en chuchotant : 'Christine, il faut qu'on parte à l'hôpital. Detlev n'est plus là. Il est décédé. Ils viennent de nous appeler pour nous dire que c'était fini'.
Implosion dans mon estomac. Une boule dure et compacte de lames de rasoir au fond de ma cage thoracique. Douleur. je suffoque. Tu n'es plus là. Je percute. Pas une larme ne sort tant la douleur est violente. Je ne fais que ânoner : 'OK'...'OK', le temps que l'info remonte de l'émotion vers le cerveau. Tu es parti sans que je sois là pour te tenir la main et t'accompagner, sans que je puisse te donner un dernier baiser. Tu as choisi. Faire le chemin sans moi. Ca fait mal mais c'est ton choix. OK. J'accepte. Lames de rasoir dans les poumons.
Envolé de ma vie. Parti. A jamais. Sensation de vide immense, noir, profond. Un Univers de vide...
Je ne peux toujours pas y croire.
Ton visage aussi beau sur la photo, ton corps si vigoureux. Rien ne laissait supposer que tu partirais. Si tôt : 59 ans. C'est rien ! pas eu le temps de préparer ton anniversaire...Pas eu le temps de profiter d'une retraite bien méritée. Pas eu le temps de savourer encore un peu l'Amour que j'avais à te donner, toi qui en avais tant manqué. Tu le méritais. Tu valais tellement la peine.
Je rêvais si souvent, et de plus en plus, de tout ce que l'on ferait lors de ta retraite. Je voyais bien à quel point cela te pesait d'aller travailler. Je préparais en arrière plan cet avenir où tu pourrais être serein. Je voulais t'offrir la possibilité de t'arrêter plus tôt, de profiter de la vie, de la douceur, de la Dolce Vita... je nous voyais bien quelquepart au soleil en plein hiver, sirotant notre petit café sur une terrasse, le matin.
'J'ai peur du vide et de l'absence' disait cette vieille chanson. 'Et maintenant, que vais-je faire ? De tout ce temps, que sera ma vie ?', dit l'autre chanson.
Je ne peux pas imaginer ma vie sans toi. Et pourtant, le dire, l'écrire, le penser, le ressentir et en souffrir est dérisoire. Il faudra bien que je la fasse sans toi. Je peux tourner cela dans tous les sens : je n'ai pas le choix. CE SERA SANS TOI...
Repartir pour l'humanitaire ? Suis-je prête ? Me donner pour ne plus penser ? Pour noyer ton Absence ? Se noyer dans l'action pour anesthésier la douleur ? Est-ce que c'est bon ?
Voilà, Noël est passé. Je ne t'ai pas offert le parfum que tu m'as demandé. J'aurais aimé. Mais ça ne sert à rien. je n'ai cessé de penser à toi, de ressentir le manque cruel de toi. Comme une idiote, dans ma tête, un morceau de moi attendait désespérément un SMS de toi, un appel. Mon portable ne sonnera pas. Il n'y aura plus jamais rien de ce genre, plus jamais de ces petits bonheurs, de ces petites attentions. En attendant ton appel, ton SMS qui ne viendrait pas, j'ai regardé ta photo sur mon portable, je t'ai embrassé C'est futile, c'est utile. C'est tout ce qui me reste...
J'ai revécu cette nuit le film de ces 13 jours vécus à tes côtés à l'hôpital. C'est la 1ère fois que j'en parle à quelqu'un, ma cousine. Elle m'a dit que ce que j'ai vécu est traumatisant. Elle a pleuré. Elle me dit que je ne méritais vraiment pas de vivre cela. Surtout moi qui ai déjà tant souffert dans cette vie, disait-elle. Non, je ne mérite pas cela. Et Toi, non plus ! Ta Mort a été une agonie lente et affreuse, terrible et douloureuse. Aucun anti-douleur ne t'a apaisé.
Claudia m'a écrit dans une lettre qu'elle ne sait pas comment j'ai trouvé la force d'affronter tout cela sans craquer devant toi. Mais si, parfois j'ai craqué, mais je refusais de pleurer trop pour ne pas t'effrayer. J'étais là pour te soutenir et non pour t'en 'rajouter'...Elle dit n'avoir jamais vu quelqu'un d'aussi tendre et aimant dans de tels moments de douleur. Elle dit que je l'ai soutenue alors que j'étais moi dans une profonde souffrance. Les infirmières ont écrit dans ton journal de bord que 'malgré ma douleur de te perdre, je restais souriante et aimable avec tous'...
Est-ce vrai ? je n'ai conscience de rien. J'ai traversé ces 13 jours sans me poser aucune question. J'ai agi. J'ai fonctionné. je ne pensais qu'à adoucir ta souffrance, à t'apaiser, à t'aimer jusqu'au bout. J'espère juste t'avoir donné assez d'Amour et de Tendresse pour t'aider à supporter la souffrance physique. Je t'ai vu tant souffrir et c'était horrible ! Savoir que tu 'partais' était déjà une douleur sans nom, insoutenable, mais te voir en plus partir dans une telle souffrance était un calvaire de plus. Il m'est arrivé dans ces moments de visions d'horreur de souhaiter que ton calvaire s'achève le plus vite possible. je ne pouvais plus supporter de te voir dans une telle souffrance, un tel chaos. C'est insoutenable de voir l'être qu'on aime le plus au monde souffrir à ce point. Etre impuissante et savoir que tu t'en vas, qu'on ne se reverra plus jamais. Savoir quel homme bon et doux tu es et te voir souffrir ainsi...Tu ne le mérites vraiment pas !
D'avoir raconté cela cette nuit agite mon corps de tremblements nerveux. J'ai revécu la pression de ces 13 jours. Je ne pouvais pas dormir. J'ai vécu tout cela sans réfléchir mais le raconter, voir comment une personne neutre réagit à ce récit, me fait prendre conscience de l'horreur de ce que j'ai enduré, de ce que NOUS avons enduré.
La vie est trop cruelle.
Personne n'a pensé à moi cette nuit de Noël : pas de message, pas d'appel. Le vide. Seule. Le manque de toi. Cruel.
Zazie :
'Le coeur nous manque et nous pèse à en crever,
alors j'attends que tombe la nuit
dans le noir, le désespoir est permis
je te suis fidèle à l'infini
ça me suffit...'