Bonjour,
Je n'avais jamais réussi à franchir le pas et à délier cette parole qui, depuis un an, reste bloquée dans ma tête mais je crois qu'il est temps pour moi de le faire, j'en ai ressenti le besoin oppressant il y a quelques jours et ne pouvant m'adresser à mes proches qui me comprennent mal, je sens qu'il me sera bien plus bénéfique de vous parler à vous qui avez vécu des situations similaires, difficiles et qui êtes complètement neutres.
Donc je me lance.
Mon père est décédé le 15 Juillet 2013 d'une tumeur au cerveau, ça a été très rapide, il est parti en seulement 2 mois après la découverte de sa maladie, les médecins ont été complètement impuissant devant ce type de cancer et qui m'ont donné comme seul faux espoir, qu'une " guérison tiendrait du miracle". Tout a été beaucoup trop rapide, je n'ai pas pu réaliser ce qui se passait. L'annonce de l'irréversibilité de sa maladie avait pourtant été faite très tôt, mais je n'ai rien compris ou n'ai pas voulu comprendre et j'ai fais comme si rien n'avait été dit.
J'ai 23 ans, je ne pensais pas qu'une telle chose pouvait me frapper surtout à mon âge. Et je me rends compte maintenant que tout est fait dans notre société pour cacher la mort, l'évincer des discussions, l'enfermer dans les hôpitaux et l'enterrer dans les délais les plus brefs pour éviter qu'elle puisse affecter ceux qui ne sont pas concernés. Et tout le problème est là, la vision la plus horrible de ma vie, celle qui me tourmente tout les jours et quasiment toutes les nuits, celle du corps de mon père allongé, raide, les yeux vidés et sans substances, et la peau désormais d'une blancheur livide et froide comme la glace, tout cet amalgame qui contrastait tellement avec la vigueur et la force de mon père, tout ça me hante jour après jour, mais je ne regrette pourtant pas de l'avoir vu, je dirais presque que cette vision horrifique fût tellement brève que je ne me suis pas forgé l'idée réelle qu'il était mort. Car, après cela, comme les différents protocoles l'exigent, ils l'ont transporté à la morgue, les obsèques ont été réglé dans la journée et j'ai pu revoir son corps quelques minutes seulement dans son cercueil avant qu'ils ne le referme définitivement. Deux jours plus tard, il fût incinéré et tout fût fini. Ca a été tellement court, certains diront que c'est mieux ainsi et d'autres admettront que cet enchainement ne laisse pas de place à la vision si terrible soit-elle du corps, qui peut-être m'aurait permis de saisir cette idée qu'il a bien disparu.
Bien que je le raconte comme si tout avait été compris, la réalité est autre, et je dois dire que mon cerveau fait un blocage sur cette représentation de la mort et je n'arrive pas à m'extirper de la tête ce fait que je ne le reverrai jamais plus. Je peux intellectualiser mais pas ressentir et pour fuir la réalité, je m'enferme dans une non-acceptation sécurisante qui me permet quand l'idée de mort refait surface de la bloquer immédiatement en détournant par un certains nombres de subterfuges, la dure réalité.
Mais je crois que ce n'est pas tant de ça dont j'ai envie de vous parler que de ma lourde solitude actuelle.
Le contraste est fort entre le moment du décès et aujourd'hui quand je prends le temps de vous écrire. Il y a un an, l'entourage était omniprésent, la famille, les proches et amis qui vous tiennent à bout de bras en vous disant que " la vie continue", que "tout s'arrangera", phrases au demeurant insupportables à entendre tant la douleur est vive et c'est déjà selon moi, un recul entre l'endeuillé et ceux qui n'ont rien connu de semblable. Mais au moins, ils sont là, partout présents, à tout moments et vous promettent d'être disponibles pour vous quelque soit l'heure, quoiqu'il se passe. Les semaines passent, et cet engouement s'épuise, ces gens tant attentifs reprennent vaillamment leurs vies, en excluant peu à peu cette personne qui souffre, que l'on voit tout de même et qu'on accompagne encore, mais moins régulièrement et avec moins de prestance. Et puis 6 mois après, ce sont des discussions toujours bien évitantes du sujet sensible, et si par malheur vous avez envie de parler, vous recevez des silences gênés ou des phrases banales et à la limite contres-productives, je me suis dis depuis qu'on est effectivement toujours tout seul dans ces drames, que seules certaines personnes ayant vécues des choses semblables pouvaient éventuellement apportées un certains réconfort, même si étant donné que chaque personne vit son deuil de façon différente, on ne retrouve pas forcément de nous dans la parole de ces gens là. A l'heure actuelle, je fais comme si tout allait bien, je me suis résigné à ne plus aborder ce sujet avec les autres, je suis suivis par une psy et ça me fait un bien relatif, je me dis qu'elle est là pour ça, mais qu'elle fait son "métier" et qu'à partir de là, je ne sais pas si elle se montre sincère à mon égard. J'ai des crises de pleurs nocturnes incontrôlables qui, quand elles se terminent me laisse complètement hagard et perplexe et renforce cette terrible solitude. Et le matin, quand je me lève, je suis épuisé, je n'ai pas envie de sortir, la population me mets mal-à-l'aise, je mange n'importe quoi n'importe comment, j'ai pris pas mal de poids, et surtout j’enchaîne les crises d'angoisses à répétitions.
Je n'arrive pas à me recueillir devant ce collumbarium où le nom de mon père côtoie d'autres défunts, et peut-être qu'un endroit lui étant réservé, faciliterait plus ce recueillement. Je ne suis pas croyant et pourtant je fréquente de plus en plus les églises et cathédrales où je trouve un certain réconfort, loin du tumulte du dehors. En somme, je crois que tout est encore entre parenthèse dans ma vie, je laisse les images traumatiques dans une partie cloisonnée de mon cerveau, sans vraiment chercher à les sortir mais quand elles surgissent malgré mes efforts pour les retenir, je lutte comme je peux pour les renfermer à nouveau et tout cela devant aucun témoin, personne, quoique ma mère ou ma soeur peut-être mais je ne me sens plus la force de leur parler de tout ça, vu le mal qui les ronges elles aussi. J'en viendrais presque à parler tout seul pour me tenir compagnie... enfin voilà, j'ai omis évidemment beaucoup de choses ici, mais je n'avais pas la force de trop en raconter non plus, j'ai déjà réussi à vous faire part de cela, et je remercie le fait que ce genre de site existe, je n'attends pas forcément de réponse de la part de qui que ce soit, mais c'est un exutoire utile pour lâcher les sentiments pesants qui nous empoisonnes l'esprit.
Merci de m'avoir lu, je souhaite en toute sincérité après ce que je viens d'écrire, beaucoup de courage et de force aux personnes qui souffrent en ce moment même du fait de la perte d'un proche.