Christine,
yohann a raison, c'est notre histoire que nous relisons dans les lignes des autres.
alors je te livre, je vous relivre un bout de la mienne, de notre histoire à Emmanuel et moi.
J 'ai divorcé il y a 15 ans dans des circonstances dramatiques de violence et ai élevé mes enfants seule. Grosse dépression. arrêt de travail qui a duré 6 ans. Lente remontée vers la vie.
Il y a un an je rencontre Emmanuel. Parcours difficile aussi. En 2000, sa copine, avec qui il était depuis 6 ans, déclenche une sclérose en plaques. Je vais l'appeler Tess. Elle était irlandaise, alors pour qu'elle puisse bénéficier de la qualité des soins français, il l'épouse et revient avec elle en France.
très vite, c'est l'enfer. La maladie progresse très vite. Tess se retrouve seule en France, malade, isolée dans leur appartement. Elle perd l'usage de ses jambes, de ses mains. Il continue à la soigner entièrement seul, refusant toute aide médicale et ménagère. des années de claustration, de descente aux enfers, seul avec son épouse qui bientôt ne peut plus parler.
Il y a un an, je rencontre au travail cet homme extraordinaire, drôle, intelligent, chaleureux. A cette époque déjà, sa femme ne le reconnaît pratiquement plus jamais. Pendant 6 mois, on se "tourne autour".Après tout, me dis-je, il est marié. Alors je tais mon attirance. Mais on fume ensemble à toutes les pauses , on se voit de temps en temps, on va à des brics à bracs ensemble, on achète un tas de vieux trucs inutiles qui nous font rigoler (des mugs, une vieille ardoise, des porte-clés des années 60....). On aime tous les deux les vieux objets cabossés qui ont une histoire !
On se téléphone parfois.
Arrivent les vacances scolaires, je pars chez mes parents. et là, nous réalisons tous les deux séparément et simultanément que ... nous nous manquons.
A mon retour, tout va très vite. On va prendre un pot en ville, on parle de ce sentiment de manque et c'est l'évidence, nous nous apercevons que nous sommes amoureux et que nous ne le savions pas.
Quinze jours plus tard, nous sommes inséparables. Nous passons ensemble tous les moments qu'il ne consacre pas à sa femme et tous ceux que je ne consacre pas à mes enfants. Il ne ressent aucune culpabilité car voilà des années que Tess n'est plus vraiment sa femme, qu'il éprouve à son égard pitié, dévouement, tendresse encore, mais plus d'amour. il dit que je suis la deuxième femme de sa vie, la femme de la deuxième moitié de sa vie. Il dit qu'il a beaucoup de chance d'avoir rencontré dans sa vie deux femmes à aimer. Pour moi, un amour si fort, c'est la première fois de ma vie d'adulte.
Avec moi, cet homme renaît à la vie et à l'amour. Il respire hors de cet appartement confiné du 9ème étage. On se promène beaucoup, on fait mon jardin. On fait les magasins, beaucoup, parce que voilà des années qu'il s'habille comme un sac et, pour la première fois depuis des années, il veut plaire à une femme. Pour la première fois en 12 ans, Emmanuel va boire une bière en ville. On ose une nuit ensemble, une fois Tess endormie. Nous n'avons, en 6 mois , passé que 4 ou 5 nuits ensemble, de minuit à 6 heures du matin. Il ne la laissait jamais plus de trois ou 4 heures seule d'affilée. Mais quelle douceur de s'endormir dans ses bras ! Ne le jugez pas s'il vous plaît ! En rentrant chez lui, il retrouvait les pleurs, la solitude, la maladie. Le mutisme. La lente déchéance de son premier amour.
plus notre attachement devenait profond et plus c'était difficile pour lui de rentrer chez eux. Ma maison devenait sa maison. Il s'éloignait de Tess et en souffrait beaucoup. Le souvenir de leur amour mort. Il pleurait souvent.
Nous n'avons jamais été au restaurant, ni au cinéma. La plupart du temps, on était chez moi, on se voyait une heure ou deux plusieurs fois par jour en buvant du thé et en discutant. On s'apprenait. cela nous suffisait pour le moment. On parlait de "l' après" bien sûr, mais on croyait qu'on "avait le temps". Quand il s'inquiétait il me disait ;
--Mais tu sais qu'on ne pourra pas vivre ensemble avant peut-être des années et des années ?
ou bien :
-- Mais tu sais qu'on ne pourra jamais partir en week end ensemble , aller à la mer ?
je lui répondais :
-- Mais, Emmanuel, on est ensemble pour des années et des années. On a tout le temps. Ne t'inquiète pas, on a tout le reste de nos vies pour nous aimer
On riait beaucoup de nos ressemblances. "On est compatibles", c'était notre phrase préférée. Presque chaque jour, l'un de nous la disait avec émerveillement en découvrant un nouveau point commun ou au contraire une nouvelle différence qui faisait qu'on se complétait.
On avait tous les deux un grand grand sens de l'autodérision et une volonté de communiquer, de dialoguer, de comprendre le parcours compliqué de l'autre
Il avait ses cicatrices et sa souffrance, moi les miennes, et on s'épaulait et se réconfortait à tour de rôle.
Avec lui, je me sentais belle, intelligente, forte. Il disait que j'étais une magicienne dans sa vie. Il explosait de toute cette vitalité contenue pendant des années.
On parlait de sa femme aussi bien sûr, il me racontait comment elle allait aujourd'hui, parce que certains jours, il était très triste de la voir ainsi et se sentait démuni. Mais il refusait de la confier à une institutuion. Il disait que ce serait l'abandonner. Toute sa famille m'a acceptée. Ils étaient si heureux qu'Emmanuel vive enfin normalement ! ils le pressaient d'hospitaliser sa femme. Moi pas, parce que le sujet le fâchait. Sa famille le taquinait sur notre relation. Pour moi, il a perdu plusieurs kilos, il était très fier. Il embellissait de jour en jour.
Il y avait des conflits aussi. Il voulait que je m'engage plus vite. Il voulait tout le temps être sûr : "Est-ce que tu m'aimeras encore dans 6 mois, dans un an ?". " Est-ce que tu m'attendras ?"
Il trouvait que je ne lui consacrais pas assez de temps. Le comble ! Il ne supportait pas que mes ados me manquent de respect, me voulait plus ferme avec eux. Il supportait très mal que je voie mes amis, que je fasse de la musique sans lui. Il voulait tout de moi. Et moi je lui donnais autant que possible.
Vers la fin, j'avais à peu près réussi à le rassurer sur mon amour et sur notre avenir. Il comprenait peu à peu que je l'aimais vraiment mais que je devais garder un petit jardin secret bien à moi. Il acceptait qu'on ne se téléphone plus 2 heures tous les soirs ou que je ne réponde pas dans la minute à ses sms.
Cela ne l'inquiétait plus.
Début septembre, on avait décidé d'aller ensemble à la piscine et à la chorale. Il avait suggéré tout seul de faire venir une auxiliaire de vie pour sa femme afin qu'on puisse se balader le samedi après midi et parfois un week-end ! Au boulot, on avait bâti un projet commun pour l'année scolaire. J'avais calqué mon emploi du temps sur le sien pour que nous ayons la même après midi de libre. Une semaine avant sa mort, il avait demandé :
-- Maintenant est-ce que tu serais prête à t'engager avec moi pour un grand bout de chemin ?
Et j'avais répondu en sautant partout comme une gamine :
-- Oui, oui, oui,oui oui !!!!!
Voilà les grandes lignes de notre courte histoire. J'espère ne pas t'avoir ennuyée. Pour ma part, j'ai passé un excellent moment à me remémorer toutes ces petites choses qui font une vie et un amour.
Je remercie christine de m'avoir donné l'occasion de nous raconter. Je remercie vous tous qui m'avez lue jusqu'au bout. C'est bien de laisser un peu de place sur ce forum pour le bonheur passé.
Merci à tous et une belle nuit
muriel