Auteur Sujet: Une peine immense  (Lu 34887 fois)

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Hors ligne Philippe99

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Une peine immense
« le: 19 avril 2021 à 15:48:26 »
Bonjour à toutes et à tous,

J’ai découvert ce forum ce week-end et j’ai donc décidé à mon tour de témoigner.
Même si la peine ne se partage pas, chaque histoire et parcours étant différents, les personnes sur ce forum connaissent la douleur profonde que représente la perte d’un être cher. S’il y a une solitude dans cette souffrance qu’il faut vivre au quotidien, savoir que d’autres pourront la comprendre immédiatement permet, peut-être, de s’exprimer plus facilement.
J’imagine que, comme pour moi, chaque témoignage est difficile à lire car il ramène inexorablement à la peine que l’on connaît.

Avant de développer un peu, je vous présente le contexte général. J’ai eu 3 vies, celle que j’appelle la vie d’avant, avant le 14 juin 2013,  faite de joie et de bonheur (des soucis comme tout le monde mais au final sans gravité); la vie dure, injuste et cruelle remplie d’épreuves traumatisantes où la vraie liberté n’existe pas et ma vie actuelle où la liberté est désormais totale mais sans les personnes qui m’aimaient le plus au monde (et réciproquement). Mi-décembre 2020, j’ai perdu mon papa et six semaines plus tard, fin janvier 2021, c’est ma maman qui est partie. Ils sont partis tous les deux dans mes bras dans des conditions difficiles. J’ai 54 ans, mon papa avait 86 ans et ma maman 84.

Notre famille a été durement touchée il y a plus de 7 ans lorsque ma maman a fait un AVC, se retrouvant terriblement handicapée sur le plan physique et neurologique, totalement dépendante et sans pouvoir s’exprimer, ni complètement comprendre.
Alors que les institutions voulaient caser ma maman n’importe où, nous avons avec mon papa ramené ma maman à la maison car la place des personnes qui souffrent est auprès de ceux qui les aiment. Un cadre infirmier m’a simplement dit que je faisais cela pour me donner « bonne conscience ». Il a fallu, seul, tout organiser et constater que rien existe pour vous aider réellement. Trois année plus tard, c’est mon papa qui a commencé à décliner avec la terrible maladie de Charcot. Il était exclu pour moi qu’il ne reste pas la maison. Durant toutes ces années, comme de nombreuses familles, j’ai connu les hôpitaux avec des protocoles absurdes, les personnes incompétentes, minimalistes et ceux qui savent mieux que vous-même ce qui est bon pour vos parents. Bien sûr, par honnêteté, il faut rendre hommage à ceux qui font leur métier de manière remarquable et avec dévouement mais les structures brisent souvent la volonté de ceux qui veulent apporter toute leur humanité.
Avant les fêtes de Noël, mon papa est parti.
Trois semaines plus tard, alors que rien ne le laissait présager, ma maman étant en bonne forme, il fallu l’hospitaliser. Je savais alors que sa vie était en danger,  non pas pour la raison initiale, mais parce qu’elle avait besoin de beaucoup d’attention.
La première semaine, j’ai pu durant les visites lui donner à manger et à boire, tout se passait bien. En fin de semaine, cas Covid dans le service, fermeture de celui-ci et interdiction de toute visite. Ma maman s’est retrouvée seule, abandonnée, sans attention durant une semaine complète. A son retour à la maison, elle était  très dénutrie, très déshydratée et en état d’épuisement profond.
Ma maman est partie une semaine après son retour …
Je n’ai pas, aujourd’hui, l’énergie de développer tout ce que j’ai fait et vu en tant qu’aidant (j’ai horreur de ce mot), mais ceux qui connaissent cette situation savent le réel calvaire que cela représente au quotidien. J’ai réorganisé toute ma vie pour m’occuper de mes parents et je ne regrette en rien ce que j’ai fait car je sais que sans cela mes parents seraient morts depuis longtemps. Pour autant, il faut le vivre au quotidien …
Le départ de mon père était déjà difficile; j’avais encore maman qui avait besoin d’attention et le rythme de vie restait inchangé (infirmières,  intervenantes, kiné, …). Le départ soudain de ma maman m’a terrassé. Tout dans la maison est devenu si calme, si vide; cela accentue l’absence et renforce le côté définitif de la situation.
Parfois, j’imagine mes parents, à nouveau ensemble pour l’éternité, joyeux, souriants, enfin apaisés, retrouvant la sérénité qu’ils méritent tant.
Mais souvent, les images qui reviennent sont difficiles car je revois les derniers moments, terribles.
Les souvenirs des sourires sont aussi terriblement éprouvants car c’est sans doute ce qui me manque le plus.
Tout, autour de vous, continue comme si de rien n’était (et c’est normal) alors que l’on est dans une peine extrême, le temps s’étant arrêté.
Je sais que le temps doit faire son œuvre. Je suis aujourd’hui moins abattu mais tout cela reste fragile. Je savais pertinemment que leur départ serait difficile pour moi, mais on ne peut pas se préparer à cette étape ultime.

Je pense que certaines/certains d’entre vous se reconnaîtront, en tout ou partie, dans mes propos.
Je n’aime pas la formule « bon courage » car lorsque tous les soirs l’infirmière me disait ‘bon courage’ , cela signifiait pour moi que je me retrouvais seul à affronter les difficultés qui allaient se présenter, mais je nous souhaite de trouver la force nécessaire pour affronter cette peine et de retrouver un peu de sérénité.

Merci d’avoir pris le temps de me lire.

Hors ligne chris

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Re : Une peine immense
« Réponse #1 le: 20 avril 2021 à 18:26:27 »
Bonjour Philippe,
Vous avez bien fait de venir sur ce forum ou chacun peut partager son histoire et être compris car nous partageons hélas tous des moments de souffrance ici.
Votre notion de plusieurs vies me fait écho  , qui pour ma part sont un peu différentes .
Celle comme vous ou  je profitai du bonheur en toute insouciance,  puis lors dés  premiers symptômes  de la maladie d’Alzheimer de mon papa à 60 ans .
Habitant dans le même village , j'ai pu le soutenir ainsi que ma maman .Nous avons affronté ses premiers oublis , tout doucement au début puis tout s'est enchainé , les moments les plus durs ou il a  fallu qu'il cesse d’être président de la société du village,  et surtout lui dire qu'il ne pouvait plus conduire (il conduisait de l'autre coté de la voie), et même plus possible de partir à pied car son repère était la bande blanche du milieu pour marcher. Quelques années se sont écoulées et le physique n'a plus suivi et il est décédé à 67 ans en 2000.
La vie a repris son cours ,  toujours présente pour maman qui a accumulé des soucis de santé , cardiaque , rénal et pulmonaire. J'ai été à ses cotés pour le quotidien en supplément des infirmières, toilettes repas car elle ne se déplaçait plus . Elle a été hospitalisée 15 jours il y a 7 mois  mais  se voyant si mal, elle ne voulait pas de ma présence pour m'épargner. Je l'ai donc vu très peu et elle est décédée à l’hôpital .
Aider mes parents pour moi était une priorité tout comme vous mais  vivre  leurs difficultés au quotidien  a été des moments tellement forts en émotion  que je vous comprends .
Une nouvelle vie sans ses parents , c'est tellement difficile mais il faut se concentrer sur les bons souvenirs et penser qu'ils sont réunis et surtout qu'ils ne souffrent plus.

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #2 le: 21 avril 2021 à 11:19:16 »
Oui, Chris, nous avons des parcours de peine qui se rejoignent et vous connaissez sans doute, malgré tout l’encadrement que vous citez (infirmières, ...), les moments de solitude profonde lorsque que l’on réalise la situation. Je me souviens de petits moments de légèreté, suite à un sourire de ma maman et immédiatement après le constat terrible que l’on se satisfait finalement d’une toute petite chose dans un océan de difficultés et que l’on ne pourra rien changer.  On se contente de petits bonheurs, vite écrasés par l’ampleur de la souffrance vécu. Je m’efforçais de faire sourire ma maman en faisant tout le temps le clown,  alors que derrière le masque, je pleurais …
Je n’ai aucun regret de mettre impliqué autant auprès de mes parents, c’est pour moi tout à fait normal. Ce qui me fait le plus de mal n’est pas de revoir toute les épreuves auxquelles il fallu faire face seuls, mais de me dire qu’après toute une vie de travail au moment où tout un chacun a droit à profiter de sa retraite, mes parents à ce moment là n’ont pas eu cette chance. Je rêvais pour eux d’une vie tranquille sans trop de soucis, ce qui me protégeait aussi par ricochet. Nous avons connu tout l’inverse. C’est ce qu’ils ont vécu qui me fait le plus de peine.Le fait que mes deux parents soient aussi durement touchés l’un comme l’autre est aussi difficile à accepter; se rajoute aussi le fait qu’ils soient partis ensembles, comme si rien ne pouvait les séparer même dans les épreuves.
Vous avez raison, je me dis aussi qu’ils ne souffrent plus et continuent ensemble de faire leur chemin dans la sérénité (62 ans de vie commune). Mais, comme toujours, au-delà des mots, tout le monde est confronté au deuil un jour, mais il faut la vivre cette situation et c’est bien le plus difficile.
Concernant les  vrais bons souvenirs, d’abord ils sont loins pour moi car les bons souvenirs les plus récents remontent à plus de 7 ans et ce long tunnel de peine est tellement impactant que ce sont les mauvais moments  qui reviennent plus directement ; et surtout lorsque je pense à ces bons moments, pour l’instant c’est extrêmement difficile car ils sont le témoignage de ce qui n’arrivera plus et renforce le fait que la vie a définitivement changé. Les mauvais moments reviennent alors que l’on ne s’y attend pas. Hier soir, alors que tout allait bien, subitement j’ai revu l’image de ma maman dans son dernier moment et j’ai revu avec exactitude tout ce qui s’est passé, les mots du médecin, chaque seconde … cela me hante régulièrement et on revit son impuissance, son incapacité  à faire quoi que ce soit alors que la vie est en train de changer irrémédiablement.
Oui, la vie reprend son cours, la peine est peut-être moins terrassante, mais c’est fragile …

Bonne journée

Hors ligne Laure-Leïla

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Re : Une peine immense
« Réponse #3 le: 25 avril 2021 à 22:44:22 »
Bonsoir,

J'ai été très touchée par vos témoignages, qui m'ont donné les larmes aux yeux...Je suis fille unique, et toute ma vie j'ai été très proche de mes parents. Ils étaient plus que ça pour moi : mes guides, mes confidents. Mon père est mort le 30 octobre, ma mère est encore en vie mais c'est l'ombre d'elle-même (elle est en dépression profonde, placée en EPHAD depuis l'hospitalisation de mon père il y a presque un an). Ces dernières années ont été horribles : à eux deux, ils ont vécu 3 cancers, et le second de mon père l'a tué. J'ai fait de mon mieux (je les ai fait transférer près de chez moi, sans aucune aide de personne), mais je me sens toujours coupable : j'aurais voulu être près d'eux pendant le premier confinement, les prendre chez moi, aller les voir chaque jour à l'hopital, mais j'ai un travail et 2 filles de 11 et 8 ans qui ne vont pas bien suite à tout ça... Et comme vous, je me sens souvent submergée par certaines images - le calvaire de mon père resté hospitalisé alité sous oxygène 5 mois, la déchéance de ma mère qui a fait 2 séjours en HP, la maison soudain vite. Comme vous, j'ai été traumatisée par l'inhumanité de certains soignés, et l'impuissance face à ce qu'ils ont vécu (et que ma maman vit encore) me hante. Malgré mon mari et mes filles, je me sens seule sans mes parents, et j'ai souvent l'impression que cette douleur immense ne s'apaisera jamais.
Je pense à vous, à la force dont vous avez fait preuve pour accompagner vos parents.

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #4 le: 28 avril 2021 à 11:25:24 »
Merci pour votre soutien Laure-Leila.
Je comprends tout à fait la peine qui vous accable. Je connais bien ce sentiment d’impuissance et de solitude alors que l’on fait le maximum pour aider nos parents.  Personne ne détient la solution parfaite face à ces épreuves. Je suis sûr que vous êtes le rayon de soleil pour votre maman lorsque vous allez la voir. Vous avez toute ma sympathie.

Aujourd’hui, cela fait exactement 3 mois que ma petite maman est partie et 4.5 mois pour mon petit papa. Je suis trop triste pour développer plus.
Merci à eux d’avoir été des parents exceptionnels.

Hors ligne katrinap

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Re : Une peine immense
« Réponse #5 le: 28 avril 2021 à 11:36:50 »
vous vivez deux drames en si peu de temps philippe et quels drames! devenir orphelin de père et de mère représente un grand changement de vie, où on devient adulte d'un coup
un pas après l'autre...
Prenez soin de vous, reposez vous les deuils de ce type épuisent moralement mais aussi physiquement
Quand vous aurez le temps, venez si vous le voulez crier votre peine, parler de vos parents, les faire vivre ici
on vous écoutera
amicalement
katrin

Hors ligne Laure-Leïla

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Re : Une peine immense
« Réponse #6 le: 28 avril 2021 à 21:06:57 »
Bonsoir Philippe,

Je pense bien à vous pour ces terribles anniversaires. Pour mon papa, l'anniversaire  des 6 mois est dans deux jours, alors forcément je comprends...Chaque mois, le jour anniversaire nous fait si mal...Une amie qui a perdu ses deux parents m'a dit que l'on réalise qu'on va mieux lorsqu'on cesse de compter les mois...Vous et moi en sommes très très loin...
Vos parents ont eu énormément de chance de vous avoir : malgré la douleur, soyez fier de vous, de ce que vous avez accompli pour soulager ce qu'ils vivaient. Je sais que vous pensez ne pas avoir fait assez, car on ne supporte pas l'impuissance face à la maladie, mais vous étiez auprès d'eux et c'est ça qui compte. Ne pas les laisser partir seuls est un merveilleux cadeau que vous leur avez fait. Mais voilà, cet investissement fait que la mort est encore plus terrible : je me suis sentie inutile après la mort de mon papa, ne sachant plus quoi faire de ce calme après des mois à l'appeler, lui envoyer des photos et des messages, aller le voir à l'hôpital tous les vendredis.
Je pense à vous et à cette peine inimaginable que nous avons en commun...

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #7 le: 29 avril 2021 à 19:08:51 »
Merci Laure-Leila, merci Katrinap,

Vous avez parfaitement décrit la situation.
Les tiers me parlent en effet de la fierté qu’il faut en retirer et de la beauté de pouvoir accompagner ses parents. Si je comprends très bien ce qui est évoqué, je le dirais moi-même volontiers à une personne dans le même cas, je trouve que ces belles images apparaissent seulement aux autres qui ont le recul nécessaire vu de l’extérieur. En vivant la situation de l’intérieur, vous savez bien que l’on est absorbé par le quotidien (ce qu’il y a à faire, à organiser, l’attente de bonnes nouvelles et surtout pour moi des nouvelles qui vous enfoncent encore plus, …), et qu’après tout ça, pour le moment, je considère que ce que j’ai fait était normal (dans un contexte complètement hors norme).
La fierté absolue aurait été de pouvoir les sauver réellement et mettre fin à tous ces malheurs, ce qui bien sûr est impossible. Au final, j’essaie de ne pas trop réfléchir à ça, pour ne pas tomber dans le « tout ça pour ça ».
 Les infirmières m’ont dit que sans moi mes parents seraient décédés depuis longtemps. Je sais que c’est exact. Ma maman, après son AVC, est restée quotidiennement à mes côtés  durant 7,5 ans et il a fallu 15 jours à l’hôpital, seule, pour qu’elle parte une semaine après.  Après des fausses  routes, j’ai réanimé mon papa à 6 reprises alors qu’il était inconscient, totalement cyanosé; l’urgence absolue vitale vous pousse à faire des choses impensables. Mais, si effectivement je lui ai sauvé la vie, je n’y vois aucune beauté mais plutôt le signe terrible d’une situation qui s’aggravait irrémédiablement et l’obligation de trouver, seul, une solution (à savoir la mise en place d’une sonde entérale, donc d’autres difficultés à gérer). Ces efforts pour s’accrocher à la vie, sans aucun acharnement, mais avec la volonté absolue de maintenir un confort de vie maximal et sans souffrance, restent pour moi  des images dures et pour les tiers le signe de l’attachement que j’avais pour mes parents.
Aujourd’hui, j’allais très bien, puis en rangeant machinalement ma carte bancaire dans mon portefeuille, j’avais oublié que j’avais glissé une photo de mes parents, et elle est ressortie. Cette photo est le dernier souvenir de mes parents, dans une vie normale, c’est eux qui avaient pris cette photo, pour moi, pour me faire savoir qu’ils étaient biens. Revoir leur vrai visage ,naturel, non marqué par la maladie, m’a fait beaucoup de peine.
Même si chaque histoire est différente, il y a un fil conducteur commun, avec la même peine d’avoir perdu un être cher et de ressentir un vide terrible .

Hors ligne Laure-Leïla

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Re : Une peine immense
« Réponse #8 le: 29 avril 2021 à 22:29:17 »
Cher Philippe,

Oui, je vois ce que vous voulez dire : je culpabilise énormément, j'ai l'impression de ne pas avoir fait assez pour eux...car j'aurais voulu les sauver, et même prévenir leur maladie... Dans ma tête, beaucoup de "et si" tournent en boucle. Les psy disent que les enfants jouent instinctivement ce rôle de sauveur de leurs parents, ça explique sans doute ce que nous vivons...Rationnellement, je comprends que j'ai fait le maximum, mais émotionnellement je bloque encore. Pour ma mère, j'essaie de faire ce chemin: je ne la sauverai pas de sa terrible dépression qui l'empêche quasiment de vivre, mais je l'accompagnerai. Je dis ça, mais souvent je me prends à penser "et si elle avait pris des anti-dépresseurs avant", "et si je la prenais chez moi". Bref, je crois que seul le temps apaisera ce sentiment de ne pas avoir été à la hauteur. Il ne faut pas négliger un autre aspect : le traumatisme pour les aidants qui font face jour après jour à la déchéance du corps et parfois de l'esprit. Ce que vous avez vécu pendant plusieurs années est terrible. Mon père était hospitalisé, donc ce n'est pas pareil, mais le voir diminué, si maigre, respirant difficilement et dépendant du personnel médical est ce qui a été le plus horrible pour moi. J'ai peur que cela efface l'homme qu'il était avant...Et je culpabilise de ne pas être restée auprès de lui jusqu'à son dernier souffle : il était sédaté, je savais que c'était la fin mais je savais aussi que mes filles m'attendaient en pleurant chez moi. Il est mort une heure après mon départ. Pour l'instant, je n'arrive pas à trouver d'apaisement même si je commence à être un peu moins effondrée. Ca fera 6 mois demain...Courage à vous.

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #9 le: 30 avril 2021 à 11:11:45 »
Laure-Leïla,
Vous avez raison, en refaisant le film des derniers instants de mes parents, le « et si seulement  » est tellement présent. Si je m’étais levé une heure plus tôt, comme d’habitude, j’aurais pu être présent avant que mon père ne s’étouffe et tombe dans le coma. C’est pire pour ma mère, pourquoi je ne suis pas rentré 1 heure plus tôt, elle était faible, si j’étais resté, je l’aurais entendu tousser et comme d’habitude je serais venu voir et j’aurais pu gérer cette simple régurgitation. De plus, vu sa dénutrition à la sortie de l’hôpital, c’est moi qui ai  insisté pour que l’intervenante donne une collation à 16h pour la rebooster … cette décision a entraîné la suite …
L’expression ‘ la vie ne tient qu’à un fil’ me hante car après avoir évité ou géré de nombreuses situations complexes durant toutes ces années , je me dis qu’il a suffit de très peu pour basculer dans le drame. Je sais que l’on croit toujours que l’on aurait pu faire quelque chose pour changer ce qui s’est passé, mais en l’espèce, ne serait-ce que pour ma maman, c’est un fait, si j’avais été là, elle ne serait pas partie.
On essaie de trouver une explication que l’on aura jamais et qui pourrait peut-être nous rassurer sur le fait que l’on y est pour rien, que l’on a fait exactement tout ce qu’il fallait, un peu comme si mes parents me disaient « ne t’inquiète pas, tout va bien, tu peux être tranquille ».
Je sais que la solution idéale n’existe pas et que l’on fait toujours au mieux avec nos contraintes, mais cela n’empêche pas d’imaginer une situation meilleure si on avait fait d’autres choix. Je comprends tout à fait votre tiraillement entre votre famille qui a besoin de vous et votre envie d’être encore plus auprès de votre maman, tout en sachant que l’équilibre idéal est difficile à trouver car la vie autour de vous continue. Malheureusement personne ne peut donner de conseils,  j’en ai trop entendu de personnes ne sachant pas ce que c’est de vivre réellement cette situation et qui pense que finalement nous manquons de bon sens  (vous devriez …, il ne faut pas …, vous ne devez être que le plan B, …). Il y a vraiment des gens, et je pense notamment au milieu médical, qui ne savent pas ce qu’est la peine profonde. Pas le souci, même important, qui ne sera que passager et qui au fond ne change pas la vie, non, l’impuissance terrible face à un événement qui de toute façon bouleversera votre vie de façon irrémédiable.
En effet, le fait d’avoir vu nos parents frappés physiquement par la maladie est un traumatisme profond car c’est aussi le témoignage que la vie que l’on a connu s’en va. Comme moi, vous avez dû connaître ce sentiment que l’on est au fond du trou, alors que l’on va s’enfoncer encore et encore. Non seulement on est touchés au quotidien durant toute cette descente, mais après le départ de nos êtres chers , on continuera à être impacté longtemps. Le fait qu’ils soient partis dans mes bras est aussi très durs. Je comprends votre regret de n’avoir pu être présente pour votre papa, j’aurais été dans le même cas. D’un côté,  je me dis que j’étais là lors du dernier souffle (que j’entends encore pour les deux), mais de l’autre j’ai vu l’ultime cheminement vers ce dernier instant de vie et j’ai lutté désespérément pour détourner cette route; c’est très douloureux et traumatisant.
Personne ne mérite ce qu’ils ont vécu au lieu de profiter d’une retraite heureuse et paisible; personne ne mérite ce que nous, enfants, avons vécu et vivons encore.
Je suis un peu moins anéanti dans la durée car je m’efforce de m’occuper l’esprit, malgré tout c’est fragile car quoi que je fasse je ne peux m’empêcher d’y penser, d’imaginer ce qu’ils auraient dit ou fait, de ce que j’aurais pu leur raconter …
Je vous souhaite un week-end le plus apaisé possible.

Hors ligne Laure-Leïla

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Re : Une peine immense
« Réponse #10 le: 30 avril 2021 à 15:54:08 »
Merci beaucoup Philippe pour vos mots, en cette journée particulière pour moi.
Merci de simplement écouter, partager votre expérience sans donner de conseils. Seuls les gens qui sont passés par ces moments terribles savent qu'il n'y a rien à "dire", qu'aucun conseil ne soulagera notre peine : seule l'empathie importe.
Aujourd'hui, je retourne en arrière et revis la dernière journée de mon père, et j'aimerais pouvoir changer le cours des choses...Je sais qu'il voulait en finir, car la vie était devenue trop dure pour lui depuis quelques jours (il n'arrivait plus à respirer), mais il me manque, tout simplement.
Accepter ce manque, accepter toutes les épreuves traversées est un long processus. Moi aussi, j'ai des moments où ça va et je repense au moment où mon père, qui venait de comprendre la gravité de son cancer, m'a regardé dans les yeux et m'a dit "la vie continue, tu m'entends". Alors je le fais pour lui, je fais les choses qu'il aimait faire. Mais parfois la vie me semble si lourde...
J'espère avoir la force ce soir de lui rendre hommage, avec mes filles qui étaient ses soleils, et de penser à l'homme extraordinaire qu'il était, en laissant de côté les images de la fin.
Courage à vous!

Hors ligne Titi

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Re : Une peine immense
« Réponse #11 le: 07 mai 2021 à 18:43:02 »
Comme je vous comprends Philippe99.

Mais on ne peut pas faire plus que ce que vous avez fait ...
j'ai perdu aussi mes 2 parents en qq semaines (22.02 et 06.03 de cette année).
Moi aussi, je me suis organisée pour eux, papa mort dans mes bras, maman à l'hôpital, mais entourée de ses 3 enfants tant qu'elle a été consciente.

Je n'ai pas vécu la situation aussi lgtps que vous, je ne sais pas si c'est plus ou moins difficile qd ça dure, moi j'aurais aimé encore un peu de temps, avec papa, comme avec maman.
On a eu le temps de se parler vraiment, c'est ce qui rend la "chose" un peu moins douloureuse, pour papa du moins.
j'aurais aimé avoir du temps, après, pour chouchouter maman, ça n'a pas été le cas.
je m'en veux, et je vous comprends, tous dans tout ce que vous dites, mais je pense que l'on ne peut malheureusement pas changer le fait qu'un jour, on disparaît, tous .... et, phrase que je déteste ... je crois qu'on a chacun nos trucs qui ne passent pas, c'est que "c’est l'ordre des choses de perdre ses parents". Personnellement, parent, enfant, neveu, c'est pareil, et l'âge, c'est pareil, je suppose qu'on n'a pas la même souffrance car adulte, on est censé s'être construit (je ne ^pense pas que ça soit mon cas, mais bon, c'est un autre sujet  ;)) mais la tristesse est là, l'absence est juste horrible ... ce silence dans la maison, plus aucun pied qui traîne, plus le tac tac de la canne, plus de petits gémissement, pas de machine à oxygène ... je trouve que c'est pire qd ça s'arrête que qd on le met en place ... peut-être que le temps aidera ... pour le moment, pour moi en tout cas, je trouve que les sentiments changent, certes, mais ils sont toujours aussi douloureux.

Philippe99, je pense que vous avez bien raison de venir déposer ici voter peine, on la connaît tous ici ... oui, elle est immense, abyssale ... et revivre en boucle certains des derniers moments, c’est vrai que ça arrive très très très souvent ... j'essaie de me forcer à orienter ma pensée vers des "derniers moments" les plus acceptables qd c'est comme ça ... par exemple, le sourire de papa qd je lui ai coupé les cheveux. On a fait des photos, je les regarde parfois, mais c'est curieux, alors que je ne le voyais pas comme malade à ce point, sur les photos, ça saute aux yeux ... comme quoi qd on aime et qu'on s'occupe des siens, on ne veut pas les voir vieux et malade, peut-être.

Je pense que le courage, on en a pour faire ce que vous avez fait, et, effectivement, ça n'est peut-être pas ce qui vous aurait aidé le plus, un "bonne soirée", ou juste "à demain" ...
Merci en tout cas de le dire, car je m'apprête à essayer de trouver une association pour être aux côtés des personnes en fin de vie ... donc, je prends bien note de ce qu'il vaut mieux éviter de dire. C'est vrai ... On ne pense pas toujours comme il faudrait même qd on veut faire du bien.

Bonne fin de journée.

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #12 le: 10 mai 2021 à 11:22:20 »
Merci Titi pour votre soutien.
Vous avez aussi perdu vos parents très récemment et en très peu de temps. Nous connaissons cette même violence de tout perdre en quelques semaines. Moi aussi, je comptais soulager ma peine en m’occupant encore plus de ma maman …

Je vais globalement mieux car j’essaie de m’occuper l’esprit le plus possible et heureusement j’avais mis en place certaines choses qui me le permettent  (à un moment où la situation avec mes parents étaient un peu stable), et cela s’avère salvateur. Heureusement car je n’aurais pas eu l’énergie suffisante aujourd’hui.
Pour autant, j’y pense tout le temps et au hasard d’une situation, je reviens à la réalité … ils ne sont plus là et là c’est très violent car tout ce que je fais me paraît futile et sans saveur.  Je pense à ce qu’aurait dit mon père, au sourire de ma mère, à ce que j’aurais pu partager avec eux, aux petits moments simples de la vie qui n’ont plus jamais lieu et qui étaient si précieux. Je  me surprends parfois, par réflexe, à regarder l’heure et à me dire, attention, il faut rentrer pour les parents …

Le temps fait  son œuvre au rythme de chacun, mais la blessure reste béante …
Bonne journée

Hors ligne Titi

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Re : Une peine immense
« Réponse #13 le: 10 mai 2021 à 12:22:51 »
Bonjour Philippe99,

Ce forum est vraiment sympathique, et j'avoue que les personnes avec qui je dialogue m'aident énormément dans ce long cheminement. C'est vrai qu'on a tous des histoires différentes  mais en même temps, il y a vraiment des similitudes étonnantes parfois, dans ce que l'on ressent.

C'est grâce à un message dans une autre discussion que j'ai eu le déclic hier, du moins, j'ai mis en place hier le projet qui a germé vendredi ou samedi. je voulais le faire, mais en "théorie", intellectuellement, j'avais même dit à mes frères que j'utiliserai la voiture de papa ... sauf que je ne conduis même pas la mienne sans être morte de trouille  ;D
Mais, un partage, des ressentis identiques, et c'est parti ... et pour la première fois depuis des mois, j'ai ressenti une émotion positive, et les larmes n'étaient plus vraiment de la peine, bien sûr, elles en restent teintées, il ne faut pas rêver, mais je me suis sentie comme terriblement apaisée.

Comme vous, les premiers jours, j'en étais encore à raccourcir mes séances de kiné ... au cas où ... ou, comme avant, pour être rentrée et avoir le temps de partager un café avec maman.
Aujourd'hui, je ne l'ai pas fait, j'ai même agit normalement, comme conseillé et comme ça me convient d'ailleurs, cad que j'ai fait un grand détour pour rentrer de façon à marcher ma 1/2 h ... comme il pleut je ne pense pas avoir le courage de marcher ou courir dans la petite forêt, peut-être aurai-je tout de même le courage pour un peu de jardinage, mais au moins j'ai permis à ma séance de bien se terminer comme il faut, pris du plaisir à marcher ...

C'est qqch qui semble assez commun à tous, il me semble, tout comme se dire qu'on aurait pu, qu'on aurait dû ...

Si cela n'est pas indiscret, que faites-vous pour vous occuper l'esprit ?
Je vois que vous, vous avez su anticiper, je n'en ai pas eu le temps, et je comprends à présent que, à la limite, j'en veux presque à mes frères d'être restés après l'enterrement de papa, de ne pas m'avoir laissée seule à chouchouter maman, mais avec ces qq semaines de recul,; qui paraissent malgré tout une éternité, ça n'est pas de leur faute, c'est maman qui a eu la force d'attendre le décès de son mari chéri, de ne pas lui imposer son départ à elle alors que lui se savait condamné, peut-être également a-t-elle tenu bon pour profiter de lui au maximum et être là au moment crucial.
C'est moi qui suis égoïste là, mes frères étaient là, et c'est en réalité une très bonne chose car je n'ai pas été seule pour prendre la décision d'hospitaliser maman.

C'est curieux, écrire et parler d'eux amène les larmes, pour autant, tout à l'heure, j'ai réussi à me concentrer sur le dossier d'assurance vie, sans m'énerver contre toutes ces difficultés qu'on nous ajoute alors qu'on est dans la peine la plus profonde. C'est la 1ère fois depuis décembre que j'y parviens.

Vous avez certainement raison, avec le temps, on les garde en nous, mais avec la distance nécessaire pour avoir une petite place pour faire d'autres choses.

Vous avez raison, il faut vraiment s'occuper ... j'étais hyper active avant, je ne devrais pas manquer de choses, mais je ne me reconnais plus. Le jardin, ça me fait un bien fou, pourtant, je ne fais rien de particulier, je nettoie, je lutte contre le lierre, les pissenlits et les graminées, je tonds et taille ... mais je le fais pour eux, ça m'apaise de savoir que leur maison est belle à regarder, qu'on semble y voir la vie alors qu'elle est cruellement absente, ça suinte de tous les mures, de tous les recoins, et plus je range, trie et jette, plus l'absence prend de place. Mais ce matin, j'ai travaillé aux dossiers chez eux et ai aéré, bcp aéré ... ça remet un peu de vie dans ce vide.

Aujourd'hui, je franchis le pas, j'ai rdv avec l'assistante sociale et vais lui parler de mon projet de formation pour accompagner des personnes en fin de vie, que tout ce qui s'est passé ait un sens. Si l'on ne me juge pas capable, ça ne sera pas grave, je sais que je serais allée au bout, aurais formulé la demande, ça sera déjà pas mal.

Il me reste à vous souhaiter à vous aussi une bonne journée.

Hors ligne Philippe99

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Re : Une peine immense
« Réponse #14 le: 10 mai 2021 à 15:17:43 »
Je ne sais pas si on peut parler d’une anticipation réfléchie, j’ai saisi une opportunité, un moment, sans savoir réellement à quel point aujourd’hui ce serait salvateur.
La longue descente que j’ai connue avec mes parents étaient faites de paliers. La situation s’est aggravée, on sait qu’elle va encore se détériorer, mais à chaque palier on souffle un peu car on sait que cela ne va pas durer, on fait un peu comme si tout allait  bien ou du moins comme si on avait  réussi à ralentir cette descente vertigineuse. A l’époque, une situation sous contrôle, un sourire de ma maman et le pouce levé de mon papa, et je retrouvais de l’entrain.
Je me souviens très bien  d’un soir, il y a un an et demi, j’étais content d’avoir un peu de calme depuis qq jours et je me suis mis à rêver projet immobilier, comme dans une vie normale, j’ai regardé des annonces, d’abord par curiosité et pour passer le temps. Puis, je me souviens précisément de mettre dit, si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras jamais, à fortiori s’ils (mes parents) ne sont plus là. Et tout s’est enchaîné, dans la nuit j’avais trouvé plusieurs annonces, la semaine d’après les visites, la décision finale et la condition donnée au notaire « il faut impérativement que tout soit bouclé, remise des  clés en un mois, faute de quoi le projet pourrait être compromis et ma motivation anéantie par des impératifs ».  Je n’ai plus assez d’énergie pour faire cela aujourd’hui. Durant plus d’une année, l’appartement étant situé à une heure de route, je n’y allais seulement que le mercredi après-midi pour souffler un peu et faire comme si j’étais libre.
Aujourd’hui je partage ma semaine entre ces deux résidences. L’une où les souvenirs sont présents, l’autre où je n’ai aucun souvenir avec mes parents. Éloigné du lieu, que je ne quitterai jamais, c’est presque une autre vie. J’ai repris le sport, donc avec la rencontre de nouvelles personnes, qui ne sont au courant de rien. Évidemment, en permanence, je me dis que cela aurait beaucoup plu à mes parents; ce regret fait mal, mais je sais aussi qu’ils auraient été très contents pour moi.
Avec le recul, avoir fait ce projet dans mon contexte me paraît incroyable, mais parfois on fait des choses dont on ne doute pas de la portée.