Je l'ai écrit ...
"Faillir dans ce rôle de mère »...
Je ne suis pas née maman, je le suis devenue de jour en jour ... A mes enfants, j'ai souvent exprimé le fait que moi, Faïk, j'ai été aussi une enfant, une ado rebelle et amoureuse et que cette vie de maman, je l'inventais chaque jour, avec mes doutes et mes certitudes. Jamais infaillible, mais toujours mue par l'amour que je leur porte.
Ils me pardonnent ce que je n'ai pu voir ou entendre, comme je leur pardonne ce qu'ils n'ont pas vu ou entendu.
Il ne peut y avoir de faillite quand il y a eu et qu'il y a encore et encore de l'amour.
Des veufs et veuves ...
Le poids des conventions, des clichés ou de l'imaginaire collectif ?
Il semble que passé 40 ans, la seule option pour nous, femmes endeuillées, soit la perspective de combler notre chagrin par la venue, plus ou moins proche de petit-enfants ... Ah bon ?
Des petits-enfants, j'adorerai sûrement ... mais c'est là le projet de mes enfants, pas le mien.
Pauvres gosses, même pas nés, et déjà la tâche assignée de soulager le vide de Mamie ...
La garantie "Petits-enfants" en cas de perte de conjointe me semble peu proposée aux hommes …
Encore aujourd'hui je suis terrorisée, comme toi, de vivre sans lui.
Encore aujourd'hui je n'arrive pas à croire qu'il n'est plus là.
Encore aujourd'hui je me sens seule au milieu de tous les autres.
Encore aujourd'hui j'ai envie de le rejoindre, pas un jour ne passe sans que j'y pense.
Je me suis perdue sans lui .. et même nos enfants ne peuvent me "porter", me retrouver ... accompagner, oui sûrement et c'est en effet un "plus" , mais je ne les crois pas être le gage de ma "reconstruction" ... enfin c'est ce que je ressens personnellement ... l'amour de ceux qui sont les plus proches de vous ne réussit pas toujours à vous sortir de l'enfer ... Nous le lisons tous les jours ici ...
Nicolas et Pimprenelle m'accompagnent, nos chemins bien que s'entremêlant, sont assez solitaires : je ne peux que pleurer leur douleur d'enfants et les accompagner moi-même et s'ils peuvent porter ainsi que l'a dit Eva Luna celle de leur mère, ils ne portent jamais celle de la femme ... et en cela je suis ta sœur de souffrance.
Certains promettent des jours meilleurs dans l'espoir d'un environnement que nous n'avons pas présentement : des enfants pour les uns, des petits-enfants pour les autres.
Nicolas & Pimprenelle sont jeunes, auront-ils des enfants un jour ? Je ne peux pas me construire sur un projet qui n'est pas le mien, sur une vie, qui si elle est mêlée indéfectiblement à la mienne, ne sera pas ma vie … je ne veux pas vivre ma vie à travers eux, je veux juste vivre, si on peut appeler cela comme cela, avec eux, autour d'eux.
Aujourd'hui
De la reconstruction, avec ou sans enfants … A Régine, Nora, et toutes celles qui pleurent, avec ou sans.
J'espère que personne ne se méprendra sur le sens de mon message, qui ne se veut pas une tribune féministe …
Dire que j'ai souvent dû débattre avec mon entourage pour exprimer mon ressenti, bien mal perçu parfois, n'est pas un vain mot.
Je ne sais pas si cela est dû au regard porté sur les femmes dans notre société ; mais après n'avoir eu d'existence sociale que mariée, aujourd'hui encore, dans l'inconscient (?) collectif, une femme doit être nécessairement mère ... et en tant que telle, avoir des "obligations" envers ses propres enfants.
Celle de soumettre ses propres désirs au bien-être de ses enfants. Cela a du sens pour moi, je souhaite le meilleur pour Nicolas & Pimprenelle, j'ai et je sacrifierai beaucoup pour eux. Ils sont indéniablement un soutien pour moi.
Mais le deuil, la perte de celui qu'on dit votre moitié vous renvoie à ce que vous êtes aussi, toujours, parfois oubliée pour certaines, une femme. Une femme qui pleure celui qui a été une grande part de sa vie.
Souvent on n'imagine pas pour elle d'autres ressources que celle de ses enfants. Ou peut-être vous dit-on machinalement car vaguement lu ou déjà entendu, une formule toute faite : « Mais tu as tes enfants, voyons ! ».
C'est nous dénier une part importante de ce que nous sommes … nous demander aussi un peu de nous oublier ... nous qui perdons déjà à ce moment notre identité.
La gazette de mon petit village fait état régulièrement de la rubrique nécrologique.
Toutes les femmes décédées y sont nommément inscrites sous cette forme :
Ernestine Tartempion, épouse (ou veuve c'est selon) Trucmuche, + le, à ….
Les messieurs sont quant à eux simplement inscrits sous leur patronyme :
Léonce Trucmuche, + le, à …
Pas besoin de savoir si ce pauvre Léonce est déjà veuf ou s'il laisse présentement une femme éplorée …
Comme s'il n'était ni possible ni légitime pour une femme de se positionner seule, pour exister ou pour reconstruire ce qui a été détruit.
On peut aussi n'avoir ni famille attentionnée, ni amis, ni chien toutounnant, ni même un facteur qui vous dépose avec le sourire votre déclaration d'impôts à remplir dans la boite aux lettres. Aucun prétexte alors … juste peut-être celui de ce qui ressemble à l'envie d'un peu de vie, sans culpabilité, sans avoir à justifier ni à se justifier.
Faïk, maman passionnément enfantée, femme seule, je pense à vous.