Voilà, chère Milou, ma réponse tardive à ta question.
Je suis intraitable sur ce qui concerne le deuil.
Oui, je dois admettre ce constat.
Si je retiens une leçon de notre épreuve, c'est bien d'avoir appris à m'écouter, prendre le temps de m'entendre, et de me faire confiance. Pierre m'a laissé un bien, sacrément précieux, merci mon amour. Tu as su ne jamais te laisser prendre par la frénésie médicale, ni entrer en matière pour des thérapies qui ne te convainquaient pas, t'écouter d'abord, et faire le tri pour préserver l'essentiel. Quelle sagesse, mon homme !
J'essaie de poursuivre sur cette voie parce qu'elle est sage et me correspond maintenant, je l'ai faite mienne. Est-ce cela l'héritage de nos défunts ? J'aime à le croire, j'intègre mon homme, je le fais moi.
Je me suis écoutée en interrompant mon travail alors qu'on me l'offrait comme dérivatif.
J'ai refusé d'entendre mon médecin qui me proposait une reprise en novembre pour m'éloigner de mon deuil.
J'ai refusé des invitations qui me coûtaient et accepté celles qui me faisaient du bien.
J'ai écarté les gens toxiques et choyé les amis.
Je vis au rythme de ma nouvelle vie.
J'ai besoin de longs moments de solitude pour apprivoiser son absence et je les défends bec et ongles. J'ai besoin de prendre pleinement la mesure de son absence. D'ailleurs, je me refuse même à faire des escapades qui me blessent plus qu'elles ne m'apportent.
Au comment ça va ? Je m'autorise à répondre, invariablement, précisément que je ne réponds plus à la question parce que je ne peux pas y répondre. Mon état est tellement fluctuant.
Le traditionnel sapin de Noël ne trône pas dans notre salon, c'était Pierre qui s'en occupait avec notre fille. Ils le choisissaient et le décoraient ensemble. Alors, j'en ai confectionné un avec des bouts de bois glanés sur la terrasse histoire de faire dans la continuité mais dans le changement pour le marquer, l'inscrire.
J'ai fait le tour des psy, avec des demandes bien précises et je me retrouve au point de départ. Ils ont eu, pour la plupart, la fâcheuse erreur de me dire qu'il n'y avait pas besoin d'être « spécialiste » du deuil pour ma thérapie. Et cela n'a pas manqué, on me parle dépression ce que je n'admets pas. Une m'a dit que je ne voulais pas lâcher mon homme ! Facile, trop simpliste à mon goût ! Quel topos !
Voilà le deuil est résumé, circonscrit chez les psy (enfin les incompétents que j'ai vus), dépression !
Alors, oui, je suis intraitable, je n'accepte pas ces lieux communs, faciles et rassurants pour les autres.
Une autre chose à laquelle je développe une allergie, ce sont les soi-disant phases du deuil.
Elles disent tout et rien en même temps, et surtout brouillent les pistes. Le deuil pour moi est un continuel va-et-vient. Des jours, je me sens d'une énergie débordante, la vie me semble possible et ne me coûte pas d'efforts, et des jours, je sens une chape de plomb sur moi et tout m'insupporte, me semble insipide, vain, vide, et j'invoque mon homme, je l'appelle, je le hèle désespérément.
Le deuil est une chose bien plus subtile qui ne se laisse pas enfermer dans des carcans rassurants.
Il mobilise tellement de choses. La mort nous confronte à l'impossible. Cette fluctuation m'épuise et en même temps, je dois reconnaître que quelque chose se passe, évolue, c'est encore très ténu mais je sens dans ces jours où je vais bien que c'est parce que je sens, que au-delà de sa mort, mon homme est là, je sens son regard bienveillant sur moi comme pour me soutenir dans mes efforts de vie. Et je veux croire qu'il sera toujours là et que rien n'y personne ne pourra me ravir cette douce présence, au-delà de la mort.
Je lis dans tous vos témoignages, toute cette souffrance pour essayer de tricoter avec l'impossible, tous ces questionnements, ces désespoirs mais dans chacun j'y lis un tel amour, une telle recherche de vrai, aussi bien dans la colère, la rage et la douceur, j'y vois, là, la vraie humanité. Merci à vous tous.
Je vous embrasse tous tendrement.