Chers compagnons de route,
Les années ont passé, bientôt trois ans, maintenant.
Trois ans de traversée du désert, de descentes aux enfers régulières, cycliques où le découragement m'assaille, où les forces m'abandonnent où je n'ai plus envie que d'une chose, mourir, m'endormir et ne plus rien ressentir, ni rien éprouver mais surtout que cette douleur cesse.
Et puis parfois, je relève la tête et la vie reprend cahin-caha mais une chose est sûre, c'est une autre vie que la mienne, désormais.
Ces hauts, ces bas m'ont rendue à l'évidence, le passé est définitivement révolu, fini, terminé.
Jusqu'à cette prise de conscience, je pleurais, certes, sa mort, mais je pleurais aussi ma vie passée, ma vie avec lui, ma vie de femme comblée, épanouie et rayonnante.
Je pleurais de frustration, de rage qu'on m'ait arraché non seulement mon homme mais toute cette insouciance de ma vie heureuse. Cette insouciance d'une vie qui ignore la mort, qui se refuse à la voir, qui la nie et la nargue.
Cette insouciance-là n'est plus et ne pourra plus jamais être.
Je crois que c'est en partie cela qui m'a ouvert les yeux et ouvert aussi la conscience.
C'est cette conscience-là qui fait de moi la femme que je suis en train de devenir.
Une femme qui se cherche dans de nouvelles relations, une femme, je ne veux pas paraître prétentieuse, plus clairvoyante, au regard aiguisé sur la vie et les autres.
Je suis devenue à la fois plus vulnérable mais paradoxalement aussi plus forte, plus intransigeante et plus vraie. Le paraître que je n'ai jamais aimé m'est devenu insupportable, le mensonge intolérable et mon regard balaie les faux-semblants. Je me relis et je me dis quelle prétention !
Et pourtant, je sens tout cela. Cette épreuve m'a rendue affreusement exigeante.
Avant si j'avais conscience de mon bonheur, je n'ai jamais réalisé à quel point l'amour que je partageais avec mon homme était exceptionnel. Un amour exigeant, construit, entretenu, un amour inconditionnel, des échanges futiles, anodins, profonds, sincères, des différends aussi que l'on tentait de dépasser mais jamais d'ignorer, un partage fécond et surtout une indépendance et une confiance aveugle. J'étais libre de mes mouvements, libre de mon emploi du temps mais notre amour était le moteur de cette énergie, de cette curiosité qui me poussait au dehors pour venir nourrir notre relation. Je n'étais pas sa moitié. Il n'était pas la mienne. Nous étions bien différents mais cette différence et ce respect de l'espace de l'autre a nourri cet amour qui n'a fait que se renforcer avec le temps.
J'avais le sentiment que c'était normal, que les couples amis autour de nous partageaient ce même amour. Je réalise, aujourd'hui, à quel point ces couples-là sont rares. C'est principalement dans ce forum que je les rencontre. Je découvre ces grandes (courtes ou longues peu importe) histoires, des histoires tronquées, amputées, c'est à travers vos récits poignants que je me sens vraiment au diapason avec vous, inconnus du forum, c'est là que j'entends l'écho de ce que j'ai vécu et de ce que je vis. Je constate aussi avec tristesse et amertume que la plupart des couples vivotent, s'accommodent, voire se supportent.
Je sais aujourd'hui que je veux vivre, je sais aujourd'hui que je veux aimer à nouveau, être aimée en retour mais pas à n'importe quelle condition. J'ai pris beaucoup de distance avec mon cercle social. Je ne veux pas que l'on m'enferme dans celle que j'étais. Continuer à fréquenter certaines personnes que je continue à apprécier, par ailleurs, me coûte parce que j'ai le sentiment que cela appartient au passé. J'ai besoin de rencontrer de nouvelles personnes, de construire un autre cercle qui correspond à cette femme que je suis en train de devenir. Et puis, je suis devenue beaucoup plus solitaire. J'ai besoin de temps et d'espace pour accueillir ce renouveau. J'ai besoin d'apprivoiser ce changement.
Je me serai bien passée de cette épreuve, j'aurais tellement aimé vivre encore à ses côtés mais j'ai arrêté de me taper la tête contre les murs, arrêter de hurler à l'injustice. Oui, je pleure encore, oui je suis triste encore, 3 ans c'est long et c'est court, 23ans de vie commune, j'ai eu le temps de m'accoutumer au bonheur.
J'ai choisi de lui survivre, pour moultes raisons, la première, notre fille, je suis le parent survivant.
Je ne lui ai pas caché ma tristesse. Je ne lui ai pas caché ma détresse mais je suis restée debout.
Je l'ai fait certes par devoir mais surtout par amour. Cette survivance me coûte une énergie folle mais je sens que je retombe petit à petit sur mes pieds. J'ai la chance d'avoir un métier que j'aime. Je dirais même que c'est le seul point stable après ce tsunami. Dans mon métier, je suis restée identique, dans mon métier je me reconnais, j'ai un point d'ancrage et je crois que cela m'a été d'un grand secours.
J'ai même tissé une relation amoureuse, mais notre histoire et la femme que je suis, m'a rendue exigeante, je ne veux pas d'un soutien, je ne veux pas juste d'un réconfort. Je ne veux pas être rassurée, je veux une vraie histoire qui me fasse palpiter. Je veux retrouver cet amour fort et intense, je sais que cela est possible. Et si je ne rencontre pas l'homme et bien je préfère rester seule, je ne suis pas prête à des compromis de confort. Ils me coûtent de ne pas pouvoir me regarder dans la glace. En ce moment, je serre les dents, je serre les poings mais j'ai le sentiment d'avancer un peu.
J'ai trouvé une aide fabuleuse en une psychiatre très compétente. Elle ne m'abreuve pas d'antidépresseurs mais elle m'aide à connaître celle que je suis. Je me reconstruis grâce à ces entretiens féconds, douloureux mais porteurs. Cette thérapie pour moi est salutaire. Un bon psychiatre, je pense que c'est précieux.
Voilà, je tenais à vous partager cela, je continue à parcourir le forum, le coeur gros souvent, aucune histoire ne me laisse indifférente, elles parlent toutes d'amour et encore d'amour, ce moteur qui nous permet d'être au monde même si on nous a arraché un essentiel à nos vies.
Tendrement.
Piera