Auteur Sujet: retour  (Lu 4434 fois)

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Hors ligne elisa.

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retour
« le: 09 avril 2020 à 12:19:10 »
Retour, retour sans prévenir, ne pas te laisser finir.

Retour, tu n'étais pas partie sans rien, sans rien laisser. 

Retour.  D'un coup plongée, trois ans et demis de passés, ta mort juste à côté. J'ai eu la sensation que tu étais morte hier. Tout est remonté.

La maison,  les cris,  le manque,  l'horreur,  la folie et l'absence. L'absence qui prend tout, qui modèle tout, change, appuie, troue, perfore.

La lettre ( difficile d'appeler lettre ces quatre pauvres petites phrases ) est ridicule. Tu ne t'adresses qu'à mon frère, tu parles de lui et de notre sœur. Tu lui dis qu'il ne doit pas t'en vouloir. De faire attention à lui et à ma sœur, que ta vie était triste. Que tu n'avais plus de joie.

Retour. Retour de l'injustice.
Retour de la rage.

Même dans ta mort, dans ta dernière attention de vie, tu ne fais même pas mention de moi.
Même là, je suis pas ta fille. Je voudrais, j'aurai voulu l'être, j'aurai voulu que tu parles de moi. Moi que tu as tant abîmée, moi sur qui tu as craché, j'aurai voulu être ta fille et ne pas être éjectée même de ce qui est censé consoler.

Censé. Car retrouver ton enveloppe dans une BD trois et demi plus tard, date d'anniversaire pile ( vive ce putain de chiffre 7 ), alors que nous étions dans un bon moment et en confinement comme la chose est précieuse! tu as fait irruption.

Vlan le calme. Vlan. 
Tu aurais pu être morte hier à un tel point mon corps à replonger, ou j'ai tout senti tanguer et heureusement, fraternellement, tous les trois nous nous sommes enlacés. J'ai cru que toute la psychose de ta mort allait à nouveau me submerger.

Alors bien sur, tu reviens. Tu reviens, mais ouf trois ans et demi sont passés. Ouf j'ai grandi. Ouf tu ne peux plus me toucher.
Mais pas ouf, mille souffrances de ne pas être mentionnée dans ce mot.

Je vivais, m'étais construite dans l'absence d'une dernière lettre, d'une dernière trace. Ma construction tangue, j'avais l'espoir de faire partie de tes pensées, de ton amour.
Maintenant cet espoir a du mal à tenir debout! Il se pète la gueule.

Je découvre ma colère qui revient, qui était cachée dans une BD tintin. Alors que nous l'avions cherchée cette trace, avec espoir, frénétiquement. Et bien non, nous n'avons pas pensé aux BD.

J'aurai voulu être ta fille.
« Modifié: 09 avril 2020 à 17:29:55 par elisa. »

Hors ligne elisa.

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Re : retour
« Réponse #1 le: 10 avril 2020 à 13:21:26 »
J'aurai voulu être ta fille.

Autre chose qu'une histoire de chromosomes. Ta fille. Tu vois quelqu'un quoi, quelqu'un que tu aurais aimé, quelqu'un qui serait sortie de ton ventre, quelqu'un qui serait une fille.

J'aurai voulu que tu me veuilles comme ce quelqu'un. J'aurai voulu être ta quelqu'une de fille!

Et puis je ne l'ai pas été. J'ai été ta quelqu'une d'ennemie, ta quelqu'une de rage, ta quelqu'une punchingball.
Ta quelqu'une de comparaison à tes enfants. Quelqu'une pratique, réceptacle et cible, pratique.
Là, à t'aimer, te courir après, bouche trou pratique.

Qui te fatigue.
Qui te résiste.
Qui t'aime.

Quel boulet, toujours à la traine de ton fantasme, de tes rêves, de ton ménage, de ton ordre. Toujours à la traine!

Tu as voulu que je te lâche. Tu as frappé et pas que le cordon ombilical. Tu as détesté et pas que ce qui était regrettable. Tu as injurié et pas que ce qui était reprochable.

Démesurée de ta folie, j'ai été ta quelqu'une d'ennemie. A te dire tes dérapages, à afficher tes bleus, à affirmer tes échecs, à souligner ta douleur.

Je portais tes injustices, tu m'as haïe pour ça. Haïe pour ce que tu faisais de moi.

Et plus encore car je revenais, à l'assaut de ta tendresse, de mes rêves, de ma mère cachée au détour de toi. Je revenais, chercher ce que tu ne me donnais pas, que certainement tu ne pouvais pas.

Après je n'ai plus pu. Alors à cet instant, tu as voulu et tout mon corps criait méfiance, criait violence. Je t'ai fui.

Je n'ai pas pu non plus, devenir ta quelqu'une de fille.

Et ton quelque chose d'acte de suicide me fait errer. L'absence de mon existence dans ta lettre me fait errer. Les souvenirs m'aident un peu plus à m'égarer.

Hors ligne Anic

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Re : retour
« Réponse #2 le: 10 avril 2020 à 16:01:21 »
Elisa,
Je t ai lue avec emotion.
Cette douleur, avant, apres, est destructrice. Lutter pour y survivre, nous n avons d autre choix. C est tres dur.
Je m interroge sur un point : ceux qui s en vont ainsi, en leurs derniers moments, quand ils laissent, ou pas, une lettre, quelques mots, sont ils encore, a cet instant la, en capacite d inscrire tous leurs sentiments profonds et de s adresser a tous ceux qu ils quittent si brutalement ?
On aimerait un dernier mot d amour ou du moins de reconnaissance. Les morts brutales et tragiques n offrent pas la possibilite d un adieu. Les deuils en sont d autand plus douloureux, avec culpabilite et colere.
Mais je me demande , dans le chaos qui les emporta, si certains de leurs silences ne revelent pas davantage leur deconnection, leur panique, plutot qu une reelle volonte d ignorance d un etre auquel ils sont a ce moment la encore moins capable de s adresser.
Peut etre ne souhaitais tu pas vraiment de reponse a ton message, j espere que mon interrogation, qui n est donc pas une veritable reponse, pourra te faire un tout petit peu de bien.
Courage a toi.
Anic
"Gardons vivant ce que nous avons frole ensemble de plus haut" Christiane Singer

Hors ligne elisa.

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Re : retour
« Réponse #3 le: 13 avril 2020 à 23:41:43 »
Il ne faut pas t'en vouloir. D'accord, je prends note. Voilà, c'est écrit, il ne faut pas t'en vouloir.

Falloir, d'accord.
Pouvoir, désaccord.

Il ne faut pas. D'accord, oui oui d'accord, il ne faut pas mais alors comment. Comment falloir.
Comment pouvoir?

Pouvoir ne pas t'en vouloir. Je t'en veux, je suis percée dans mon falloir, blessée de mon incapacité à pouvoir.

Percée d'urgence, percée souffrance, percée violence.
Rouge et troué le voilà mon verbe t'aimer.

Je t'aime en rouge et en trous, je t'aime de ton absence de coups, je t'aime pour le fil bleu autour de lui, de ton cou et je rage.

J'enrage. J'enrage à ta mort. J'enrage à ton "il ne faut pas m'en vouloir".

J'enrage au souvenir de tes coups sur ma peau. Au devenir d'eux, de tes mots contre mon corps.
Mon corps qui te cri, qui t'en veux, qui te veut: il te veut tout près, toi, la mère de ce corps. Il te veut, mon esprit te veut, il veut rassasier mon espoir affamé de toi, de ta tendresse, affamé de mon calme.

Repue de mes larmes, je veux l'être. Je suis affamée de mon calme.

J'ai si faim, faim de ton oubli, faim de te calmer, faim d'anéantir ta force, faim de rendre inoffensif ton souvenir.

Je veux me repaître de toi, te digérer, te chier, t'évacuer et te refiler aux égouts comme quelque chose qu'on oublie. Qui gêne et qu'on oublie.
Mais qui est là au coin de la rue, à la moindre inondation, à la moindre lettre retrouvée, les canalisations sont percées: la puanteur renaît.

Putain. Tu es encore revenue.

Hors ligne elisa.

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Re : retour
« Réponse #4 le: 18 avril 2020 à 13:06:54 »
Peut-être qu'à trente ans mes larmes pour toi seront finies, abolies, taries calmées.
Trente ans, ça fait loin quand même.

Trente ans, mon objectif.

Pour l'instant, j'ai vécut plus que la moitié de ma vie à entendre, vivre, et aujourd'hui depuis trois ans ressasser tes cris et ta folie.
Oui, à trente ans, ça fera la moitié de ma vie que je vivrai sans toi, je me serai construite sans toi.
J'aurai crié et pleuré, plus à cause de toi.
Je me serai peut-être faite frappée, plus par toi.
Je me serai faite rabaissée, plus à cause de toi.

J'aurai été en colère, j'aurai vécut de la misère plus donnée, imposée, traumatisée par toi.

A trente ans, peut-être, enfin, j'aurai éloigné ta violence.
A trente ans peut-être, ou alors plus tard. Mais bon, à trente ans ce serait bien.

Bien d'arrêter de frémir au mot suicide. Bien de plus avoir le rictus d'un rire à l'évocation de cet instinct maternité. Bien de regarder la cicatrice de mon nombril autrement que la fatalité de notre relation. Bien de cesser de trembler à l'évocation de ton nom. Bien d'arrêter, d'arrêter d'être en colère. Bien d'arrêter de chialer.
Oui, ce serait bien.

Mais regardes ma colère. Ca s'en va pas. Oh oui le temps, bien sur.
Faut que ça marche, il me reste que ça.
Oh il y a pleins de choses autours et c'est beau. Oh non tu me gaches pas tous les moments pas quand même.
Oh non mais, il y a des choses qui se digèrent pas qui restent là au fond de mon estomac.

Mais bon, à trente ans, peut-être que ça changera. Tu verras maman, peut-être qu'à trente ans, quarante, soixante, quatre-vingt, on verra bien ou la vie nous mènera et peut-être que là, au creux de mon oubli, on s'aimera.

On s'aimera maman, on s'aimera.
Quand j'aurai trente ans, quand j'aurai trente ans, quand j'aurai trente ans,

 il ne me reste plus que douze ans à te purger et qui sait peut-être, que calmement je pourrais t'aimer.