Samedi 11.09.2010, il est environ 9h00.
Ma fille de 11 mois finit de me tirer de mon sommeil par ses appels de faim, pendant que ma femme termine de se préparer.
Elle a rendez-vous dans un groupe de paroles à l'hôpital pour échanger sur la sclérose en plaques, maladie qu'on lui a diagnostiqué quelques mois auparavant.
La douleur physique mais aussi la souffrance morale sont de plus en plus difficiles à supporter. Elle n'arrive plus à prendre ses enfants dans ses bras, à me caliner, à supporter les frottements de ses vêtements, et depuis quelques jours elle n'arrive plus à se soulager, ce qui m'inquiète particulièrement. La tension est montée d'un cran et nous nous sommes engueuler 3 jours avant.
10h00 :
Elle part en voiture, je la croise à peine, un petit bisous furtif, à peine un mot.
Il fait un soleil magnifique, mon fils de 7 ans a besoin de renouveler sa garde robe sportive pour la rentrée, je décide donc de faire du shopping en attendant le retour de maman. Je prépare donc la troupe tranquillement.
10h15 :
Tiens, mon mobile sonne; un numéro inconnu, je ne réponds pas, ils laisseront un message. Ah bah tiens, un message mais plus assez de batterie pour le consulter. Tant pis je pars avec les enfants.
Arrivé au magasin, j'achète un survêtement, des baskets et 2/3 autres vêtements pour mon fils et petit sweat pour ma fille, leur maman sera contente et trouvera ça mignon. Je paie, on rentre.
12h15 :
Ma femme n'est toujours pas rentrée, je me dis qu'elle a enfin dû trouver de quoi la soutenir.
Je mets en charge mon mobile, ce numéro inconnu m'a appelé avec insistance. J'ai aussi un message sur le téléphone fixe.
J'appuie sur le bouton de lecture, une femme que je ne connais pas me dit qu'il faut me rendre au plus vite à l'hôpital, que ma femme a eu quelque chose de grave mais qu'elle ne veut pas m'en parler au téléphone.
Une sorte de lame de terreur me traverse le corps, mon coeur s'emballe, la réalité se déforme.
Que faire des enfants ? Par où commencer ? Où sont mes chaussures ? Mes clés ? Pourquoi mes beaux-parents ne répondent pas au téléphone ?
Je fonce chez le voisins, je laisse tout en plan, les enfants, les courses, la maison et je fonce dans ma voiture.
Mon coeur bat à 100 à l'heure, je tremble.
12h45 :
Je suis à l'hopital, je croise le regard de cette femme et nous nous soupçonnons mutuellement d'être celui/celle qui se sont parlés au téléphone.
Je file aux urgences.
Ma femme est sur un lit dans une salle des urgences, à moitié dans le vague.
Elle vomit dans un haricot en carton, elle semble à moitié consciente.
On me parle de rupture d'anévrisme, en attente de confirmation par la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Les urgentistes sont très prévenants, étrange.
Ma femme n'a le temps de me dire que ces quelques mots : "ne t'inquiète pas". Elle sombre ensuite dans un coma provoqué.
13h45 :
Je lui fais un dernier bisous avant que l'hélicoptère ne l'emmène à Paris. Un hélicoptère ? Pourquoi un hélicoptère me suis-je demandé.
Je rentre et donne les nouvelles à la famille, l'inquiétude n'est pas encore à son comble, on ne réalise pas bien la gravité de la situation, vu qu'elle avait l'air consciente et à peu prêt bien ce matin, hier, avant-hier, ...
17h00 :
Je me rends à Paris, à l'hôpital. Il est immense, je mets plus de 30mn à trouver le service de neurologie.
J'arrive dans un étage désert, quasiment personne pour me renseigner. J'attrape toutes les personnes qui portent une blouse pour essayer de trouver ma femme. On me dit qu'elle est là dans ce service, qu'elle devrait bientôt passer devant moi.
18h30 :
Une femme que je reconnais à peine passe sur un brancard avec 5 médecins autour d'elle. Elle a un énorme bandage à la tête, une machine étrange qui fait des bip bip et un petit tuyau qui va à son crâne, rouge de sang.
Je reconnais ma femme, stupeur.
Les médecins me disent qu'ils vont venir me voir.
Je suis tétanisé. L'attente est interminable, j'entends parler, j'entends des bruits.
19h15 :
Le médecin vient me parler : ma femme a fait une rupture d'anévrisme à 3 reprises dans la journée. Il ne me le dit pas tout de suite, mais son cerveau est condamné.
Ma vie s'écroule.
S'en suivent 3 semaines faites de peur, d'angoisse, de faux espoirs, de tempête dans mon esprit, de larmes, de cris jusqu'à l'annonce de la mort cérébrale de ma femme.
Ce samedi 11.09.2010, mon terroriste à moi s'appelait AVC et il a écroulé mon monde, mon amour, ma famille comme autant de tonnes de béton et d'acier.