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« Réponse #870 le: 02 février 2018 à 17:40:47 »
Ton témoignage m'a troublée Qiguan-dans le bon sens du terme  :) je suis contente pour toi  :-*
*Où que tu sois, ne m'oublie pas. Ici, ta voix résonnera encore et toujours. C'est un nouveau monde qui s'ouvre à toi; mais c'est un monde où je ne suis pas...* (Dark Sanctuary)

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« Réponse #871 le: 06 février 2018 à 13:37:48 »
http://forumdeuil.comemo.org/vivre-le-deuil-de-son-conjoint/merci-4983/msg92392/#msg92392

un signe hier de maman je venais le matin de faire une opération "financière" sur un petit compte et le soir alors que le robot automatique nettoyait seul la partie de ma maison qu'elle avait habité ... j'ai trouvé en le récupérant un papier écrit de sa main (inutile de dire que le robot depuis Août 2016 est passé plusieurs fois ..) avec la somme du transfert ...

ces jours derniers il y a eu le jour de mon siècle chinois oui c'est ainsi 12 x 5 = 60 ans on repasse au niveau énergie sur le nouveau démarrage ils nomment cela siècle ...
et le soir à l'heure de re naissance alors que je rentrant d'une activité coutumière je sanglotais du manque ... comme au nouvel an les yeux de la photo de Jean ont semblé s'animer, intérieurement je l'ai "entendu" et j'ai senti à nouveau comme d'autres fois et comme chaque jours en début de deuil  je l'avais à des moments, ces sensations de "caresses" non ce n'était pas un cheveu, j'ai souvent passé la main, non, pas d'air non plus, non une sensation particulière jamais connue avant. Là elle était là et j'ai sangloté en la recevant comme immense cadeau, avec gratitude en le disant aussi ...
voilà simple témoignage !

Je sais que chaque deuil est différent lire certains début de deuil m'étonne moi si effondrée et pourtant pas tant que d'autres aussi ... chacun son vécu je ne serai pas restée dans une maison aux volets fermés, je ne serai pas allée non plus au cinéma incapable des mois, et années à aller à ce type de chose ... Des mois avant de pouvoir rire des mois pour sourire à d'autres que mes petites filles, des mois pour une respiration "libre"   etc
oui toutes les lectures interpellent

affectueusement à tout le monde
« Modifié: 06 février 2018 à 13:48:00 par qiguan »
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« Réponse #872 le: 06 février 2018 à 23:24:55 »
  Je pense que chaque deuil est à la fois semblable et différent; ce qui diffère plus ou moins sensiblement, c'est la manière dont nous vivons avec cette souffrance, cette perte incommensurable, cette absence, dont nous gèrons le quotidien, dont nous tâchons de nous protéger éventuellement, dont nous essayons de vivre malgrès tout, et comment, et pourquoi...tout le monde ne réagit pas de la même manière. D'ailleurs certains souffrent beaucoup plus au début d'un deuil, pour d'autres l'absence devient plus douloureuse au bout de tel ou tel laps de temps. Il n'y a pas de norme dans ce triste domaine, pas plus qu'il n'y a de manière préétablie de nous comporter, de vivre le deuil, d'honorer la mémoire de ceux qui sont partis. Je pense que chacun doit suivre sa propre nature, ce qu'il sens être "le mieux" pour lui-je crois que nous le savons d'instinct, cet instinct de survie qui est là, bien enfoui mais là cependant...
« Modifié: 08 février 2018 à 16:59:49 par Stana »
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« Réponse #874 le: 08 février 2018 à 17:43:33 »
Bonsoir Qiguan,

Effectivement chacun vit son deuil différemment, comme sa vie.
Je ressens l'absence de mon marie en permanence, il suffit d'un détail pour que  le chagrin revienne plus fort comme un coup de poing. Pourtant, depuis sa mort, je me suis étourdie d'activités, ma mutation, la vente de ma maison, mon installation dans une autre ville, dans un nouveau logement. J'ai repris contact avec les vieux amis, je vais au cinéma, au théâtre, tout cela dans l'objectif de ne pas rester seule avec mon chagrin.  Et malgré tout cela, je n'ai pas la sensation d'être pleinement vivante. La vie s'écoule et je la regarde filer sans intérêt, dans l'indifférence....Chacun réagit comme il peut.

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« Réponse #875 le: 08 février 2018 à 17:48:17 »
  Oui on peux juste faire de notre mieux. Quand un moyen d'essayer d'aller mieux, ou aussi bien que possible, n'est pas aussi efficace qu'on le pensait, on en essaie d'autres, jusqu'à ce qu'on trouve ceux qui nous correspondent.
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Hors ligne Nicole54

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« Réponse #876 le: 08 février 2018 à 19:50:48 »
Comme il est bon de vous lire.

Comme il est bon car je me retrouve dans chacun de vous...

La solitude non...plutôt le manque, le vide nous rejoint tous...

Tellement différents les uns des autres, mais tellement les mêmes émotions... :'(

J'aurais juste envie de vous faire une accolade...bien ressentie....il est évident que j'éclaterais en sanglots....mais je saurais qu'ils vous ressemblent....

TOut se mêle dans ma tête... souvenir, sourire, questionnement, impasse, ...

Aujourd'hui.....je suis comme une statue.  C'est la 1ere fois depuis le 22 janvier que J'OSE mettre de la musique.....et c'est...masochiste je crois......vais-je perdre le goût de la musique??  Je suis figée...à mon bureau...à penser...à essuyer mes larmes...à caresser mon chien qui vient me voir de temps à autres.... je pars dans les nuages......et PAFFFF je retombe sur terre......vis-a-vis......rien  :'( :'( :'(  J'ai envie de sacrer....... de maudire la vie.....de maudire Dieu........

Demain sera meilleur j'en suis persuadée......c'est trop dur aujourd'hui....

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« Réponse #877 le: 08 février 2018 à 20:54:12 »
J'espère de tout mon cœur que tu auras droit à un peu d'apaisement demain Nicole  :-*
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« Réponse #878 le: 09 février 2018 à 17:37:06 »
partage d'un exercice qui m'a été donné :
* quand on redoute les vagues, ou après en avoir eu une :
visualiser de vrais rouleaux de grosses vagues mais vus de dessus s'aider si besoin de Youtube ...
= prendre de la distance, de la hauteur avec ...
(exemple https://www.youtube.com/watch?v=V9g_HCY9Deg )

* quand elle est passée ou sur sa fin se voir spectateur de vagues de marée qui se retire ... (il y a sans doute mieux https://www.youtube.com/watch?v=IzKenIXP5pM )

* en lisant https://fr.wikipedia.org/wiki/Vague s'amuser à intellectualiser (ça aide à couper l'émotionnel) ...

et se voir survoler mer lisse ...
------------------------------------------------------------------
certes je suis à 46 mois de deuil
mais cette pratique m'aide beaucoup
de prendre de la distance, de la hauteur/émotions à gérer ...
« Modifié: 09 février 2018 à 18:18:07 par qiguan »
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« Réponse #879 le: 09 février 2018 à 23:16:29 »
Merci pour le partage Qiguan  :)
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« Réponse #880 le: 14 février 2018 à 20:46:42 »
son (?) cadeau de la St valentin
inutile de dire ici le détail des vagues, vues de face ou de dessus ... vécues de toute façon et que j'ai accepté de laisser passer !
Hier soir je cherchais des livres dans notre bibliothèque pour ma grande petite fille ... et à un moment je me suis sentie sans raison attirée par un coin et un livre très fin que j'ai tiré pour découvrir un ouvrage dont je ne connaissais pas l'existence, la présence au milieu de tous nos livres mêlés !
Le titre "grain d'aile" par Paul Eluard m'a accroché, j'ai lu la dédicace du livre qui avait été il y a fort longtemps offert à mon conjoint ...
je me suis dis "tiens, un livre qu'il veut que je lise à notre petite ..." et sans le lire je l'ai posé
Aujourd'hui j'ai proposé sa lecture à notre petite fille et quelle surprise ! Quelles émotions , en lisant je pense que beaucoup comprendront, quel beau cadeau pour ce 14 Février pour moi ...
Certain(e)s y verront un simple hasard, il est bien beau, j'ai voulu y voir un très beau signe.
le texte :
"I Une petite fille très légère
Il était une fois une petite fille très gentille, presque plus gentille que toi, et si légère, si légère que, lorsqu'elle naquit, sa maman s'étonna de ne pas la sentir peser dans ses bras. Aussi l'appela-t-elle d'un nom léger : Grain-d'Aile.

Grain-d'Aile poussa si bien qu'elle devint la plus jolie de toutes les petites filles. Et, dans le pays, l'on disait : « légère et jolie comme Grain-d'Aile. »

Comme je dis partout que tu es légère et jolie.

Grain-d'Aile courait très vite, plus vite que les grands garçons. Et, en sautant, elle cueillait toutes les plus hautes noisettes des noisetiers, toutes les plus hautes pommes des pommiers et même les cerises du grand cerisier qu'on laissait d'habitude aux oiseaux.

Elle se posait sur les plus fines branches sans les casser, comme un oiseau. Et elle ne faisait pas peur aux oiseaux. Elle pouvait les regarder dans les yeux; comme moi, je te regarde. Elle pouvait les écouter de tout près raconter leurs histoires d'oiseaux. Si elle avait osé, elle aurait pu les caresser.

Quand elle se laissait retomber dans l'herbe, elle avait pitié des sauterelles, des pauvres sauterelles, vertes et maladroites comme des grenouilles, et qui se donnaient tant de mal.

Mais ce qu'elle aimait le plus, c'était les papillons. Elle en était jalouse, quand elle les voyait zigzaguer, heureux comme des poissons dans l'eau.

 Grain-d'Aile savait bien qu'elle ne pouvait pas voler, puisqu'elle n'avait pas d'ailes. Elle était simplement légère, presque comme une feuille, presque comme une paille, presque comme les graines à ailettes des pissenlits, les chandelles que le vent doux porte très loin.

Attention au vent, Grain-d'Aile, il pourrait t'emporter. Sois bien sage, le vent pourrait t'emmener là où tu ne veux pas aller.

 La nuit, Grain-d'Aile rêvait qu'elle volait par-dessus sa maison et tournait autour du clocher de la ville; qu'elle traversait la rivière au-dessus d'une foule de baigneurs et de bateaux blancs. Et, quelquefois, elle arrachait en cachette des plumes à son édredon rouge pour les souffler par la fenêtre et les voir monter dans le ciel du matin.

Les contes qu'elle préférait étaient ceux où l'on voit des enfants voyager sur les ailes d'un aigle, d'une cigogne, d'un diable, ou sur un tapis volant. Et elle admirait beaucoup son ami Pierre qui était monté une fois en avion.

II Dans l'amitié des oiseaux

À quatre heures, quand elle rentrait de l'école, vite elle prenait son goûter, et, encore plus vite, elle montait au sommet du sapin, devant la maison. Trois branches lui faisaient un fauteuil à sa taille. Et, jusqu'à ce que le soleil se couche et que sa maman inquiète l'appelle, elle restait à bavarder avec ses amis les oiseaux.

Ce n'est pas plus difficile de parler avec les oiseaux qu’avec n'importe qui sur terre : tu parles, l'oiseau fait celui qui a compris, il te répond et tu fais celle qui a compris ; et tu réponds à ton tour. Le tout est de s'entendre parler, de bien savoir que l'on dit.

Si je te demande : « Veux-tu un gâteau ? », tu fais aussi celle qui a compris et je te donne le gâteau. Si je te menace d’une fessée, tu fais celle qui a compris... et je ne te donne pas la fessée. C'est ainsi, d'ailleurs, que tu bavardes avec ta poupée, avec ton ours, avec ton chien.

Quand Grain-d'Aile rentrait à la maison, ses frères étaient très étonnés de l'entendre répéter en chantant ce que disaient les oiseaux, toutes ces aventures où se mêlaient les ailes, le matin, le ciel et la peur de l'orage et la peur des avions, toutes ces affaires de famille qui tournaient autour des nids.

Grain-d'Aile n'arrêtait pas de chanter et, quand elle chantait, elle se secouait comme si elle avait été vêtue de plumes. Ses parents étaient ravis d'avoir une petite fille si gaie, et ils s'habi­tuèrent au fait qu'elle n'était pas comme les autres, qu'elle ne vivait pas autant qu'eux sur la terre.

Parmi les oiseaux, Grain-d'Aile n'avait que des amis. Moi­neaux, rossignols et pinsons lui apprenaient des jeux toujours nouveaux, des galipettes et des culbutes à mourir de rire. Et de menues manières aussi drôles que tendres. Avec les pies, avec les merles, on pouvait prendre un air malin. Avec les pigeons, avec les colombes, on roucoulait, on soupirait en chœur, en ayant l'air d'avoir envie de tout ce que l'on a.

Grain-d'Aile était si familière avec ses amis qu'elle les aidait à construire leurs nids, y ajoutait des brins de laine de son tricot pour que leurs petits aient plus chaud. C'était pour elle un grand événement lorsque les œufs roses, verts ou jaunes, de vrais œufs de Pâques, devenaient des bébés-oiseaux. Grain-d'Aile les aimait autant que ses poupées. Ils étaient comme elle, ils n'avaient pas de plumes, et si peu d'ailes, ces petits enfanchonnés, ouvrant un bec grand comme un four. Et ils étaient si bêtas, quand ils hésitaient à voler ! Bêtas, mais moins bêtas, pourtant, que Grain-d'Aile qui, elle, ne saurait jamais voler — car il lui manquait des ailes.

 Le matin, Grain-d'Aile avait beau tordre son cou pour voir son dos dans la glace, jamais ses os pointus, que sa maman appelait ses omoplates, ne se décidaient à pousser. Elle était une petite fille et non un petit oiseau (sauf pour sa mère).

Grain-d'Aile aurait tant voulu suivre ses amis ailés ! Elle se disait qu'elle ne grandirait jamais. Grandir, pour elle, c'était avoir des ailes.

Toi, vois-tu, tu grandis tellement dans mon coeur que je crois que tu es plus grande que moi. Pourtant, tu ne sais pas voler. Mais tu sais être là, tout à côté de moi.

III Grain-d'Aile a des ailes !

Un beau jeudi que Grain-d'Aile était installée dans son sapin, elle se prit à pleurer. Tous les oiseaux volaient, pépiaient à travers la campagne, sans trop se soucier d'elle, car il faisait clair que le soleil lui-même semblait avoir des ailes. Elle était seule, comme tu n'es jamais seule, ô toi que l'on chérit et qui rend à chacun la monnaie de sa gentillesse.

 Grain-d'Aile pleurait, pleurait... Soudain, elle sentit sur ses joues une petite langue râpeuse et une petite patte soyeuse essuyer ses larmes. Levant les yeux, elle vit, tout contre elle, le plus étonnant écureuil qui soit. Son pelage brillait comme le feu, sa queue était ébouriffante et ses yeux vifs parlaient plus vite qu'aucune bouche bavarde : « Veux-tu vraiment voler, voler comme les oiseaux, comme la pie et comme la mésange, comme le rouge-gorge et comme le merle bleu ? Veux-tu suivre les nuages, ton caprice, tes désirs ? Veux-tu avoir des ailes? Mais tu n'auras plus de bras ; tu ne seras plus une vraie fille d'en-bas. Ne le regretteras-tu pas ? — Oh non ! non ! dit Grain-d'Aile. Oh ! monsieur l'Écureuil, donnez-moi des ailes ! — Bien, dit l'écureuil; mais si tu le regrettes, viens me trouver demain, au coucher du soleil; il sera encore temps pour que tu redeviennes comme avant. »

Alors l'écureuil, entre ses paupières battantes, dit des mots très doux, très savants. Grain-d'Aile sentit de longs chatouillements dans ses bras : ils se recouvraient d'un fin duvet blanc, puis des plumes blanches apparurent ! Grain-d'Aile avait des ailes !

Folle de joie, elle s'élança du sapin, descendit au ras de l'herbe, rebondit jusqu'au toit de sa maison et partit comme une flèche vers la forêt voisine. D'arbre en arbre, elle saluait ses amis en chantant et tous la suivaient, encore plus contents qu'elle.

 Ivre de vitesse, Grain-d'Aile alla si loin que la nuit la surprit bientôt et qu'elle s'endormit, sans même voir les étoiles, la tête entre ses ailes, au plus haut d'un gros chêne. Heureusement, un vieux hibou très sérieux avait été chargé de veiller sur elle.

 Grain-d'Aile fut réveillée par le tapage joyeux de tous les oiseaux qui saluaient le soleil levant. C'était la première fois que Grain-d'Aile se réveillait en plein air et cela lui parut mer­veilleux. Puis, elle s'aperçut qu'elle mourait de faim et se demanda avec inquiétude si l'heure de l'école n'était pas passée. Ses amis prenaient leur petit déjeuner de graines et de petits vers. Grain-d'Aile pensa au café au lait et aux tartines beurrées ! Mais qu'elle était sotte : en deux coups d'ailes, elle serait à la maison.

IV Comme c'est peu pratique, des ailes !

  Elle monta très haut, pour voir sa maison, et fonça, par la fenêtre ouverte, dans la cuisine où la famille était attablée. Tout le monde fut rassuré de la voir revenir, mais surpris de son nouvel aspect.

Grain-d'Aile se précipita au cou de sa mère. Hélas ! ses ailes ne savaient pas étreindre ! Et, quand il s'agit de manger, il fallut lui donner la becquée, comme à un bébé ! Ses frères, qui avaient d'abord tant admiré ses ailes, commencèrent à se moquer d'elle. Et pour porter son cartable !... Et à l'école pour écrire !...

 Bien sûr, elle eut sa revanche, à la sortie : tandis que les autres marchaient sur le chemin, Grain-d'Aile passait au-dessus de leur tête, partait à tire-d'aile bien loin devant eux, montait jusqu'à ce qu'ils lui paraissent gros comme des fourmis, puis piquait sur le petit groupe un peu effrayé.

Comme ils étaient drôles, ainsi vus d'en haut, tassés sur eux-mêmes, le nez en l'air ! Mais pourquoi le petit Pierre faisait-il semblant de ne pas s'intéresser à ses évolutions, songea Grain-d'Aile lorsque, un peu dégrisée, elle se retrouva dans sa chambre ? Pierre... Est-ce que vraiment elle ne pourrait plus courir dans les prés avec lui, la main dans la main, à chercher des champignons ou à cueillir des boutons d'or ?

 Puis Grain-d'Aile pensa à sa poupée qu'elle avait bien négligée. Comment l'habiller, la changer ? Comme c'est peu pratique, des ailes, quand il ne s'agit pas de voler ! Grain-d'Aile assise dans son petit fauteuil (à quoi lui servaient les bras du fauteuil, maintenant ?), se mit à réfléchir profondément. Elle comprenait l'avertissement de l'écureuil doré. Elle regrettait ses bras, elle voulait redevenir une vraie petite fille.

 Il n'y avait pas un instant à perdre : le dernier rayon du soleil glissait derrière l'horizon. Folle d'angoisse, Grain-d'Aile vola, pour la dernière fois, jusqu'au sapin ; l'écureuil était fidèle au rendez-vous et il eut le bon goût de ne pas poser de questions — le visage de Grain-d'Aile disait assez ce qu'elle voulait — et de ne pas triompher en disant : « Je te l'avais bien dit », comme font si souvent les grandes personnes. De nouveau, ses yeux étincelants prononcèrent les paroles magiques... et voilà notre Grain-d'Aile aussi joyeuse de retrouver ses bras, ses mains qu'elle l'avait été, la veille, d'avoir des ailes.

 Lentement, Grain-d'Aile descendit, de branche en branche, sur la terre, avec les autres, tous les autres, ceux qui sont légers et ceux qui le sont moins, ceux qui marchent en regardant les cailloux du chemin, et ceux qui regardent le ciel, ceux qui savent que les petites filles ne peuvent pas voler et ceux qui pensent qu'un jour, s'ils le désirent vraiment, tous les petits garçons et toutes les petites filles pourront, en restant eux-mêmes, avoir des ailes et des bras, être à la fois sur la terre et au ciel.

Je t'ai, ce soir, conté l'histoire que tu attends, celle qui me fait le cœur meilleur, celle qui te fait les yeux confiants.
"

(PAUL ÉLUARD, Grain-d'Aile, in Œuvres complètes.

Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard)
 :-*
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« Réponse #881 le: 15 février 2018 à 15:34:00 »
  Merci mille fois pour le partage Qiguan  :-* :-* :-* je comprends dans quel sens tu vois un signe dans ce beau conte, je suis d'accord avec toi  :) il m'a profondément touchée moi aussi, je pense y voire la même chose que toi. Et c'est peut-être un détail (ou peut-être pas^^) mais j'ai jeté un coup d'œil à ton topic en fin de soirée, alors que j'allais me coucher, et en voyant ton dernier post, je me suis dis "C'est trop long, j'ai sommeil, je le lirai demain", mais c'était plus fort que moi, quelque chose me disait que je "devais" le lire, qu'il fallait que ce soit ce soir  ??? j'ai suivis mon intuition, je l'ai lu attentivement, et ce conte m'a profondément touchée moi aussi, par ce qui se cache manifestement derrière...d'autant plus que l'un des personnages s'appel Pierre, même si ce n'est pas lui qui s'"envole" dans le conte, c'est inversé  :-*
  Mon moral était mitigé, mais après cette lecture, je me suis sentie merveilleusement apaisée, plus lègère, et je n'ai plus arrêté de sourire, jusqu'à ce que je m'endorme. J'ai passé une bonne nuit et j'ai fais de beaux rêves. Je souris à nouveau en écrivant ce post.
 
 Un joli signe pour toi Qiguan...et peut-être même pour moi  :-*
« Modifié: 15 février 2018 à 15:37:15 par Stana »
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Hors ligne Akiko

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« Réponse #882 le: 15 février 2018 à 16:09:01 »
C'est un très beau texte, et très certainement un très beau signe.
"I would rather spend one lifetime with you than face all the ages of this world alone." 
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Hors ligne Mononoké

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« Réponse #883 le: 15 février 2018 à 16:54:45 »
merci pour ce partage,  texte,
je vais le lire à mes enfants
tendrement
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"Un arbre qui s'abat fait beaucoup de bruit ; une forêt qui germe, on ne l'entend pas." Gandhi

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« Réponse #884 le: 15 février 2018 à 21:30:13 »
Stana je suis contente pour toi que mon témoignage ait des "rebondissements heureux"
Oui Akiko très beau texte et signe
Mononoké belle lecture
 :-*
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