Auteur Sujet: bouteille en mer  (Lu 4219 fois)

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ecrin

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bouteille en mer
« le: 14 juillet 2016 à 23:59:39 »
Bonjour
Je ne suis pas encore certaine de savoir à qui j'écris ce message et dans quel but. A moi? A lui? Au monde?
Je sais que je ne suis pas seule à vivre la même douleur en ce moment.
Le fait qu'il y ait d'autres personnes ne la rend pas plus légère.
Mais j'ai besoin d'écrire quelque chose de plus que les lettres que j'adresse à mon mari tous les matins et tous les soirs depuis quelques jours.

J'ai 32 ans , un bébé,   mon mari vient de partir. On était follement amoureux l'un de l'autre depuis 10 ans, comme je ne le croyais pas possible ailleurs que dans des livres, et encore.  A l'hôpital on m'a laissée m'allonger dans ses bras quand il était encore chaud mais que son cœur ne battait plus.
Je suis profondément reconnaissante à la vie, à lui, pour ces 10 ans. Plus riches que des vies entières, j'en ai aucun doute.
Je suis bien entourée, par mes amis, ses amis, la famille.
J'ai ma fille, elle me tient en vie. J'essaie de nous organiser des moments de plaisir. Piscine, balades, bons petits plats. Depuis quelques jours, j'ai à nouveau faim, après avoir perdu quelques tailles.
 J'arrive à sourire, rigoler, je pleure aussi, surtout aujourd'hui. Parfois j'ai du mal, quand je me rends compte que ma fille grandit et qu'elle n'est plus la même que quand son père est sorti voir son médecin le 17 juin.
Tous les deux on était athée et très matérialistes dans notre rapport à la vie.  Certains que la vie au delà n'existe pas. J'ai trouvé une certaine consolation dans cette idée - j'ai eu cette chance immense que la poussière d'étoiles se soit transformée en homme que j'ai aimé et qui m'a aimée.  Je ne crois pas en paradis, aux anges. Je crois en souvenirs que nous gardons de lui, en tout ce que nous avons construit, les idées que nous partagions.  Nos combats. Mais depuis hier je sens une présence et ça me perturbe.  Je l'ai "vu" une fois. Dans la rue.  Je sais que c'était une projection, mais je ne me croyais pas capable de ressentir ce genre de choses. Hier quand je racontais à une amie quelque chose qu'il n'aurait pas aimé que je dise, un cadre est tombé du mur en cassant un bibelot et je me suis sentie tellement bête.

Je m'en veux, beaucoup, de ne pas l'avoir forcé à aller chez le médecin plus tôt. Quelques mois, peut-être ça aurait suffit.
Ou pas. Son coeur était très fatigué. Il avait l'air mal, il avait arrêté de fumer, il semblait épuisé, mais il avait derrière lui une année stressante, on attendait les vacances pour prendre soin de nous, passer du temps ensemble. Il est parti juste avant. Je retrouve aujourd'hui mes sms "s'il te plaît, est-ce que je peux prendre un rdv pour toi? mort tu ne me serviras à rien" Et ses réponses catégoriques. Non. Mais comment aurait-on pu penser que c'était aussi grave?

On a eu quelques jours pour nous parler, entre le jour où il a fini par aller chez le médecin et le matin même a été mis dans le coma et son opération qui s'est relevée mortelle. Mais je n'envisageais pas sa mort. Il disait vouloir vivre et pendant ces quelques jours était plus enthousiaste chaque matin. Je m'en veux ne pas avoir passé assez de temps avec lui, j'y allais 3 fois par jour, une fois seule, deux fois avec notre fille, que je ne voulais pas laisser seule trop longtemps. maintenant je me dis que c'était bête. Mais elle pleurait, et je ne savais pas m'occuper de mes deux amours au même temps.
Maintenant je regrette, j'aurais pu, j'aurais du. Je sais que ça ne sert à rien, juste me faire du mal. "Mais". "Et si"

Je n'attend rien de vous en particulier. Je ne sais pas ce que j'attends.
Je sais que je vais penser à lui chaque jour restant de ma vie.
Je sais que la plupart de gens sur cette terre vivent des choses plus graves.
Je sais que j'ai eu de la chance de l'avoir rencontré.
Que ma fille me tient en vie et que je m'en sortirai.


Mais il me manque. Je contacte ses amis, récolte des souvenir. Pour elle, pour qu'elle puisse savoir quel homme incroyable c'était.
Il me manque. J'ai envie de croire en sa présence tout en restant raisonnable. 



Hors ligne Vanessa

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Re : bouteille en mer
« Réponse #1 le: 15 juillet 2016 à 00:18:50 »
Bonsoir,
Je sais que mon message ne réduira en rien votre peine.
Mais je comprends tellement ce que vous ressentez puisque je vies exactement la même chose.. Ou presque....
Quel âge à votre fille?

Je ne sais pas quoi dire puisque moi meme je recherche des réponses à des questions qui sont impossibles à répondre....
Je ne croyais pas du tout à l au dela... Ms maintenant à force de lecture, je me pose de plus en plus de questions (tjs des questions sans réponses) mais moi qui était extrêment terre à terre, je commence vraiment à flancher et me dire que peut être , îl est la quelque part.....

Enfin, je vous souhaite beaucoup de courage.... Et encore du courage.....

ecrin

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Re : bouteille en mer
« Réponse #2 le: 15 juillet 2016 à 00:56:34 »
Merci Vanessa
Elle a 10 mois.
Je ne pense pas à la vie "au delà". Juste une présence. Sans savoir expliquer la différence!
Il vaut peut-être mieux que j'essaie de dormir

Hors ligne Stana

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Re : bouteille en mer
« Réponse #3 le: 16 juillet 2016 à 15:59:22 »
  Bonjours ecrin. J'espère que ça t'as fais un peu de bien, dans cette immense détresse que nous connaissons tous, de t'ouvrir ainsi.

  Ton deuil est tout récent, il est naturel-aussi cruelle que soit la nature en l'occurrence-que tu èprouve, de manière exacerbée, cette absence, ce manque.  Tu as vécu ce grand bonheur avec ton conjoint, puis t'es retrouvée brutalement privée de sa présence, c'est une douleur indescriptible et que peuvent enntrevoir peu de personnes extérieures. Ici nous savons tous exactement ce que tu èprouve, tu peux nous parler autant que tu en éprouve le besoin.

  C'est déjà un point positif-dans ton malheur-que tu ai conscience de la chance que la vie t'a offerte de te permettre de connaître cette magnifique histoire d'amour. Tous vos merveilleux souvenirs resteront en toi à jamais; un jour tu pourras les èvoquer avec plus de douceur, quand le plus gros de ta détresse sera passée, ce qui ne veux pas dire que tu l'oublieras. Il sera toujours dans ton cœur et tu le sais. Il a eu beaucoup de chance lui aussi de partager ce lien avec toi. Il est bien sûr tragique que votre vie commune ai déjà pris fin-on n'imaginerais jamais une chose pareille, on croit toujours que ça "n'arrive qu'aux autres", en oubliant que pour le reste du monde, "les autres" c'est nous, mais comment pourrions-nous envisager un deuil aussi cruel?-mais vous avez eu le privilège de vivre cette belle histoire d'amour. Avec le temps tu pourras y puiser davantage de réconfort encore.

  Pour ma part je suis très croyante-pas non plus dans le sens "paradis, enfer, purgatoire" etc du moins pas dans le sens où on l'entend habituellement-mais je suis quasiment certaine que nous "continuons" après, d'une manière ou d'une autre. Je pense que notre psychisme (âme) survit à la mort du corps et a accès à d'autres dimensions qui sont inaccessibles à nos yeux parce-qu'elles ne sont pas en adéquation avec les ondes de notre plan d'existence empirique. Il y a des personnes agnostiques, voire même athées, qui commencent à envisager cette possibilité. Tout est possible jusqu'à preuve du contraire. Peut-être qu'un jour nous en sauront plus.
  Je pense qu'effectivement nos défunts peuvent nous envoyer des petits signes-il y a toujours eu des synchronicités étonnantes dans ma vie, et plus encore depuis le décès de mon compagnon, il y a un an et deux mois et demi (je prèfère parler en termes d'année + tel nombre de mois plutôt qu'en mois tout court, j'ai ainsi une meilleure notion du temps). Plusieurs de ces synchronicités sont des signes de lui, je n'ai pour ainsi dire aucun doute là-dessus.
  A mon avis il est très possible que ton homme t'envoie ces petits signes pour essayer de te faire comprendre qu'il existe toujours, quelque part, qu'il n'est pas loin et qu'il ne t'oublie pas, là où il est. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une forme de déni, même si des personnes moins ouvertes peuvent penser le contraire. Tu n'es pas croyante et pourtant tu sens sa présence...
  Je ne sais pas si c'est vraiment lui que tu as "vu" dans la rue, bien que ce soit possible, mais le reste correspond à certaines choses que je vis moi-même. Par exemple, il y a quelques jours, j'avais des pensées que mon compagnon n'aurait pus-ne pouvait-que désapprouver, et une casserole d'eau que j'avais mise à chauffer s'est déplacée et a failli tomber son aucune explication rationnelle. Ca m('a beaucoup impressionnée.
  Une connaissance à moi, qui a perdu sa compagne il y a quelques années, m'a dis que durant son deuil-ou le plus fort de son deuil-qui a duré deux ans, "voyait" parfois celle qu'il avait aimée dans la rue, mais ne pouvait pas l'atteindre. N'étant pas ouvert de ce point de vue, il pense, aujourd'hui encore, qu'il s'agissait d'hallicinations, mais il n'est pas impossible qu'il se trompe.

  Ce qu'il faut c'est, qu'on y croit ou non, la présence et/ou les petits signes de nos amours ne nous empêchent pas de continuer à vivre, et à vivre le mieux possible avec le temps. S'ils sont bien là, quelque part, ils ne peuvent que vouloir le meilleur pour nous. Ne serait-ce pas notre cas si l'inverse nous était arrivé?...

  Je t'embrasse  :-*
*Où que tu sois, ne m'oublie pas. Ici, ta voix résonnera encore et toujours. C'est un nouveau monde qui s'ouvre à toi; mais c'est un monde où je ne suis pas...* (Dark Sanctuary)

ecrin

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Re : bouteille en mer
« Réponse #4 le: 16 juillet 2016 à 23:56:28 »
Merci Stana, ta réponse est apaisante.
Je ne veux pas l'oublier. Non, j'ai envie de lui donner un surplus d'existence, écrire pour ma fille ce dont je me souviens. Je pensais avoir du mal à regarder les photos et vidéo, mas ça me rend heureuse de voir tout ce qu'on a fait et comme on a été heureux.
A vrai dire, je pense que je "crois" en une forme d'énergie, je vais appeler ça comme ça.  Je sens que l'amour qu'on partageait, et son amour pour notre fille, est là, d'une manière perceptible. Je pensait faire des insomnies mais chaque soir je suis  fatiguée et je m'endors vite après lui avoir parlé. ça m'apaise.  la nuit une fois dans un demi sommeil j'ai "vu" une luciole sur la main de ma fille à côté de moi et j'ai senti une vague de douceur. comme s'il était là, comme je lui ai dit avant de m'endormir.
je lis tous les jours Un requiem athée d'onfray, je trouve le texte magnifique et plus profond à chaque lecture
"longtemps tu fus néant, longtemps tu seras néant, ce fut déjà tant qu'entre les deux néants tu fus tant"
je cite de mémoire
je ne peux pas lui en vouloir parce que je l'ai vu à l'hôpital avant sa mort, il se battait comme un lion, voulait revenir vivre à la maison  le plus vite possible. faire attention. " la vie est trop précieuse". On a parlé d'avoir un deuxième enfant. C'était juste pour se donner du courage. Pour se sentir vivant
Je ne peux être reconnaissant. Il a échappé à la mort il y a 20 ans, le traitement qu'il a eu à l'époque est devenu la cause de sa mort. Un survivant. On avait gagné cette vie. On en a fait ce qu'on a pu, au mieux.
Je suis heureuse qu'on ait eu une fille. Si on savait pour sa maladie on n'aurait jamais osé

Je suis en train de lire "au bonheur des morts, les récits de ceux qui restent" de viciane despret. C'est très intéressant, et osé, dns les sciences sociales, parler des relations entre les vivants et leurs morts sans considérer qu'il s'agit d'une "subjectivité irrationnelle" donc forcément irréelle.  le lire me me fait du bien. ça permet de me sentir moins "fautive" de sentir sa  présence

merci Stana
« Modifié: 17 juillet 2016 à 00:10:41 par ecrin »

Hors ligne loma

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Re : bouteille en mer
« Réponse #5 le: 17 juillet 2016 à 07:22:12 »
Vie de la Vie
(Recordare)

Il y eut le néant
Il y aura le néant.

Mais,
entre les deus néants,
il y eut aussi
Ta vie.

Et ta vie fut:
Suc et sève
Rare et vive
Dense et forte
Ciel et feu
Chair et sang.

Elle fut solaire et lumineuse.
et ta vie fut aussi :

Gel et fiel
Peine et brève
Noire et dure
Pierre et bile
Sèche et froide.

Elle fut nocturne et sombre.

Comme toutes les vies
A la fois paradis sur terre
et enfer ici-bas.
Michel Onfray : « Un requiem athée » (extrait)

Très beau texte Ecrin

Je t'ai lue et je ressens bien tout l'amour et la tendresse que vous vous portiez l'un l'autre
Que cet amour continue continue à t'accompagner et te guider
loma
"si un jour je meurs et qu'on m'ouvre le coeur, on pourra lire en lettres d'or ... je t'aime encore"  William Shakespeare

Hors ligne Nora

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Re : bouteille en mer
« Réponse #6 le: 17 juillet 2016 à 10:00:07 »
Merci, ecrin, pour ce partage.

Je ne connaissais pas ce texte, je m'y retrouve, il me parle.

Comme Loma ton témoignage me touche,  il est empli de tout ce qui vous unissait, l'amour, la tendresse, la complicité, la confiance. 

Nous ne pouvons avoir qu'une certitude, celle que l'amour ne disparait jamais, qu'il devient une forme d'énergie intérieure.

Comme toi je suis reconnaissante à mon mari de m'avoir choisie pour l'accompagner toutes ces années, et heureuse et fière de ce que nous avons vécu.

Il est parti il y a 16 mois, et la douleur est toujours aussi vive, le manque toujours aussi cruel,  mais mon amour pour lui, et l'image du sien pour moi sont toujours aussi forts et  m'empêchent de  trébucher.

J'espère que tous les témoignages déposés ici t'apporteront un peu de réconfort, que tu te sentiras à travers eux comprise et soutenue dans ta peine.

Prends soin de toi

Nora



Hors ligne Stana

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Re : bouteille en mer
« Réponse #7 le: 17 juillet 2016 à 15:42:32 »
  Tans mieux si nous t'avons un tans sois peu aidée ecrin  :)

  Pour ma part, et bien que j'adore Hugues Aufray par ailleurs, ce n'est pas le genre de paroles qui m'apporterait du réconfort-je ne critique pas, loin de là, tout le monde voit les choses à sa manière, et je ne doute pas que ces mots peuvent apporter beaucoup de baume au cœur aux personnes qui ne partagent pas mes croyances, ou celles d'autres personnes  :) pour ma part, si je pensais que mon bien-aimé n'existe plus, à part dans mes souvenirs, ça ne m'interresserais plus d'exister non plus. Bien sûr, il est heureux que des personnes athées, agnostiques, sceptiques...puissent continuer à vivre elles aussi-et à finir par vivre le mieux possible comme je dis toujours, pour d'autres raisons. Ce qui importe est de puiser un mieux-être dans les textes, oeuvres d'arts, philosophie, témoignages etc qui parlent à nos idées et à notre nature spécifiques. J'ai les miens aussi^^
  Une personne plus sceptique que moi peux aussi tenir le raisonnement suivant: s'il y a quelque chose après la mort-qui sais?-ce sera un grand bonheur, et même une surprise d'autant plus belle si on n'y croit pas du tout-et s'il n'y a rien, nous ne le saurons jamais de toute façon. Dans le premier cas nous serons gagnants, dans l'autre nous ne serons pas perdants. Et pareil pour ce qui est de l'espoir-ou non-de la réalité de la présence des défunts auprès de nous et de la possibilité de les revoir un jour. D'un point de vue objectif, c'est vraiement ce qu'on peux se dire-même moi avec mon doute de 1%  :) mais je n'en ai guère.
  Cette quasi-certitude m'emplit de sérénité intèrieure, de douceur et me donne envie de dire. Puisqu'on ne peux rien prouver à 100%, ni dans un sens ni dans l'autre, tout est possible  :) l'énergie spirituelle, pleine d'amour et de bienveillance qui m'entoure,  vient bien de l'extèrieur, je me mentirais à moi-même en disant que j'en doute vraiment, mais je comprends que ça ne puisse pas être le cas de tout le monde.
  Encore une fois, le plus important est que, quelles que soient nos croyances et/ou idées, chacun d'entre nous puisse trouver un apaisement, relatif au début, puis de plus en plus net. C'est ça qui demande une infinie patience, surtout les premiers mois. Nous devons tous avancer chacun à notre rythme.

  Le livre dont tu parles pourrait m'interresser ecrin, merci d'en parler  :)
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Hors ligne Federico

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Re : bouteille en mer
« Réponse #8 le: 17 juillet 2016 à 16:51:39 »

Stana,
il ne s'agit pas du chanteur Hugues Aufray mais du philosophe Michel Onfray...
Bonne lecture.
 ;) et  :-*
Federico
                                                                                     
                                                                                      ************


MICHEL ONFRAY, UN REQUIEM ATHÉE POUR L’HUMANITÉ EN MARCHE
 
jeudi 31 octobre 2013, par René Barbier
 
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé (Lamartine) écrivait ce poète romantique au XIXe siècle. C’est ce vers qui m’est revenu à la mémoire en lisant la suite assez brève de pages consacrées à la finitude d’un être aimé par Michel Onfray [1].

Michel Onfray dédie son livre à Marie-Claude Ruel (1951-2013) qui fut sa compagne entre 1977 et sa mort. Par ce décès l’écrivain entre dans la confrérie de tous ceux - innombrables - qui ont perdu une personne aimée soudainement.

Ce sont les silhouettes de Paul Éluard et de sa femme Nush - "Mon amour si léger prend le poids d’un supplice" - comme celle de Christian Bobin et de "la plus que vive" qui surgissent tout à coup.

Pour moi, c’est la figure d’Agnès, disparue en 1997, en quelques minutes dans mes bras. On ne dira jamais assez à quel point la mort d’un seul être saisit le vif - le survivant un peu philosophe - pour l’obliger à comprendre que "tout va vers la mort et vers le froid" comme le rappelait le poète breton Eugène Guillevic, même si la sagesse chinoise, avec François Cheng, nous dessine la voie radicale de la vie sans commencement ni fin dans le processus du déroulement de ce qui est. [2]

Michel Onfray nous emporte dans sa réflexion organisée sous la forme ritualisée du requiem catholique (réminiscence de sa culture d’enfance) mais sans référence consolatrice à la sotériologie chrétienne. Il s’agit bien d’un penseur athée, comme Guillevic ou André Comte-Sponville, qui embrasse non seulement la disparition de sa compagne, mais aussi de la sienne et de celle de l’humanité tout entière, et même de la finitude de notre propre univers dans un cosmos illimité.

En quatre dizaines de pages Michel Onfray, dont la fureur d’écrire si proche de la conscience de la mort nous étonne toujours, nous livre une méditation philosophique sur la vie et l’anéantissement de toute chose et de chaque existence.

Au moment où sort son livre, un film catastrophe de science-fiction issu d’un scénario de bande dessinée, apparaît aussi sur les écrans sur la thématique de l’extinction de l’humanité après une terrible ère nouvelle de glaciation dans les années 2030 [3].

L’humanité restant réduite à quelques centaines d’individus est enfermée dans un train - métaphore de notre condition humaine - qui fait le tour du monde sans s’arrêter, brisant la glace de tous côtés. Une humanité qui va se soulever contre l’injustice d’un dictateur et de ses sbires, qui possède la maîtrise de La Machine et qui est l’inventeur de ce train fantôme.

Après des scènes tragiques, le train déraille et seules survivent deux personnes : une adolescente asiatique et un tout jeune enfant africain, sorties hors du train disloqué, libres avec l’humanité à reconstruire, mais déjà sous l’oeil perçant d’un ours blanc qui lui aussi cherche à survivre.

La finitude que Bernard Delobelle, notre étudiant assassiné au Maroc, a si bien pensée dans une perspective écologique, prend chez Michel Onfray une ampleur métaphysique mais sans dieu.

Il s’agit bien d’une spiritualité laïque, décapante, sans espoir en fin de compte, autre que celle que nous nous donnons pour le temps éphémère de notre existence personnelle et collective. Dans ce cadre tragique mais superbe, la pensée de Cornelius Casoriadis fait sens, sans doute, avec sa volonté d’assumer un vivre-ensemble reflétant un principe d’autonomie qui bouleverse toutes les contraintes non démocratiques. [4]

Mais l’ouvrage de Michel Onfray est surtout un monument érigé comme un hymne à l’être humain et à sa survie impossible dans l’avenir d’un cosmos qui se volatilisera.

Ainsi, à l’issue de l’Épreuve, la mort et le néant, disparaîtront à leur tour, comme l’enfer, le péché, l’âme damnée : tous envolés ! Seuls demeurent les atomes qui dansent dans la lumière.

Devenu plus que rien

Le néant du tombeau sera néantisé lui aussi

Rien sera devenu tout (p.37)


À ce moment tout être ne sera plus jamais qu’un néant de lumière, son essence de toute éternité.


Repose en paix

Corps de lumière

Qui retourne à la lumière (p.11)

 

L’existence de l’être aimé demeure à jamais neuve. Personne ne peut l’effacer. J’ai existé, tu as existé, nous avons existé dans ce segment de temps si infime, comme l’affirmait si justement Vladimir Jankélévitch. C’est "la Vie de la vie" (p.21)


Il y eut le néant

Il y aura le néant

Mais

Entre les deux néants

Il y eut aussi

Ta vie

Ta vie, notre vie, celle de toute l’humanité, de toutes les vies animales et végétales, à la fois dans leur subjectivité "solaire et lumineuse, "nocturne et sombre".

 
P.-S.

"Ouvrir la rose", dessin numérique de René Barbier

Un site d’informations pratiques en cas de décès d’un proche http://www.deces-info.fr/


Notes

[1] Michel Onfray, Un requiem athée, Paris, Galilée, septembre 2013, 39 pages

[2] François Cheng, Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie, Paris, Albin Michel, 2013, 169 pages

[3] Snwpercer, Le Transperceneige, du Sud-Coréen Bong Joon Ho, 2013

[4] Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, (1975), 1999, 540 pages
- Espérer, c'est avoir la force de sourire avec un cœur qui ne cesse de pleurer
- Qui pourrait me dire maintenant ce que je dois dire, écrire, croire, penser ou faire ? Personne ! je suis LIBRE !

Hors ligne Stana

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Re : bouteille en mer
« Réponse #9 le: 17 juillet 2016 à 17:55:53 »
  Oh zut  ;D merci Frederico, j'avais cru lire "Aufray" parce-que j'aime beaucoup ce chanteur, je ne devais pas^avoir les yeux en face des trous lol  :D je ne connaissais pas ce philosophe, peut-être parce-que mes philosophes de références n'ont pas la même approche. Il en faut pour tout le monde  :)

  Ecrin: j'oubliais, mais pour ce qui est de ton sentiment de culpabilité,  je pense que nous l'avons tous plus ou moins èprouvé, même quand il n'y a pas de motif sérieux de l'avoir. Ca fait partie des étapes du deuil. Au début nous sommes tellement "en colère" de ce qui nous est arrivé-et surtout de ce qui est arrivé à l'être aimé-que nous cherchons un responsable, et quand nous n'en trouvons pas, c'est à nous-mêmes que nous nous en prenons. Mais c'est une impression erronée-un passage obligé peut-être, mais qui ne reflète pas la vérité. Tu as fais tout ce que tu as pus pour ton conjoint, tu as été là pour lui tout le temps, il avait conscience de ton amour, de votre lien. Vous avez vécu une très belle histoire.

 :-* :-*
 
*Où que tu sois, ne m'oublie pas. Ici, ta voix résonnera encore et toujours. C'est un nouveau monde qui s'ouvre à toi; mais c'est un monde où je ne suis pas...* (Dark Sanctuary)