FORUM "LES MOTS DU DEUIL"
Comprendre et vivre son deuil => Vivre le deuil de son conjoint => Discussion démarrée par: piera le 06 septembre 2015 à 13:58:56
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En ce moment j'ingère, j'écoute, je rumine toutes ces lectures, toutes ces conférences, qui se heurtent dans ma tête en chantier pour y trouver une lueur qui me parle.
Je suis très partagée dans ce qui m'arrive, comme divisée ou plutôt écartelée, dans écartèlement j'aime cette image de douleur, de séparation obligée, et ça dit bien comment je me sens aujourd'hui. J'entends le monde qui m'entoure m'inviter à la ronde de la vie, à être cette femme pleine d'énergie que j'ai toujours été, débordante je dirai même, mais leurs mots restent muets. J'ai le sentiment qu'avec la mort de Pierre plus rien ne sera comme avant parce que RIEN ne peut être comme avant. C'est comme si, moi aussi, j'étais passée de l'autre côté du miroir et je ne peux plus voir la vie qu'au travers de cet écran qui lui a enlevé toutes ces couleurs. J'ai découvert dans un article qui évoque le texte Expérience qu' Emerson a écrit à la mort de son fils des mots qui résonnent en moi de manière tragique : « la mort de l'être cher ne lui fait plus mal en elle-même mais elle a rendu le monde inhabitable, elle s'étend comme une nuit sur toutes choses. Emerson nous dit que la pensée de la mort de son fils ne l'atteint pas et c'est sans doute vrai. Mais plus rien ne l'émeut. Il n'a plus goût à rien. Ses sentiments sont inertes. La mort de son fils a cassé un ressort et toute idée d'une harmonie ou d'une fusion naturelle avec le monde est désormais perdue. Il ne s'agit même plus de désespoir – c'est au-delà. Tel est le dur enseignement de l' « expérience » qui donne justement son titre à l'essai.
Voilà, je vais de ce pas me procurer Expérience pour en faire ma lecture et sonder ce désespoir-là dont aujourd'hui je me sens si proche.
Je constate aussi à quel point, le monde autour de moi est ébranlé de ma détermination à vivre ce deuil, à l'accueillir et à ne pas l'escamoter. J'ai décidé d'arrêter pour un temps mon activité professionnelle, pourtant que j'aime énormément, mais j'y renonce parce que je suis totalement incapable de la faire correctement et ça c'est pour moi inadmissible. Je ne veux pas faire les choses à moitié sous prétexte que mon métier sera ma thérapie ou un dérivatif à ma douleur. Le sentiment aussi très fort que de continuer « dans la vie » est très rassurant pour l'entourage, montrer que c'est possible, que la vie continue. Pour moi aujourd'hui, c'est tout simplement IMPOSSIBLE. Et je refuse de répondre à ces injonctions, ma vie doit être repensée, resondée à l'aune de cette mort. Je veux lui donner la place qui lui revient et aujourd'hui elle occupe TOUT mon espace de vie. On escamote la mort parce que tout un chacun y sera confronté un jour ou l'autre et quand on n'est pas au bord du gouffre, on préfère l'oublier ou la nier. Mais moi précisément je suis au dessus de ce puits béant et je ne peux que m'y regarder. Pierre est mort voilà ce que reflète ce puits, il est passé de l'autre côté et m'a laissée sur la rive impuissante à le rejoindre. J'ai choisi de ne pas le rejoindre dans la mort et je m'aperçois de l'immensité de la tâche qui m'attend à lui survivre. Ce n'est pas seulement la mort de Pierre qui me touche aujourd'hui mais bien le fait qu'en effet et là je rejoins Emerson le monde m'est devenu inhabitable. Je sais que si je veux continuer à vivre, je dois retrouver une place, une autre définition de moi-même, je ne serai plus JAMAIS celle que j'étais, c'est aujourd'hui une évidence pour moi.
Chers compagnons de route, navrée de vous asséner ma "sombritude" mais vous êtes passés aussi de l'autre côté et vous me serez indulgents. Je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.
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Ça me donne envie de lire celui qui met en mots ce que j'ai ressenti et ressens encore de ce monde devenu inhabitable, inhospitalier; étrange,dévitalisé....par la mort ...
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Chère Piera,
Cette fameuse Expérience ...
Je la fais aussi, même si j'essaie d'être "gaie". (quand je peux!)
Dans la sombritude, nous n'existons presque plus ... mais ce qui subsiste est tellement INTENSE !
Et ce petit rien qui subsiste contient un monde réfracté, condensé et subtil, vibrant et enivrant de splendeurs ...
Il reste une émotion qui nous chavire, nous effraie et nous émerveille.
Et qui n'a pas sa place dans "le monde d'avant", ni dans "celui des autres".
Mais elle est toute petite.
Et elle est fragile.
Prends bien ton temps, et il est très sage de vivre pleinement et sans tricher, la peine.
Martine.
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Je lis des messages qui me désolent suite à mon nouveau sujet.
Je n'aimerai surtout pas faire resombrer ceux qui ont déjà fait tout un cheminement dans ce long parcours. Mon souhait le plus cher est celui de partager pas de vous contaminer par ce désespoir que je ressens AUJOURD'HUI, chers compagnons de route.
J'aimerai vous dire comme je l'ai déjà dit dans un précédent sujet que je ne suis qu'aux balbutiements du deuil et mon « désespoir » et ce que je ressens sur le monde inhabitable pour moi, c'est moi aujourd'hui. Même la nature, que j'aime tant, ne m'offre pas d'exutoire pour l'instant et je dis bien pour l'instant !
Je me sens en morceaux, en fragments et j'ai besoin de me réunir pour me trouver ou me retrouver peut-être.
Je ne suis pas que cloîtrée, même si j'aime cet état de clausura parce qu'il me reproche de mon Pierre.
Je VIS aussi. Je m'occupe de ma fille, je l'entoure, je la cajole et je l'aime. Je vois mes amis, je passe des soirées avec eux où je suis présente et aimante.
MAIS il n'en demeure pas moins que comme le dit Emerson (je précise que je n'ai pas lu, j'ai entendu Cynthia Fleury en parler et cela m'a donné envie de le lire) un ressort s'est brisé, irrémédiablement, je ne le sais pas encore. Ce que je sens aujourd'hui, c'est qu'un voile est tombé sur la vie et sur le monde pour moi, peut-être se lèvera-t-il, peut-être arriverai-je à le traverser et regagner cette confiance, cet amour de la vie qui m'habitait.
Voilà, chers compagnons de route, je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.
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j'ai imprimé cet essai de Emerson que je lirai ce soir...merci pour cette découverte...
la noirceur de la vie sans eux est une réalité... et le dire ne nous fait pas resombrer plus...au contraire même pour moi, ça me rassure de voir d'autres éprouver les mêmes tourments , ça met des mots dessus, bien plus justes que les miens...
Le ressort brisé et le monde inhabité sont des images qui me parlent bien...et j'aime les images , elles sont plus parlantes que de longs discours...
Quand tu l'auras lu, on pourras échanger autour de cette lecture.... si tu veux!
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Chère Pierra
Intéressant cet essai Emerson ... Je vais essayer de lire ...
Quand on se retrouve finalement amputé de note vie d'avant ... Et se dire ,Qu' il faut que je réapprenne à marcher ... La ,je trouve vraiment le mot courageux adapté... Pour ma part je ne sais pas comment me redéfinir , retrouver une place... Pour l'instant .... Ca viendra , sans doute .....
Merci
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j'ai essayé de lire ce texte et je n'y arrive pas...
trop dense ?
cervelle de moinelle déprimée?
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Je constate avec une certaine consternation à quel point on a « éliminé » la mort de notre espace, de notre vie. Et ça ça me met prodigieusement en colère. Les gens ne savent pas comment se comporter avec un endeuillé parce que la mort est devenue la grande absente. Elle a déserté nos espaces de vie comme si elle faisait tache. Elle est devenue cette grande inconnue, tabou de nos sociétés vernissées, aseptisées et déritualisées. On a jeté les rites mais on ne sait plus quoi faire de nos morts ni comment faire avec nos morts. Quand on meurt à l'hôpital. On vous range très très vite dans une housse et on vous descend manu-militari aux sous-sols. Le temps du recueillement queud ! Pas le temps, le mort n'attend pas ! On ne voudrait pas traumatiser. Les traumatismes, je crois que le déni est le premier pas vers le traumatisme quant à moi !
Quand vous mourez à la maison, les pompes funèbres vous pressurisent et ne vous donnent pas d'alternative. J'ai dû batailler pour qu'on me laisse mon homme. J'ai quémandé des plaques réfrigérantes mais ça n'était pas possible. J'étais la première, la seule à réclamer de garder mon mort !!! Est-ce vrai ce mensonge ? Alors j'ai pu grappiller quelques heures et leur rendre mon homme pour qu'ils le rangent mort parmi les morts dans l'espace dévolu aux défunts, chambre funéraire aseptisée, numérotée.
Quand j'ai dit que je voulais assister à la crémation, là aussi résistance, on m'a dit que je n'avais pas le droit ! Je ne me suis pas laissée démonter une minute. Et j'ai obtenu sans difficulté aucune, auprès d'une personne intelligente, la possibilité d'y assister.
Oui. la mort effraie, la mort fait peur, elle fait partir en courant.
Cette difficulté que nous rencontrons nous endeuillés découle de cet état de fait. La mort n'a plus sa place. Quand je pense à toutes les traces de nos civilisations passées ne sont-elles pas précisément pour la plupart celles laissées par les anciens du culte dévolu à leurs morts ?
Pyramides, nécropoles, mausolées, les contemporains se les sont appropriés comme témoins ou objets d'étude, d'une époque, d'une civilisation mais les rites qui en découlent nous sont désormais étrangers et sont désormais désuets, révolus.
On ne cultive plus la mort, on la nie. Et nous endeuillés, séchons nos larmes parce que ça fait désordre !
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Chère Souci,
Dans ma sombritude, je n'ai pas vu ton mot !
C'est dire que le voile me cache lumière et couleur, qu'irradie ton pseudo d'ailleurs.
Pas choisi par hasard cui-là! Il te va et tu le portes comme un gant et je crois savoir (mon petit doigt me le dit) que tu n'ignores pas tout ce dont il regorge.
Oui, ce petit rien deviendra peut-être mien...
Pour l'heure, je suis en jachère. J'erre de livre en livre, je me perds, je me trouve.
Je suis tout à la fois fâchée (oui grr!), triste, mais gaie aussi, mon rire éclate encore, sonore et désespéré parfois !
Je sens aussi que je n'ai pas encore métabolisé la mort de mon homme. Trop tôt, pas encore le sentiment de l'absence irréversible. Je suis encore dans « l'année de la pensée magique » où quand j'entends un cliquetis à la porte, instinctivement, mon coeur me dit c'est lui et alors je réalise que demain sera plus dur qu'aujourd'hui...
Bisoux doux
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Federico,
Je n'ose imaginer ce 28 janvier !
Mais j'ai envie de vous dire bravo ! Oui un grand bravo !
Oui, ramener Raphaël chez vous, auprès des siens et que les gens qui l'aiment puissent lui dire un dernier adieu chez lui. Vous êtes beaux d'humanité !
Merci de ce témoignage, merci pour ce baume au coeur.
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Bonjour
Je vous lis et trouve admirable la façon dont vous décrivez vos états d'ame, ce n'est pas toujours facile de décrire tous ces rensentis par des mots surtout lorsque l'on a le cerveau en compote, complètement embrouillé par la disparition de nos amours.
Tout ce que je peux dire aujourd'hui c'est qu'au bout de 13 mois d'absence il est toujours avec moi où que j'aille et quoique je fasse.... toujours.... il ne me quitte jamais et quand je ne vais pas bien il me dit "allez bouge toi un peu, ne reste pas dans cet état !!" et je repars.....
Douce journée.....
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Vos messages sont tellement beaux,
on ne sera plus jamais les mêmes,
pour ma part je ne sais plus qui je suis , ni ce que je souhaite,
je flotte d'un endroit à l'autre, je travaille énorrméméent pour fuire le vide,
qui quand je rentre m'écrase le coeur,
Tantôt je veux vivre intensément ,
tantôt je voudrai mourir, parfois je ris parfois je pleur,
Tout va et viens et rien est sur,
tout est incertain,
le manque est inimaginable
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Bonsoir Anouka,
Tu as raison ce que tu dis là nous le vivons tous et toutes, moi je dis souvent que je suis un zombie sur terre, une âme perdue n'attendant qu'une chose, les retrouvailles avec ma chérie
Amialement,
fred
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Je suis là devant cette feuille blanche, je me suis promise un rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur. J'ai toujours besoin d'action même si celle-ci se résume, en ce moment, à l'écriture. Je suis dans la phase où tout me coûte une énergie indépassable, insurmontable, même mes mains sur le clavier sont atones et se meuvent avec difficulté. Je cherche les lettres, je cherche les mots, ils me viennent dans la tête, mais je ne sais plus les écrire, c'est dire que ma tête flambe !
Hier, j'ai été à la cérémonie d'adieu de la mère d'un ami, nous avons fait 8h de route aller-retour mais c'était impensable pour moi de ne pas être présente auprès de lui. Je me suis retrouvée dans un petit village jurassien. La cérémonie a été menée de bout en bout par un curé de campagne, des lectures exclusivement bibliques, des passages sur l'amour, le pardon, sur la résurrection, sur l'amour de dieu surtout, sur le sacrifice du Christ, sur cette vie qui nous attend après, cette consolation que la religion chrétienne tente de nous offrir face à cette mort si cruelle. Je me sentais étonnamment détachée, ces discours glissaient sur moi sans provoquer la moindre émotion, la moindre larme.
Mais pourquoi ? Pourquoi un tel détachement ?
J'ai d'abord cru que c'était ma position d'incroyante qui me mettait à l'abri de la portée de ces paroles. Mais non ! Ce curé parlait de la mort comme d'une étape inéluctable, ni injustice, ni récrimination simplement qu'elle est inhérente à notre condition d'humain. Au-delà de la portée théologique que ce discours véhicule et à laquelle je n'adhère nullement, j'y ai entendu peut-être pour la première fois un simple retour à la réalité de notre condition, j'ai entendu pour la première fois l'essence de ce discours, qui en fait au même titre que les mythes véhiculent des histoires, pour nous mettre aux prises avec la réalité de notre condition humaine dont la principale est d'être mortel.
Nous vivons tous avec cette épée de Damoclès et nos aimés ne sont pas épargnés. Pierre est mort mais en choisissant de l'élire comme mon compagnon de vie je prenais aussi le risque de pouvoir le perdre un jour. C'est comme ça ! Et même si cette mort m'est insupportable, elle est dans le cours de notre vie ni JUSTE ni INJUSTE. Elle est tout simplement ! Et nécessité m'échoie de me penser et de penser ma vie à l'aune de cette prise de conscience qui était là pourtant mais sous-jacente!
Et le fait qu'elle remonte à la surface me permettra j'espère d'accepter les conséquences que cet état de fait implique, cela ne veut pas dire absence de douleur mais c'est déjà un petit pas vers la réconciliation avec la VIE.
Et je me souviens de la naissance de ma fille.
Je me souviens que quand je l'ai serrée pour la première fois dans mes bras, j'ai senti toute la puissance et la fragilité de la vie, j'avais touché du doigt à cet inéluctable de la VIE. Face à cet être si vulnérable qui n'avait rien demandé, je me sentais PLEINEMENT responsable de ce choix de la vie que j'avais décidé pour elle. Je me sentais aussi responsable à l'égard de mon homme qui ne s'était résolu à sa paternité que par amour pour moi. Attention ! je ne regrette rien parce que cette paternité qu'il ne désirait pas, il l'a vécue comme un grand, il a su en retirer une joie immense. Et je comprends seulement maintenant à l'aune de sa mort que son angoisse d'être père était peut-être aussi due à cela !
Mais je me souviens très bien et ce n'est qu'aujourd'hui, penchée sur ce puits sans fond, que je comprends mon désarroi d'alors. En lui offrant la vie je lui offrais aussi la mort.
Voilà sur ces pensées très gaies, je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.
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Moi aussi j'ai rendez vous chaque jour....
"un rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur"
qui passe par l'écriture et d'autre choses encore...
j'aime l'image du magma..; bien noir, bien fumant, bien épais, bien bouillant...
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Pierra
Tu as dit qq chose de si vrai ... C'est ce que j'ai ressentie "en donnant la vie on donne aussi la mort"...
Tout en étant conscient que nous sommes pas éternel ... ....
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Ta pensée se rapproche des paroles qu'un ami me dit souvent, sans doute pour tenter de me consoler " On mourra tous un jour ".
Certes. Ce fait je l'ai "accepté". La mort fait partie de la vie, elle n'est ni juste ni injuste, elle est dans le cours des choses.
Je crois que même sa mort je l'ai " acceptée ", comme j'accepte de souffrir de cette mort parce que cette souffrance symbolise le lien, l'amour que nous avions l'un pour l'autre.
Pourtant, je n'accepte pas qu'il soit mort en pleine force de l'âge, et j'accepte encore moins la mort d'un enfant.
Et surtout je n'accepte pas la souffrance qu'il a subie, cette pensée m'est toujours intolérable, elle me poursuivra toujours, même si j'arrive maintenant à un peu mieux la gérer.
Voir souffrir quelqu'un qu'on aime est insupportable.
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Cet état de fait n'enlève rien ni à l'intensité de la souffrance ni à la douleur ni au désespoir qui peut nous étreindre.
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Non, cela nous aide à faire, comme tu l'as dit, un pas vers la réconciliation avec la vie.
Mais le fait de ne pas trouver la mort injuste ne nous dispense pas de la douleur.
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Entre cette phrase de convenance « nous mourons tous un jour » , superficielle, de surface parce qu'elle n'a pas véritablement pénétré la conscience et cette véritable prise de conscience pour moi lors de cette cérémonie réside précisément cette fracture névralgique du monde des autres comme nous les nommons ici et de ceux qui traversent « tripalement » l'expérience de la mort.
Aussi je me dis nous faut-il passer nécessairement de l'autre côté du miroir pour appréhender véritablement cette réalité de notre condition de mortel ?
Cette vérité sur la condition humaine ne peut-elle être entendue que dans l'expérience du déchirement qu'entraîne la mort d'un être qui nous était cher et indispensable ?
Et j'ai envie de pousser plus loin ma réflexion (parce que j'ai le sentiment de toucher du doigt au noeud gordien de ma vie ) faut-il nécessairement passer par cette expérience de la mort déchirante, de la mort sismique, de cette mort qui nous bascule de l'autre côté du miroir pour comprendre et pénétrer la préciosité de la vie ?
Mais alors comment l'atteindre cette magie de la vie quand précisément cet être qui nous est ravi, quand ce manque incommensurable de cet être, nous laisse précisément exsangue, sans vie, hagard et nous enlève désormais le goût de tout ?
A mûrir...
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Très chère Pierra
J'apprécie ta dissection chirurgicale du deuil ....pour ma part je sais que l'amour, lui ,ne meurt jamais ...
L'amour que nous portons à l'être mort , nous fait sombrer dans un gouffre sans fin et c'est ce même amour qui nous remet debout ....
Le risque de la vie , nous l'avons pris consciemment ou inconsciemment ... Mais jamais nous avons pu imaginer que cela pouvait nous atteindre mal grès les cimetières .... En réalité,nous vivons dans une amnésie générale ... Et le réveil fait mal, au moins nous avons su aimé
Ma chère pierra, parfois ,je me dis mais de toute façon moi aussi je vais un jour mourrir ... Que reste t il ? Que vais je vraiment garder ou abandonner ?
Je pense que la magie de la vie , c est de faire en sorte de réaliser un bon voyage .... L'amour ... Donner en amour , continuer à donner .....,peut être es cela le secret de la magie, mal grès ,la mort des femmes ,donnent encore la vie .....
Mon humble point de vue ....
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Quand nos enfants sont nés, chacun de nous a été heureux de leur donner la vie. Pas un moment nous avons pensé que nous leur apportions également la mort. Chaque jour nous avons tout fait pour qu'ils apprécient les beautés de la vie et qu'ils l'aiment. Quand est survenu la mort de leur père, j'ai soudain regretté de leur avoir donné la vie, cette vie qu'ils n'ont pas choisi, cette vie d'orphelin et ma souffrance pour eux est énorme !! En effet pourquoi avons nous oublié qu'en leur donnant la vie, on leur apportait également la mort ?. oui pourquoi ?
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Chère Aujardin,
J'ai eu ce même sentiment que toi, désormais ma fille est orpheline et elle grandira sans son père. Elle a 15ans. Je sais qu'elle souffre de sa disparition mais tout comme lui c'est une taiseuse ! Elle a l'air de vivre très bien sa vie d'ado, elle est tellement fière d'être enfin au lycée avec les grands et de suivre des cours plus intéressants qu'au collège. Elle semble tout à fait équilibrée et j'essaie d'être le plus disponible possible pour elle.
Sa meilleure amie a perdu son père et sa mère. Elle aussi semble s'épanouir parfaitement.
Leur vie sociale est très importante et c'est aussi et beaucoup dans leur cercle d'amis, de camarades d'école qu'ils trouvent un équilibre. Ma fille refuse que je parle à ses profs du fait qu'elle vient de perdre son père. Elle me dit j'aimerais être traitée comme tout le monde et surtout pas que l'on s'apitoie sur moi.
Je pense qu'elle a raison. J'avais réagi de la manière à la mort de mon père mais j'étais plus âgée.
Je pense qu'on doit leur faire confiance parce qu'ils ont de la ressource et nous aussi toutes meurtries que nous sommes !
Je te serre bien fort dans mes bras.
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La mort de Pierre m'oblige à trouver toute ma place en tant que sujet.
Elle m'oblige à me repositionner.
J'ai fait le choix de ne pas le rejoindre dans sa mort, j'ai fait le choix de la vie et de lui survivre, aussi j'ai désormais la responsabilité de vivre et de m'assumer pleinement.
Aujourd'hui, depuis cette épreuve et avec elle, depuis que j'ai été arrachée à mon homme que j'aime si intensément, je suis là seule face à moi-même. Je n'ai plus sa présence entourante, bienveillante et aimante pour me rassurer, m'aider, me réconforter. Je ne peux plus lui partager ni joies, ni peines, ni idées, ni réflexions Je deviens ma seule et principale interlocutrice. Je suis obligée de trouver en moi réponses aux interrogations qu'il m'aurait aidée à élucider.
Or étonnamment, je découvre que ce rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur me devient doux et porteur. Je me découvre, et de plonger dans mon puits intérieur m'oblige à trouver en moi, et en moi seule, les ressources pour affronter cette vie désormais sans lui. Et cette solitude, qui désormais est mienne, m'oblige et m'autorise à me redécouvrir et à me redéfinir.
Je dois me positionner en tant que sujet plein et entier face à tout ce qui s'impose à moi.
Je suis désormais seule dans l'éducation de ma fille, seule face à des décisions à prendre, face à des projets à entreprendre, toutes ces prises de position que jusqu'alors nous avions toujours menées à deux, m'échoient toutes entières.
Cette solitude m'impose une discipline de fer. De là vient aussi ce besoin, cette nécessité d'être seule et de n'accepter aucun dérivatif à mon nouvel état. Je suis devenue le cerbère de mon espace intérieur et je le défends bec et ongles. Je n'autorise aucun parasitage avec cette urgence de me trouver et de me redéfinir. Je sens que c'est en m'écoutant et en me secondant moi-même que je trouverai véritablement la voie pour lui survivre. Toute mon énergie se trouve mobilisée par cette urgence-là. Je délaisse pour l'heure tout ce qui ne participe pas à ce travail. Moi l'active, l'amoureuse des grands espaces, je me retrouve tous les jours devant ma feuille blanche à apprendre à me redessiner dans un dessein de survie mais d'exploration aussi. Le désert de son absence m'ouvre l'espace intérieur de mes ressources inexplorées jusqu'alors. Je veux être convaincue aujourd'hui que là se trouve la voie de l'apaisement pour moi.
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Une amie m'a demandé ce matin comment j'allais. J'ai été incapable de lui répondre bien ou mal. Alors, je lui ai répondu : « je suis sans état d'âme. » Et c'est bien comme ça que je me sens. Protection ?
Quand Nora a parlé de la souffrance de son amour, cela m'a bouleversée et c'est là que j'ai réalisé à quel point j'essaie de mettre en sourdine toute cette douleur, cette souffrance.
Je ne peux pas regarder en arrière ni en avant. Je suis au présent et je « fonctionne » parfaitement enfin presque. Je m'occupe de tout, je gère, je fais des petits plats, je vois des amis mais c'est comme si j'étais à moitié là, éteinte, c'est peut-être le terme ! Anesthésiée encore...
Je vous embrasse
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En ce moment j'ingère, j'écoute, je rumine toutes ces lectures, toutes ces conférences, qui se heurtent dans ma tête en chantier pour y trouver une lueur qui me parle.
Je suis très partagée dans ce qui m'arrive, comme divisée ou plutôt écartelée, dans écartèlement j'aime cette image de douleur, de séparation obligée, et ça dit bien comment je me sens aujourd'hui. J'entends le monde qui m'entoure m'inviter à la ronde de la vie, à être cette femme pleine d'énergie que j'ai toujours été, débordante je dirai même, mais leurs mots restent muets. J'ai le sentiment qu'avec la mort de Pierre plus rien ne sera comme avant parce que RIEN ne peut être comme avant. C'est comme si, moi aussi, j'étais passée de l'autre côté du miroir et je ne peux plus voir la vie qu'au travers de cet écran qui lui a enlevé toutes ces couleurs. J'ai découvert dans un article qui évoque le texte Expérience qu' Emerson a écrit à la mort de son fils des mots qui résonnent en moi de manière tragique : « la mort de l'être cher ne lui fait plus mal en elle-même mais elle a rendu le monde inhabitable, elle s'étend comme une nuit sur toutes choses. Emerson nous dit que la pensée de la mort de son fils ne l'atteint pas et c'est sans doute vrai. Mais plus rien ne l'émeut. Il n'a plus goût à rien. Ses sentiments sont inertes. La mort de son fils a cassé un ressort et toute idée d'une harmonie ou d'une fusion naturelle avec le monde est désormais perdue. Il ne s'agit même plus de désespoir – c'est au-delà. Tel est le dur enseignement de l' « expérience » qui donne justement son titre à l'essai.
Voilà, je vais de ce pas me procurer Expérience pour en faire ma lecture et sonder ce désespoir-là dont aujourd'hui je me sens si proche.
Je constate aussi à quel point, le monde autour de moi est ébranlé de ma détermination à vivre ce deuil, à l'accueillir et à ne pas l'escamoter. J'ai décidé d'arrêter pour un temps mon activité professionnelle, pourtant que j'aime énormément, mais j'y renonce parce que je suis totalement incapable de la faire correctement et ça c'est pour moi inadmissible. Je ne veux pas faire les choses à moitié sous prétexte que mon métier sera ma thérapie ou un dérivatif à ma douleur. Le sentiment aussi très fort que de continuer « dans la vie » est très rassurant pour l'entourage, montrer que c'est possible, que la vie continue. Pour moi aujourd'hui, c'est tout simplement IMPOSSIBLE. Et je refuse de répondre à ces injonctions, ma vie doit être repensée, resondée à l'aune de cette mort. Je veux lui donner la place qui lui revient et aujourd'hui elle occupe TOUT mon espace de vie. On escamote la mort parce que tout un chacun y sera confronté un jour ou l'autre et quand on n'est pas au bord du gouffre, on préfère l'oublier ou la nier. Mais moi précisément je suis au dessus de ce puits béant et je ne peux que m'y regarder. Pierre est mort voilà ce que reflète ce puits, il est passé de l'autre côté et m'a laissée sur la rive impuissante à le rejoindre. J'ai choisi de ne pas le rejoindre dans la mort et je m'aperçois de l'immensité de la tâche qui m'attend à lui survivre. Ce n'est pas seulement la mort de Pierre qui me touche aujourd'hui mais bien le fait qu'en effet et là je rejoins Emerson le monde m'est devenu inhabitable. Je sais que si je veux continuer à vivre, je dois retrouver une place, une autre définition de moi-même, je ne serai plus JAMAIS celle que j'étais, c'est aujourd'hui une évidence pour moi.
Chers compagnons de route, navrée de vous asséner ma "sombritude" mais vous êtes passés aussi de l'autre côté et vous me serez indulgents. Je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.
Moi aussi je sens que la vie passe autour de moi, pire cela ce passe dans mon corps! Dans mon intérieur, dans mon ventre la vie continue!!! C'est affreux, et moi je suis incapable de la célébrer, de retrouver la joie de vivre, de sentir le bonheur, c'est impossible sans lui, je regarde a travers ce vitrage obscure, sombre, attristé, démunie , la famille continue a s'agrandir, nos enfants sans si petits et on besoin comment moi, son papa, mais il manque une pièce, je dois garder et continuer cela sans lui
C'est si injuste...
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Oh Gwenn !
Nous sommes en dents de scie. Vous êtes dans un moment de découragement et c'est normal.
Vivez votre tristesse mais sachez aussi vous donner le droit d'accueillir ce bonheur de donner naissance à votre bébé et de le choyer. Il a déjà perdu son papa mais sa maman est là !
Et je suis sûre qu'il sent tout l'amour que son papa lui porte.
Les enfants sont des éponges, ils perçoivent tout et au-delà de votre tristesse il sentira tout l'amour que ses parents se vouaient, il en est le fruit.
Nos enfants ont besoin de nous, survivants de notre amour.
Je pense très très fort à vous. Tendrement.
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Je suis là devant cette feuille blanche, je me suis promise un rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur. J'ai toujours besoin d'action même si celle-ci se résume, en ce moment, à l'écriture. Je suis dans la phase où tout me coûte une énergie indépassable, insurmontable, même mes mains sur le clavier sont atones et se meuvent avec difficulté. Je cherche les lettres, je cherche les mots, ils me viennent dans la tête, mais je ne sais plus les écrire, c'est dire que ma tête flambe !
Hier, j'ai été à la cérémonie d'adieu de la mère d'un ami, nous avons fait 8h de route aller-retour mais c'était impensable pour moi de ne pas être présente auprès de lui. Je me suis retrouvée dans un petit village jurassien. La cérémonie a été menée de bout en bout par un curé de campagne, des lectures exclusivement bibliques, des passages sur l'amour, le pardon, sur la résurrection, sur l'amour de dieu surtout, sur le sacrifice du Christ, sur cette vie qui nous attend après, cette consolation que la religion chrétienne tente de nous offrir face à cette mort si cruelle. Je me sentais étonnamment détachée, ces discours glissaient sur moi sans provoquer la moindre émotion, la moindre larme.
Mais pourquoi ? Pourquoi un tel détachement ?
J'ai d'abord cru que c'était ma position d'incroyante qui me mettait à l'abri de la portée de ces paroles. Mais non ! Ce curé parlait de la mort comme d'une étape inéluctable, ni injustice, ni récrimination simplement qu'elle est inhérente à notre condition d'humain. Au-delà de la portée théologique que ce discours véhicule et à laquelle je n'adhère nullement, j'y ai entendu peut-être pour la première fois un simple retour à la réalité de notre condition, j'ai entendu pour la première fois l'essence de ce discours, qui en fait au même titre que les mythes véhiculent des histoires, pour nous mettre aux prises avec la réalité de notre condition humaine dont la principale est d'être mortel.
Nous vivons tous avec cette épée de Damoclès et nos aimés ne sont pas épargnés. Pierre est mort mais en choisissant de l'élire comme mon compagnon de vie je prenais aussi le risque de pouvoir le perdre un jour. C'est comme ça ! Et même si cette mort m'est insupportable, elle est dans le cours de notre vie ni JUSTE ni INJUSTE. Elle est tout simplement ! Et nécessité m'échoie de me penser et de penser ma vie à l'aune de cette prise de conscience qui était là pourtant mais sous-jacente!
Et le fait qu'elle remonte à la surface me permettra j'espère d'accepter les conséquences que cet état de fait implique, cela ne veut pas dire absence de douleur mais c'est déjà un petit pas vers la réconciliation avec la VIE.
Et je me souviens de la naissance de ma fille.
Je me souviens que quand je l'ai serrée pour la première fois dans mes bras, j'ai senti toute la puissance et la fragilité de la vie, j'avais touché du doigt à cet inéluctable de la VIE. Face à cet être si vulnérable qui n'avait rien demandé, je me sentais PLEINEMENT responsable de ce choix de la vie que j'avais décidé pour elle. Je me sentais aussi responsable à l'égard de mon homme qui ne s'était résolu à sa paternité que par amour pour moi. Attention ! je ne regrette rien parce que cette paternité qu'il ne désirait pas, il l'a vécue comme un grand, il a su en retirer une joie immense. Et je comprends seulement maintenant à l'aune de sa mort que son angoisse d'être père était peut-être aussi due à cela !
Mais je me souviens très bien et ce n'est qu'aujourd'hui, penchée sur ce puits sans fond, que je comprends mon désarroi d'alors. En lui offrant la vie je lui offrais aussi la mort.
Voilà sur ces pensées très gaies, je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.
Oui ... C'est le deux... On les invite a vivre et aussi a mourir ... C'est si dur... Je continue a trouver de l'injustice dans sa mort... Un absurde accident, une fois dans sa vie qu'il fait un tour en bateau tout content et il est éjecté, du bateau et s'écraser le crâne contre les roches ...
38 ans ... Une petite de 20 mois, et moi a 8 semaines de grossesse
Toute une vie devant nous ... Je trouve injuste, pour lui, pour nos filles , pour moi
Mon chéri ... Tu me manques terriblement
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Mon mari est mort le 11 juin 2014, après 11 jours de coma, suite à un accident. J'ai eu l'impression que j'ai passé cette première année à l'extérieur de ma vie, de la vie. Les automatismes étaient restés, faire les courses, ranger la maison, aller au travail.... mais j'ai eu cette impression étrange d'être là mais sans être présente. Après le passage des un an, j'ai eu l'impression de retourner petit à petit dans la vie, dans ma vie sans, sans pour autant être heureuse mais seulement là. Et comme toi Piera, j'essaie de voir ce que je vais pouvoir sortir de moi pour arriver à avancer dans l'avenir alors que cela faisait près de vingt ans que nous faisions tout à deux. Et savoir que notre avenir nous seule le construirons tord les tripes. Est ce peut être pour cela que j'ai ces toux sèches tous les matins depuis plus d'un an maintenant.
Ce week end nous aurions du fêté nos 17 ans de mariage, bon anniversaire mon amour :'(
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Pierre est mort un an après ton mari, le 13 juin. Je ne compte pas les jours, mais je sais et je sens que chaque jour ma douleur se fait plus lourde, plus profonde !! J'avais cru naïvement que les 3 ans de notre épreuve m'auraient épargnée un deuil cruel, et bien je dois reconnaître qu'il n'en est rien. La mort ne s'anticipe pas, elle se vit et se creuse. Aujourd'hui, ce fut une journée pleurs, ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé. J'étais invitée et j'ai vraiment dû me faire violence pour y aller.
Là, j'arrive de cette soirée chez des amis, pas des intimes aussi je me suis tenue à une certaine bienséance donc je suis restée mais très vite je me suis aperçue que j'étais absente de leurs discussions et qu'elles glissaient sur moi sans pénétrer mon cerveau !
Chez mes amis intimes, ils auraient très vite compris et ne m'en auraient pas voulu que j'écourte.
Voilà, la vie sociale me coûte parfois une énergie démesurée.
Mais aujourd'hui, une petite lueur se dessine. J'ai pris contact avec une personne qui s'occupe de formation autour du deuil, de la mort et de l'accompagnement du point de vue professionnel. Il m'a proposé une rencontre pour que je lui expose mes idées, mes projets...
Je n'ai de l'énergie que pour ça, serais-je en train de devenir monomaniaque ??