A 17h35, cela a fait 73 jours que mon amour, mon chat, mon gros chat, mon Raminagrobis, mon hurluberlu s’en est allé après un peu plus de 2 mois de cauchemar à l’hôpital de Rouen. La claudication sans douleur et sans cause apparente depuis octobre. Des sautes d’humeur inexpliquées depuis plus de 18 mois. 10 ans que nous nous connaissons. Deux ans d’amour fou. La Bolivie, l’Egypte, Abou-Simbel, les temples de Ramsès II et Néfertari pour nous seuls pendant ½ heure au lever du soleil, la Mer Rouge, le Maroc, la Haute-Savoie (ses chères montagnes), l’Ardèche, notre amour fou, fusionnel, nos coups de gueule, à la hauteur de notre amour, nos vies sans nous – lui à Rouen, moi à Nantes – nos appels téléphoniques sans qu’aucun téléphone ne sonne, ses parties de pétanque avec ses potes pendant que moi je bosse auprès de sa mère. Ses petits surnoms tendres qu’il me donne, mon bébé-chat, ma petite marmotte, ma loutre orangée, toutes ces cartes que nous nous envoyons lorsque nous sommes séparés 15 jours, sa mère qui nous mène une vie d’enfer (94 ans depuis le 2 février), un amour hors du commun comme tous les beaux, les vrais amours.
26 novembre - CHU de Rouen. Je le fais admettre à l'hôpital suite à des chutes répétées et depuis la veille il ne sais plus comment couper de la viande avec son couteau. Tumeurs, abcès, kystes, on nous mène en bateau. Le lendemain, après un gros coup de gueule, le médecin me dit que c'est un glioblastome, un cancer du cerveau. 2400 personnes par an en sont atteints. Espérance de vie, 5 ans. Puis une crise d'épilepsie déclenche une hémorragie tumorale le 18 décembre. Son espérance de vie chute à 1 an. Et le 28 décembre, alors qu'il est rentré à la maison, pris en charge dans le cadre d'une hospitalisation à domicile par la croix rouge de Rouen, une infirmière pratique un lavement "traumatique" qui le blesse. Tout va alors s'enchaîner très vite. Abcès, gangrène, infection généralisée. Le 24 janvier il est transféré au centre anti-cancéreux de Rouen. Le 26 janvier au soir, il me demande d'intercéder auprès des médecins pour qu'ils fassent en sorte que toutes ces souffrances cessent. Je ne veux pas le perdre mais je l'aime et je respecte ses voeux plus que tout, Alors j'accepte. L'infirmière me dit que c'est très beau ce que j'accepte de faire et que ça ne l'étonne pas parce que nous vivons un amour fusionnel. Je ne sais pas si c'est beau, mais c'est mon amour que j'aime par-dessus tout. Nous nous disons au revoir toute la nuit. Je ne veux pas qu'il parte mon amour. Moi je le garderais comme ça près de moi, juste pour un petit bisou, une petite tape sur la fesse, des mots doux sussurés à l'oreille, sa main chaude dans la mienne.
Depuis le 26 novembre, je vis nuit et jour à l'hôpital. Je mange avec lui, je dors dans sa chambre. A partir du 26 janvier, j'ai dormi dans son lit, tout près de lui, dans sa chaleur, contre son corps si décharné, si fatigué. Je voudrais le garder, mais je n'ai pas le droit de lui imposer son corps qu'il ne maîtrise plus, son autonomie perdue. Alors je lui parle, je le caresse, je le couvre de douceur toute la nuit. Je lui dis combien il m'a aidé à vivre, à grandir, combien je l'ai aimé, combien je me suis sentie aimée. Je lui dis que je ne veux pas qu'il parte, qu'il me laisse, que je ne suis pas prête à vivre sans lui, que nous avons encore plein de choses à vivre, que nous devons nous marier, partir vivre en Haute-Savoie, que je ne serai plus rien sans lui, que la radiothérapie fonctionne, qu'il a recommencé à bouger son pied, que, que, que... Il me fait promettre de bien m'occuper de mes filles alors en échange, parce que je veux toujours quelque chose en échange, je lui fais promettre qu'il sera toujours mon ange, auprès de moi pour m'aider à continuer à avancer, à survivre en attendant de venir le retrouver, pour veiller sur moi, continuer à m'aimer, à me protéger. Parce que lui, il resterait toujours lové au creux de moi, parce que personne ne m'aimerait plus jamais autant qu'il m'a aimé, Alain, mon gros chat, mon amour. Et ses dernières paroles ont été "je t'aime mon bébé-chat". Il me l'a dit comme ça, dans un souffle. Et puis nous nous sommes endormis. Ma grande fille a pu lui dire au revoir le lendemain à 8h00 avant qu'ils ne commencent les injections de morphine, somnifère et autres décontractants. Le samedi matin, nous avons connu un grand moment de paix, de douceur, de joie et de douleur. Une douce fête en musique, de jolis morceaux de Bolivie avec ma fille et des copines venues exprès de Nantes pour lui rendre un dernier hommage. Alors qu'il était plongé dans le coma depuis deux jours, Alain nous a envoyé des petits signes, il m'a serré doucement la main, il a essayé d'ouvrir les yeux et il nous a remercié en haussant les sourcils, 4 fois, comme un enfant émerveillé devant le cadeau de ses rêves. Le lendemain matin, je lui ai fait écouter de nouveau les morceaux que j'avais enregistrés et son morceau favori de U2, When the streets have no name. Une jolie parenthèse et il m'a encore remerciée... Et puis mon amour est parti dans mes bras à 17h35 après que je lui ai juré qu'il pouvait partir tranquille, que j'étais bien entourée, que je serais forte, que je l'aimais et que je l'aimerais, toujours....
Alors je sais que nous avons eu la très grande "chance" de pouvoir nous dire au revoir, d'être ensemble jusqu'au dernier moment.
Mais je ne suis pas forte. J'ai peur, j'ai mal, des litres de larmes s'écoulent de mes yeux, je n'ai plus que la peau sur les os, mes filles sont en Bolivie, je suis seule seule seule avec mon chien, les bouffées d'angoisse m'étouffent, ma maison me fait horreur car elle me rappelle trop nos amours mortes alors je vais quitter Nantes et partir à La Rochelle mais qu'est-ce que ça changera. Mon chat ne sera pas plus là. Je serai toujours comme le soleil qui se lève et qui se couche chaque jour mais je ne saurai toujours pas pourquoi.
Il paraît parfois que nos morts viennent nous voir, quand on ne s'y attend pas. Alors, moi, je l'attends peut-être trop. Mais il ne vient pas. Mon amour, mon grand amour est parti. Mon lit est trop grand, trop vide. J'ai peur, j'ai froid. Je voudrais juste qu'il revienne...