Oui, Lauren, le deuil est une "fragilisation extrême", je suis bien d'accord avec toi.
Ce qui est certain, c'est qu'avec les années, la fragilisation -si elle est toujours là- ne dévoile que la force qu'elle a malgré nous créée. On se blinde, on s'endurcit, on met la tête dans le guidon et on avance, contre vents et marées et on laisse sur le bas-côté ceux et celles qui ne nous apportent rien ou qui nous blessent même sans le savoir. On ne perd plus de temps, on n'a plus de pitié pour les cons.
J'ai appris une forme d'égoïsme à trop avoir été déçue ou abusée par les "nonendeuils", je m'inquiète en priorité de mes enfants, et depuis peu, un peu plus de moi. Mais je me ferme à la douleur des autres, à leur opinion...
J'ai moi aussi une ado de 16 ans (et un fils de 12 ans), copie conforme de tous les ados du monde... piles d'assiettes dans sa chambre, culottes sales sur le sol, lit pas fait, trognons de pomme sous le lit... j'ai trouvé la parade... 1€ de moins sur son argent de poche, chaque fois que je rentre dans son antre et que je vois le foutoir... (je n'y rentre pas tous les jours, ce qui m'enrichirait sûrement mais limiterait très vite les finances de ma fille... alors je menace et je préviens au moins une fois par semaine de mon prochain coup de balai... et ça marche !...)
Quand mon mari est mort, mes enfants ont été odieux. Je ne comprenais pas, ils étaient dans la révolte, dans l'opposition, ils faisaient des conneries et me rendaient la vie impossible. Ca a été très dur. Ils me voyaient prostrée sur le sol de la cuisine... Ils devaient être terrifiés. J'ai réalisé qu'en plus de leur propre douleur, il avaient peur de me perdre moi aussi et leur comportement, c'était une façon de m'obliger à tenir debout, à faire face... Grâce à eux, je n'ai jamais pris d'antidépresseurs, ils ont été mieux que ça !... Je dis toujours qu'ils sont mes "coups de pieds au fond de la piscine". Quand je vais mal, ils sont là, ados et chiants et heureusement, et quel bonheur de les avoir !...
Oui, ils sont égoïstes, cossards, égocentriques, cra-cras, leur musique casse les oreilles, leurs centres d'intérêts aussi, ils ont des copains et beaucoup trop, ils ne pensent qu'à eux, vident le frigo et gèrent notre emploi du temps comme s'il était le leur (on est à LEUR disposition !), mais ça prouve qu'ils sont dans la vie, et qu'ils avancent en dépit de leur chagrin. Et c'est tant mieux. Ils nous rappellent qu'on doit en faire autant et que seul demain compte. Hier... les souvenirs... la nostalgie, c'est pas leur truc et moi je vis comme un immense privilège d'être mère d'enfants jeunes aujourd'hui. C'est dur souvent, j'ai des pulsions infanticides au moins une fois par jour (et encore plus maintenant que mon fils est déscolarisé !) mais je les aime même si les élever me demande une énergie phénoménale !
Je laisse passer les orages quand ils éclatent, on en rediscute ensuite.
J'ai instauré des cadres dans lesquels je laisse une certaine liberté.
Je demande à mes enfants de respecter les règles et en contrepartie, je suis plutôt cool pour les choses moins importantes. Une règle non respectée et c'est une sortie qui saute... ma fille ne s'y risque pas, elle sait que je suis intransigeante et que je me fiche de l'opinion de ses copains. Mais à 16 ans c'est encore gérable. A 18 beaucoup moins, évidemment...
En tous cas, courage à toi Lauren. C'est vrai que notre fragilité est infinie, on apprend peu à peu à ne plus l'exposer à personne, même à nos propres enfants. C'est une question de survie !
Je t'embrasse.
M.