Citation de: Faïk le 17 Avril 2019 à 14:57:31
"On dit que comparaison n’est pas raison, et il semble en effet peu raisonnable de vouloir préserver des pierres alors que c’est bien l’humanité qui devrait être préservée.
Personnellement, je ne suis pas sûre que l’on doive reconstruire ce qui a été détruit pour les raisons évoquées plus-haut d’une part et parce que la future restauration ou reconstruction ne fera pas consensus non plus. Que rebâtir ? À l’identique, la flèche désormais disparue qui datait du XIXème ou ce que ceux du Moyen Age ont voulu ? Après la bataille des chiffres, des gens, il y aura aussi celle des experts.
Avec quelques copains, la plupart athée, agnostique, et même libertaire, nous tentons de préserver la petite chapelle du XVIème siècle de notre village. Si j’osais, moi qui me revendique comme laïque, je dirais que c’est un vrai sacerdoce.
Pas de sous, pas de soutien. Le Conservateur des MH qui fait sa visite décennale se contente de m’envoyer son rapport. Presque toujours le même d’ailleurs.
Il y a tel patrimoine en France que l’argent dévolu à la préservation ou la restauration des bâtiments est distribué au compte-gouttes ; les monuments nationaux, régionaux absorbant la plupart des espèces sonnantes et trébuchantes.
Les polémiques auxquelles on assiste aujourd’hui ne sont pas près de s’éteindre ( ) , elles me semblent également symptomatiques d’un gros bug de notre société si injuste.
Il y a, parce que le système le permet, des situations souvent inextricables et qu’on tranche sommairement. Dans l’émotion plus que dans la réflexion. Dans le buzz plus que dans la retenue.
Ici certains ont évoqué la manne comme tombée du ciel ou plutôt de la grasse escarcelle de grandes entreprises du CAC.
On peut en effet se taper la tête contre les murs en constatant que les cordons de leur bourse ne se délient que pour des causes, qui à n’en pas douter, ne sont pas aussi « nobles » et désintéressées qu’on voudrait nous le faire croire. Belle opération de com’ pour la plupart d’entre eux, sans compter peut-être l’espoir de quelques retours utiles, je n’en doute pas.
Il y a de grandes causes, déshéritées à notre sens, pour lesquelles chacun d’entre nous a des espoirs : avancées dans la recherche médicale, soutien à ceux d’ailleurs ou qui ne vivent pas « comme nous », décroissance et retour à notre terre-mère, prise en charge psychiatrique …
Alors on a la rage, on manifeste, on pleure …
Tous les jours, et peu importe le media, on nous jette à la figure cette honte permanente. Et pourtant rien n’y fait.
La misère humaine se dilue t-elle quand quotidiennement on nous la montre ? Je me demande même si la « nouveauté » de cette tragédie ?, touchant Paris qu’on dit capitale universelle et qui donc nous appartient à tous en propre, n’est pas un des moteurs qui préside à cet élan généreux ? On verra dans quelques temps ...
Tous ici savent que le Téléthon, les Restaus du coeur, la Ligue contre le cancer et bien d’autres encore mobilisent l’attention si ce n’est le porte-monnaie. On ne peut que s’en réjouir.
Et pourtant, certains ont regretté que cette large audience se faisait parfois au détriment d’autres causes tout aussi méritantes. Que quand on a donné à Paul, il ne reste plus pour Jean.
Pa’ souffrait entre autres d’alexithymie, une forme du syndrome autistique. Il a mené une vie parfois bien difficile et nous sa famille, on en a bien profité également.
Lui, mon amoureux, n’a pas gagné contre cette saloperie : Glioblastome, mon amour …
Les moyens alloués pour la lutte contre ces maladies sont ridicules en regard de toutes les devises qui circulent de par le monde, ridicules et douloureux.
Même si je me sens aujourd’hui encore éparpillée, j’essaie en me rassemblant, de ne pas perdre de vue l’élan, spirituel, humain, la compassion qui peuvent animer les hommes. Je me dis que tout ce qui peut être bon ne peut pas faire de mal.
Et qu’on peut trouver du sens à la recherche d’un médicament comme à celle de la taille de pierre d’un vieil escalier. Je ne crois pas qu’alors on marche sur la tête, mais qu’on va de l’avant …
Laïque, je ne peux m’empêcher d’être émue, même si je considère cela comme un mirage, de ce que les hommes sont capables de bâtir pour assouvir leur foi, d’où qu’elle vienne.
Et quand je dis foi, je ne la réduits pas à la seule religion. Moi j’ai absolument foi dans le fromage de chèvre et je militerai toujours pour qu’on ne me le fasse pas ingurgiter avec du lait pasteurisé ...
L’an dernier, nous avons organisé une exposition, des mois de travail pour commémorer la construction de l’église.
Les fidèles venus à la messe pour l’occasion n’ont rien vu de cette expo, rien calculé, et se sont confits en dévotion sur leurs bancs. La plupart ne n’a même pas vue. Sauf une personne, qui a tout compris ...
Je les ai plaint de leurs creuses certitudes, mais je me contente de penser aux espoirs de ceux qui l’ont construite et je trouve cela nourrissant.
Prochain chantier : restauration du local qui accueille depuis des décennies un syndicat bien connu pour ses luttes ouvrières. Saint Pierre Joseph Proudhon et Saint Karl Marx, priez pour nous !
Cela a aussi du sens, et ça aussi c’est du patrimoine (vu l’audience, ça le devient ! )
Pour finir, 9 mois après le + de mon compagnon de vie, notre maison a été inondée. 20 ans de travaux à notre petite échelle humaine, rien quoi, balayés en quelques minutes.
A ce moment, j’ai perdu aussi ce petit supplément d’âme qui rôdait dans la maison. Il n’est pas revenu. Il reviendra peut-être.
Matériellement j’ai perdu beaucoup et 19 mois de travaux et de cafoutch incessants n’ont pu réussir, 3 ans après, à effacer toutes les blessures et la maison, comme moi, restera marquée à jamais.
Si j’ai considéré cela comme une perte majeure, jamais je ne l’ai mise au même rang que sa perte à lui, et j’aurais donné tout ce qui restait pour prendre la route avec lui et laisser derrière nous les vieilles poutres et pierres de notre logis.
Il n’y a pas eu le même élan de générosité nationale et hors les irréductibles et ceux qui partageaient la même galère, bien peu de soutien.
Ainsi parce que nous faisons partie d’un tout et que ce tout n’est pas en opposition, et parce que nous avons chèrement payé notre libre arbitre, pouvons-nous nous autoriser, en effet, à ne pas nous contraindre à ce que d’autres voudraient penser pour nous … Écoutons et regardons".
Je me permets de mettre ici cette partie de ton post qui me touche car il y a de toi dedans, une part de tes convictions, des personnes que tu aimes, des lieux importants ....