Chère Libellule,
Il y a des années que je ne suis plus venue sur ce site, mais ce soir, une amie en deuil m'a demandé sur quel forum j'allais, àl la mort de mon mari, alors je suis venue vérifier et je tombe sur ton message.
Ce qui me rapproche de toi, c'est que je suis moi aussi, maman de 2 enfants brésiliens que mon mari et moi avions adopté à l'âge de 4 et 6 semaines. Ils avaient 7 et 11 ans à la mort de leur père.
Mon mari est tombé d'un arbre qu'il élaguait, un samedi matin, dans notre jardin. Il est mort sur le coup. Les enfants regardaient un dessin animé à la TV en pyjama. Notre vie si paisible a basculée, tout à coup, et rien n'a plus jamais été comme avant.
Si je viens te parler, ce soir, c'est pour te dire combien je comprends le malheur que tu traverses.
Moi aussi, j'ai cherché du soutien ici, près de personnes qui pouvaient trouver des mots de réconfort, auxquelles je pouvais tout dire, mon chagrin, mon immense solitude et douleur, ma peur du lendemain, mon incompréhension, enfin tout... Je n'étais pas jugée, j'étais incognito, et de m'autorisais des mots que je ne pouvais pas dire aux amis, à la famille, et surtout aux "nonendeuils".
Et plus les mois passaient, moins les autres comprenaient que ma douleur restait intacte, voire même plus grande parce que passée la période de sidération, la réalité s'imposait à moi avec toute sa violence. Quand je revenais de poser les enfants à l'école, je me disais "c'est impossible, il sera là, c'est un cauchemard". Et pendant des mois, pendant au moins 3 ans, j'ai entendu, le soir, la porte du garage qui se fermait derrière lui... mais il ne rentrait plus la voiture....
Je me suis accrochée à mes enfants. Je voulais que pour eux rien ne change. Papa ne rentrait plus, c'était la seule différence. Alors j'ai refusé tout médicament anti dépressif pour rester vigilante et opérationnelle. Je me suis blindée de l'intérieur, j'ai continué à porter des robes roses (ou blanches, ou bleues), et j'ai avancé jour après jour. Mes enfants ont été (et restent) mon "coup de pied au fond de la piscine". Je leur dois ce que je suis aujourd'hui, 8 ans après. Ils ont su surmonter cette terrible épreuve comme le font les enfants, en allant de l'avant égoïstement, mais sainement. Leur père leur a manqué, mais j'étais là pour eux, de façon inconditionnelle et ils étaient mon univers et moi le leur. Nous avons formé une bonne équipe soudée et nous nous aimons fort et profondément.
Je suis passée par des moments terribles de solitude, parce que personne ne peut comprendre s'il n'a vécu lui-même un deuil. J'ai trouvé sur ce site, une amie, veuve avec 3 enfants (dont un nouveau-né comme toi) dont les aînés avaient l'âge des miens. Nous nous voyons très souvent, nous avons avancé différemment (elle s'est remariée 3 ans après, je suis toujours seule), mais nous avons cette solidarité des femmes qui ont connu un drame et peuvent se comprendre si bien. Nous avons ri, lorsqu'il y a quelques jours, j'ai évoqué cette période en disant "je croyais que ma vie était finie". Elle m'a dit "personne mieux que moi peut comprendre quand tu dis ça"... Et c'est vrai, ma vie était finie...
Aujourd'hui, ma fille a 19 ans. Brillante élève, bachelière elle a réussi le concours de l'école parisienne qu'elle convoitait. Elle est amoureuse, heureuse, elle aime sa vie d'étudiante et a un vrai projet professionnel (devenir, pourquoi pas, ambassadeur. On verra). Je suis fière d'elle et de sa force.
Mon fils est plus fragile. Grandir sans image paternelle, c'est très difficile. Je n'ai pas trouvé autour de moi de soutien, pour l'aider à entrer dans sa vie d'ado, et dans sa vie de future adulte. Je fais comme je peux... Il a 15 ans et veut faire un lycée pro pour être chaudronnier. Je le pousse dans ce sens, en espérant qu'il sera heureux dans son choix.
Et moi, je vais aussi bien que possible. Les enfants plus grands, presqu'autonomes, je commence à envisager de reprendre ma vie de femme et laissant un peu plus de côté ma vie de mère. Les choses se sont faites à leur rythme, comme je le sentais. Je ne voulais pas qu'un homme entre dans ma vie et vienne mettre en danger notre équilibre à 3, tant que les enfants seraient fragiles et vulnérables. Je suis presqu'arrivée au but !...
Si tu as des soutiens familiaux, utilise les. Fais toi aider autant que tu le pourras par les gens bienveillants qui te tendront la main.
Il faut que tu saches qu'il te faudra du temps, ton deuil est tellement frais. Tu vas vivre les étapes une à une, la sidération, la colère, le refus, le désespoir... bref, tu vas beaucoup pleurer mais n'en aies pas honte, même devant tes enfants. Il faut que tu leur dises que ton chagrin ne t'empêchera jamais d'être là pour eux, qu'ils peuvent compter sur toi et que même si tu es désespérée, tu ne les abandonneras pas, que tu ne t'effondreras pas et que vous resterez ensemble.
Moi, dès le début, je leur ai dit que leur histoire si douloureuse (adoption, orphelins) faisait d'eux des enfants "extra-ordinaires" dans le sens où ils n'avaient pas une vie ordinaire. Et qu'ils avaient un train d'avance sur leurs copains qui, eux aussi, un jour perdraient inévitablement quelqu'un et que cela leur donnait une force incroyable parce qu'ils savaient ce qu'était le malheur et qu'ils avaient survécu. Et qu'après ça, ils pourraient survivre à tout.
Je ne sais pas si mon discours a porté ses fruits, mais ma fille, en tous cas, est une sacré bonne femme ! Mon fils est encore un peu jeune pour faire ses preuves, mais il n'est pas dénué de caractère et n'est pas influençable.
De tout ce malheur, il en est sorti quelque chose de bien dont je suis fière.
Voilà. Je voulais témoigner pour t'envoyer des ondes positives, pour te dire que le chemin est long, difficile et douloureux, surtout avec des jeunes enfants, mais que tu vas y arriver. Mon amie et moi y sommes arrivées, nos enfants vont bien et sont plutôt heureux dans leur vie. Ils se sont construits avec cette histoire, ce qui ne signifie pas qu'il sont bancales, bien au contraire.
Je te souhaite beaucoup de force dans les jours, les mois, les semaines et même les années à venir. Tu vas y arriver.
Tu peux me contacter par mail si tu veux, je te répondrai.
Je t'embrasse ainsi que tes petits.
Courage.
B.