Bonjour à tous,

Demain cela fera deux mois qu'il s'est "éteint" comme on dit. La veille du 20 mars les infirmiers m'ont laissée dormir en réa. Comme son regard partait dans le vague je l'ai obligé à me regarder et je lui ai dit que je restais là, près de lui, qu'il dorme tranquille. Il a fait oui avec la tete. Pendant la nuit, les infirmiers entraient dans la chambre, sur la pointe des pieds, avec une lampe de poche pour regarder les constantes. Ils ne voulaient pas me réveiller. Je ne dormais pas et je fondais de reconnaissance envers ces professionnels si pleins d'humanité, d'attentions, de tendresse presque.

Le lendemain il ne m'entendait plus. Dans la vie, il n'aimait pas qu'on le manipule, qu'on lui tienne la main ou qu'on le caresse quand il n'en avait pas envie ( je suis comme ça aussi). Je ne savais pas s'il aurait aimé que je le tienne dans ses derniers instants. Dans le doute, je ne l'ai pas touché, je suis restée assise près de lui. Il était très calme, il respirait doucement, doucement. J'ai pensé à la violence des jours qui s'étaient succédés depuis l'annonce de sa maladie, à ses larmes silencieuses lorsque les infirmiers le manipulaient pour les soins, à toute cette déchéance du corps décharné, meurtri, abandonné aux regards, abimé. Lui qui était assez narcissique, qui aimait prendre soin de lui, quelle humiliation, quel avilissement d'etre contraint de livrer ainsi son corps, comme une poupée qu'on lave, qu'on habille, qu'on attache, qu'on scrute à longueur de journée.
Brusquement il a cessé de respirer. Comme il avait demandé qu'on ne le voie pas mort, je suis partie en courant. Je ne voulais pas lui voler sa dernière volonté.

Bizarrement ce matin je ne me sens pas triste. J'ai l'impression qu'un lien indestructible, indéracinable, immuable, éternel nous unit, et que, meme si je ne le retrouve pas après ma mort, ce lien restera, comme un prolongement de moi-meme. C'est un peu le meme que celui que je ressentais pour mes 3 bébés lorsque je les avais dans mes bras: rien, personne, au delà de la mort ne pourra briser l'amour entre nous.
Je ne sais pas s'il y a un après la mort, je l'espère très fort. Rien pour moi n'est éternel, sauf mon amour pour mes 3 petits (adultes) et pour cet homme exceptionnel, magnifique, unique à mes yeux.

Je sais que cette histoire est la mienne et uniquement la mienne. Mais ça me fait du bien de vous en parler. Et puis je sais que c'est l'amour immense qui rassemble toutes nos histoires. Je vous embrasse. Lauren