Racontons un peu Lowell et notre vie en Afrique:
Nous, on a vécu 10 ans au Sénégal (moi 5 ans au Nord près de Louga et après, Dakar) et deux ans au Ghana.
Au départ, en 1994, j'étais venue travailler seule où je l'ai rencontré. Il dirigeait une ONG américaine et il faisait un travail remarquable - petits projets agroforestiers, maraîchers, alphabétisation... pour des ONG locales. Il pouvait faire 10 heures de route (petites routes africaines) et le soir, être presque frais et dispo. Il était joyeux, calme. Il lisait beaucoup, parlait peu. N'aimait pas son pays, les États-Unis. On a voyagé dans plusieurs pays d'Europe, d'Afrique: la France bien sûr, le Kenya, le Zimbabwe durant un mois, l'Afrique du Sud, la Tanzanie, la Gambie, la Guinée Bissau, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire... bref, avec lui, le voyage était toujours facile. Je me sentais en complète sécurité (paradoxe...) et on ne manquait de rien.
Je travaillais aussi pour d'autres ONG et aussi pour la sienne, afin de produire de la poudre de Moringa (une arbre aux feuilles nutritionnelles pour contrer la malnutrition). J'ai crée avec des Sénégalais une ferme expérimentale de Moringa au Nord du pays. Il y avait 10 manoeuvres et aides. Un immense séchoir et on plantait les graines aux...10 cm. On avait 1 hectare, donc 1 million d'arbres! C'était difficile, chaud, y'avait pas d'eau. Un contexte excessivement pauvre. Mais je connaissais bien ce Nord du pays, c'était MA place. Le Sahel, c'est magnifique! J'étais déjà restée 6 mois à Djenné au Mali, durant mes études et c'était à peu près le même climat, les mêmes problématiques.
On a fait une petite Lou. Au départ, Lowell ne voulait pas d'enfant, mais j'ai insisté. Il devait sentir qu'il n'avait pas la force de s'occuper d'un enfant, ce qui s'est avéré vrai. Il adorait Lou, mais pas pour s'en occuper...
C'est durant un de mes déplacements (Dakar-Louga) qu'il a eu son accident de scooter à Dakar. J'ai dû revenir avec mon bébé de 9 mois, angoissée, parce que la secrétaire n'avait pas voulu me parler de son état. Il a failli mourir (poumons blastés et trauma crânien). Il a été dans un coma provoqué pour 1 mois à l'Hôpital de Dakar puis transféré en avion ambulance à l'Hôpital Américain de Paris. Je l'ai rejoint là-bas avec Lou 9 mois. Durant un mois, je me souviens surtout... d'avoir mangé comme une reine hé! Pensant que les assurances allaient payer (du moins une partie), j'ai mangé plein de bonnes choses dans vos restaurants... Par ailleurs l'Hôpital américain de Paris ont un chef exceptionnel, la table est l'une de meilleures que j'ai pu "tester"... Mais bon les assurances n'ont pas payé... Bref, j'allais le visiter à tous les jours. Ce n'est qu'à la fin que le con de doc m'a dit qu'il avait eu un traumatisme crânien et qu'il pourrait, peut être, un jour, faire des crises d'épilpsie (et je ne connaissais rien à ça...). Finalement, on est revenu à Dakar et il a eu ses premières crises d'épilepsie un mois plus tard et ça n'a plus jamais arrêté.
C'est donc à partir de 2003 qu'il a commencé à être faible. Et prendre des médicaments. Il a continué de fumer, de boire, toujours beaucoup... à devenir plus taciturne. Il a décidé de monter une entreprise de Moringa au Ghana... j'ai suivi avec ma Lou, qui avait 3 ans. On est resté deux ans, dont 1 à Accra et 1 à Kintampo.
J'ai dû partir, parce que Lou avait 4 ans et demi et qu'il n'y avait pas d'école "raisonnablement bonne". Les professeurs demandaient à la petite blanche de frapper les petits enfants, ça les faisait rire (elle m'a dit ça un an plus tard!).
La vie en Afrique, c'était quand même mon rêve: j'avais trouvé un homme qui était plus qu'à l'aise sur ce continent, il savait faire avec les gens, il était respecté des Africains et des autres. J'aurais voulu monter une belle entreprise, comme il le voulait, mais je voyais bien qu'il n'était plus capable... c'est une des grandes pertes de ma vie: la vie en Afrique.
Encore aujourd'hui, je regarde ma petite maison de banlieue, mon petit jardin de banlieue, mes petits voisins de... bref, je sais que ce n'est pas mon choix, mais que je dois maintenant assumer cette vie occidentale. Ma fille en a besoin: stabilité, entourage meilleur, c'est vrai.
Reste que mon principal souci, en ce moment, c'est d'être vraiment seule. Personne, sauf vous et mon psy à qui parler. Toujours cette honte de ne pas être capable de trouver un "réseau" (au moins 3 hein, Dr Fauré?) pour mieux faire avancer mon processus de deuil et mieux vivre. Peut-être pas la joie de vivre, mais au moins, le goût de vivre.
Caro xx