Je suis là devant cette feuille blanche, je me suis promise un rendez-vous quotidien avec mon magma intérieur. J'ai toujours besoin d'action même si celle-ci se résume, en ce moment, à l'écriture. Je suis dans la phase où tout me coûte une énergie indépassable, insurmontable, même mes mains sur le clavier sont atones et se meuvent avec difficulté. Je cherche les lettres, je cherche les mots, ils me viennent dans la tête, mais je ne sais plus les écrire, c'est dire que ma tête flambe !
Hier, j'ai été à la cérémonie d'adieu de la mère d'un ami, nous avons fait 8h de route aller-retour mais c'était impensable pour moi de ne pas être présente auprès de lui. Je me suis retrouvée dans un petit village jurassien. La cérémonie a été menée de bout en bout par un curé de campagne, des lectures exclusivement bibliques, des passages sur l'amour, le pardon, sur la résurrection, sur l'amour de dieu surtout, sur le sacrifice du Christ, sur cette vie qui nous attend après, cette consolation que la religion chrétienne tente de nous offrir face à cette mort si cruelle. Je me sentais étonnamment détachée, ces discours glissaient sur moi sans provoquer la moindre émotion, la moindre larme.
Mais pourquoi ? Pourquoi un tel détachement ?
J'ai d'abord cru que c'était ma position d'incroyante qui me mettait à l'abri de la portée de ces paroles. Mais non ! Ce curé parlait de la mort comme d'une étape inéluctable, ni injustice, ni récrimination simplement qu'elle est inhérente à notre condition d'humain. Au-delà de la portée théologique que ce discours véhicule et à laquelle je n'adhère nullement, j'y ai entendu peut-être pour la première fois un simple retour à la réalité de notre condition, j'ai entendu pour la première fois l'essence de ce discours, qui en fait au même titre que les mythes véhiculent des histoires, pour nous mettre aux prises avec la réalité de notre condition humaine dont la principale est d'être mortel.
Nous vivons tous avec cette épée de Damoclès et nos aimés ne sont pas épargnés. Pierre est mort mais en choisissant de l'élire comme mon compagnon de vie je prenais aussi le risque de pouvoir le perdre un jour. C'est comme ça ! Et même si cette mort m'est insupportable, elle est dans le cours de notre vie ni JUSTE ni INJUSTE. Elle est tout simplement ! Et nécessité m'échoie de me penser et de penser ma vie à l'aune de cette prise de conscience qui était là pourtant mais sous-jacente!
Et le fait qu'elle remonte à la surface me permettra j'espère d'accepter les conséquences que cet état de fait implique, cela ne veut pas dire absence de douleur mais c'est déjà un petit pas vers la réconciliation avec la VIE.
Et je me souviens de la naissance de ma fille.
Je me souviens que quand je l'ai serrée pour la première fois dans mes bras, j'ai senti toute la puissance et la fragilité de la vie, j'avais touché du doigt à cet inéluctable de la VIE. Face à cet être si vulnérable qui n'avait rien demandé, je me sentais PLEINEMENT responsable de ce choix de la vie que j'avais décidé pour elle. Je me sentais aussi responsable à l'égard de mon homme qui ne s'était résolu à sa paternité que par amour pour moi. Attention ! je ne regrette rien parce que cette paternité qu'il ne désirait pas, il l'a vécue comme un grand, il a su en retirer une joie immense. Et je comprends seulement maintenant à l'aune de sa mort que son angoisse d'être père était peut-être aussi due à cela !
Mais je me souviens très bien et ce n'est qu'aujourd'hui, penchée sur ce puits sans fond, que je comprends mon désarroi d'alors. En lui offrant la vie je lui offrais aussi la mort.
Voilà sur ces pensées très gaies, je vous serre toujours aussi tendrement dans mes bras.