Bonjour Yentel, bonjour tout le monde (comme tu dis si bien Yentel)
Je n'ai pas vraiment grand chose à ajouter aux commentaires précédents, dans lesquels je me retrouve bien évidemment au bout de 15 mois de deuil.
Je chemine, comme tout un chacun, à ma façon, unique car il n'y a pas un standard du deuil comme pour la mode. Il y a des étapes à franchir, une transformation intérieure importante à mettre en place (qui se met en place à nos cœur et corps défendant parfois) et la certitude que le deuil n'a pas de fin.
J'ai parfois, comme vous, peur de l'avenir avec la furieuse envie de me réfugier dans le passé, et puis, un autre jour se lève, où je me surprends à sourire, à rire, à ne pas être si mal en point que cela ... Au bout de 15 mois, je ne sais toujours pas qui je suis vraiment maintenant ni ce que je veux pour la suite de ma propre vie, puisqu'il est manifeste que j'ai un sursis par rapport à l'homme que j'aimais et que j'aime toujours. Pour autant, j'essaie de ne pas perdre de vue que je ne connais pas ma date de péremption et que peut-être que je vivrais centenaire mais que, peut-être aussi, je décèderais avant la fin de cette journée ou demain... je tache donc, au bout de ces mois de déchirement et de transformation, de ne garder que le positif du passé et de vivre dans le présent... autant que faire se peut ... avec toutes mes imperfections et celles du Monde dans lequel j'évolue.
Au fur et à mesure d'un temps que nous ne mesurons pas et ne maîtrisons pas, nous allons moins mal ou mieux et la vie revient, mais pas comme "avant". Il y a du plaisir à se promener dans la nature, à échanger avec l'entourage (pas forcément le même "qu'avant"), à voyager, à lire ... la douleur se transforme, la tristesse et le chagrin reviennent par vagues qui nous ébranlent mais ne nous détruisent plus, le questionnement sur soi, sur le sens de la vie, sur l'avenir devient prégnant. La plaie béante est en cicatrisation, elle saigne parfois encore mais plus de son flot difficile à interrompre des premiers mois. Il faut juste éviter de gratter cette fragile cicatrice pour l'instant, un simple frôlement parfois suffit à raviver...
Pour qui veut comprendre intellectuellement ce qu'est le deuil (et notamment le deuil de la personne aimée) l'ouvrage du Dr Fauré est en effet un incontournable (et le seul à lire si on ne veut/peut qu'en lire un seul).
Lorsque je pense à ce que tu vas faire Yentel : partager ton expérience pour tenter de faire évoluer une situation précise mais aussi essayer de changer le regard du personnel de ton établissement, je me souviens d'un échange que nous avions eu sur "le sens" de nos deuils. Un des sens du tien est peut-être de faire bouger les marques, là, tout près de toi, pour ce monsieur et pour d'autres
C'est une très belle initiative.
J'ai envie, en guise de pierre à l'édifice, de rappeler des éléments déjà évoqués mais que l'on perd parfois de vue :
- le personnel soignant en tant que tel n'existe pas. Il est composé d'hommes et de femmes avec leurs connaissances, leurs compétences, leur histoire, leur vécu actuel bref leur individualité.
Sa formation "au deuil" est avant tout : brève ou inexistante, peut-être très ancienne, probablement essentiellement théorique. Cette formation se télescope avec sa propre approche de la mort (selon qu'il l'a déjà côtoyée dans son environnement personnel ou pas, selon la façon dont sa propre mort est envisagée ...).
Il ne sait pas faire, dans la grande majorité des cas, parce qu'il ne sait pas tout simplement. Comme nous ne savions pas nous même avant de vivre ce tsunami. Nous aussi nous avons peu accompagné ou mal accompagné ou été maladroit parce que nous ne savions pas, intimement, profondément, dans notre cœur, dans notre corps, ce que c'était concrètement que de perdre un être cher, l'être qui nous était le plus cher.
Il est donc sans doute nécessaire de ne pas blâmer la manière dont le personnel soignant s'y prend mais de partir du postulat de l'ignorance et de partir des représentations existantes pour apporter ensuite les connaissances : livre Dr Fauré, témoignages (le tien Yentel, ceux du forum, peut-être y a t'il aussi dans ton établissement d'autres endeuillés de l'être cher qui, s'ils sont doucement sollicités, pourraient communiquer leur vécu ...).
- cet homme de 69 ans a perdu sa femme. Nous ne savons rien de lui mais il semble indispensable en effet d’ôter l'étiquette qui lui a été collée de "dysfonctionnel dans le deuil". Cet homme a besoin qu'on le voit avec compassion , que l'on voit derrière ce qu'il est aujourd'hui l'homme amoureux qu'il a été un jour, le mari dont la femme était peut-être le pivot de l'existence. Il est maintenant en double peine : il a perdu sa moitié et il est enfermé dans un lieu qui ne lui parle de rien, ni de personne.
Il me semble important de nouer un dialogue avec lui, de l'autoriser (et de l'aider un peu) à raconter sa vie, parler de sa femme, de leur histoire... car comment peut-il avancer si tout reste bloqué à l'intérieur ? Son monde s'est écroulé il y a si peu de temps.
Ce relationnel à mettre en place n'est pas que de ton ressort Yentel (attention de toujours te préserver dans tes actions), les membres du personnel que tu auras réussi à sensibiliser seront de précieux alliés. Si ce monsieur a encore de la famille, il est peut-être possible de faire du lien de ce côté là aussi. Et puis, pour le quotidien, si un autre endeuillé de la structure peut échanger avec lui de temps à autre ... ils se feront du bien mutuellement car ils seront dans la compréhension immédiate.
Je te souhaite du succès dans ce beau projet humain (tu viendras nous raconter les avancées et les inévitables déboires) et à cet homme la possibilité de cheminer à son rythme dans la bienveillance.
Je t'embrasse bien fort la belle et te souhaite (ainsi qu'à tout le monde) une journée la plus douce qui soit dans les tumultes du moment.
Prenez soin de vous du mieux possible
Bises