Je n’en peux plus
Depuis début Juin, ma vie a basculé.
Ce jour-là, mon père est décédé brutalement, seul, dans sa cuisine.
C’est moi qui ai découvert les lieux. C’est moi qui ai dû tout affronter, sans aucune préparation.
La scène était figée. Une pantoufle seule, au sol. Son dentier posé sur le plan de travail, comme s’il avait tenté de respirer une dernière fois.
Il avait fait une hémorragie massive des voies respiratoires haute … Une artère a lâchée …
Une pièce entière marquée par l’horreur.
Et c’est moi, sa fille, qui ai dû tout nettoyer. Avec mes mains. Avec mon chagrin. Avec une douleur que je n’aurais jamais imaginée.
Moins de douze heures après ce cauchemar, des voisins de mon père ont commencé à m’appeler.
Pas pour me réconforter. Mais pour me bombarder de questions, me dire quoi faire, comment faire.
Comme si tout ce que je venais de vivre ne suffisait pas.
Comme si les six heures passées à nettoyer, seule, en pleine nuit, ne comptaient pas.
J’étais encore tremblante, encore sous le choc, et déjà, on me jugeait, on m’imposait, à distance.
Mon père, dont je me suis occupée dès qu’il allait mal, à qui je répondais toujours, même dans le silence.
Il aimait tout le monde, sauf moi. Il savait se faire passer pour une victime, et moi je me taisais.
Toujours.Je suis restée .
Je restais, je gérais, même quand j’avais mal, même quand c’était injuste.
Et tout le monde le trouvait incroyable. Et il l’était, oui — avec les autres.
Mais pas avec moi.
Moi, je l’aimais malgré tout. Et je suis restée. Parce que je n’avais que lui.
Et sa mort me fend le cœur.
Surtout cette mort-là. Ignoble. Violente. Il ne méritait pas ça.
Depuis, je ne dors plus. Je survis.
Les jours et les nuits se confondent.
Je continue d’avancer parce que je n’ai pas le choix : remplir les papiers, répondre aux administrations, gérer des dossiers, batailler contre des assurances, des mutuelles, des banques… alors que je suis déjà vidée.
J’ai dû payer un hébergement en urgence, car il m’était impossible de rester dans la maison après ce que j’y ai vu.
Je dois tout porter, tout gérer, tout encaisser.
Mon ami est là, mais lui aussi est profondément affecté, et je fais de mon mieux pour le protéger, pour ne pas l’accabler.
Alors je garde tout pour moi.
Je ravale mes sanglots.
Mais à l’intérieur, je m’écroule.
Je suis épuisée. Vidée.
Chaque jour, je me bats contre l’injustice, contre la violence de ce que j’ai vécu, contre la solitude aussi.
J’avance dans le silence, parce que je n’ai pas le choix, mais c’est dur. Trop dur.
Je ne sais même plus pourquoi j’écris ici.
Peut-être pour poser enfin ce fardeau quelque part.
Pour ne plus le porter toute seule.
Pour que quelqu’un, au moins, sache.
Que je ne suis pas folle.
Que je ne suis pas faible.
Que je tiens debout malgré tout.
Malgré le deuil, le choc, la fatigue, les humiliations, l’absurde.
Merci d’avoir lu.