Chrisang (Christian + Angélique ?),
Te dire que nous sommes nombreux à avoir vécu l’abominable lutte contre la maladie ne t’aidera pas beaucoup. Mais au moins, nous pouvons te dire que nous savons exactement ce que tu as vécu et ce qui se passe aujourd’hui pour toi.
Avec le recul, je vais dire une chose épouvantable, qui va surement énormément choquer et je vous pris, d’avance de me pardonner…
Je regrette presque ces moments d’intimité profonde, à l’hôpital, où je ne vivais que pour lui, à veiller sur sa respiration, son confort, à échanger un mot, un semblant de sourire, parfois un peu plus quand la douleur s’éloignait avec une position du corps plus confortable. Ces instants là, sont encore plus forts que l’amour charnel qui fusionne pourtant les corps pour n’en faire qu’un. Ces heures où l’on apprend à interpréter la moindre grimace, le moindre regard, ces heures où nous souffrons autant que lui, et où nous sommes son unique point d’attache, où il ne compte que sur nous pour avoir autre chose qu'un soin, une toilette douloureuse, un plateau repas inbouffable. Ces moments où nous l'enrobons d'Amour, où nous tentons de le protéger de tout et de tous. Où il sait que nous tiendrons sa main. Où nous sommes encore ensemble.
C’est affreux de dire cela, mais ces moments ont été le nœud indénouable de notre Amour. Même s’il l’a payé de sa vie, même si cela a brisé la mienne.
Et après, cet immense vide. Comment l'accepter? C'est tellement injuste!
Chrisang, cette descente aux enfers n’est que la suite normale, toute cette énergie, cette tension et soudain, tu n’as plus qu’à rentrer chez vous. Brusquement inutile, brutalement seule.
On dit que le deuil n’est pas une maladie. Je n’en suis pas si sûre. Le corps ne répond plus, l’esprit est embrumé comme anéanti par une forte température, chaque mouvement est une épreuve, la pensée ne suit pas, la faim disparait, le sommeil aussi.
Il faut doucement tout réapprendre, comme si ces heures passées à l’hôpital avait été un « reset » du passé. Remise à zéro.
Et comme avec les enfants, l’apprentissage se fera avec le temps, avec de la douceur et en écoutant son corps.
Rien n’est plus comme avant, alors tout doit être revu, reappris, reconstruit.
Mais tu cherches ici une écoute et de l’espoir, même si tu n’y crois pas.
L’écoute, tu l’auras toujours.
L’espoir, c’est nous, les plus anciens qui te le donneront.
L’Amour que tu portes à ton compagnon n’est pas unique, comme nous le pensions tous. Il y a beaucoup de grandes et belles histoires d’amour sur notre planète. Et la rupture en est d’autant plus douloureuse. C’est le temps qui adoucit, qui apaise, c’est l’habitude qui s’installe, c’est la douleur, caillou acéré et coupant, qui devient au fil des jours un galet rond et doux, acceptable au creux de la main. Ce caillou devenu galet, c’est notre victoire sur la mort, pas sur l’Amour qui reste, et nous enrichit chaque jour.
Au fil des témoignages des uns et des autres, on découvre des méthodes pour survivre, méthodes qui conviennent aux uns mais pas aux autres, lectures, croyances, médicaments, homéopathie…
Les larmes qui doivent couler, couler et encore et encore, tant qu’elles sont là et bloquent la vue et la respiration. Et puis l’échange, la communication, raconter, dire et redire, poser des questions, parler d’hier, de sa vie d’avant, et de ses peurs maintenant.
Ne rien garder au fond. Se souvenir, pleurer, se souvenir encore, pleurer encore… se souvenir et sourire, les larmes au bord des yeux, et se souvenir et sourire… C’est là le but de notre chemin.
Nous marchons tous ensemble pour en arriver là.
Viens avec nous.

Marina