Bonjour
Cancer. On commence à en avoir tristement l'habitude désormais. On ne pouvait même pas savoir quelle était la nature de celui qui a tant affaibli mon père. En à peine sept mois, lui qui était si robuste se retrouvait aux portes de la mort. J'ai envie de raconter tout ça, je veux en parler, mais c'est compliqué pour ceux qui n'ont pas vraiment envie d'écouter.
J'ai 19 ans, mon père allait avoir 60 ans. On était une famille très unie, heureuse, on profitait de chaque jour, on n'hésitait pas à se serrer dans les bras, mes parents, mes frères et moi, en se disait "je t'aime" sans raison solennelle. Et en 2015, ça a dégringolé. Mon oncle, le frère de mon père, est mort d'un arrêt cardiaque à 63 ans en avril. Début octobre, on a diagnostiqué un cancer à mon père, qui avait commencé à se sentir mal fin août. Ma grand-mère n'a pas supporté la mort et la maladie de ses fils et est morte le soir de Noel. A cause de l'enterrement dans le froid, avec ses défenses immunitaires affaiblies, mon père a eu une pneumonie. Et dimanche 27 mars 2016, on m'a appelé alors que j'étais avec mon petit frère parce qu'il allait très mal.
Lorsque je suis rentrée dans la salle de réanimation, j'ai vu ma mère pleurer pour la première fois. J'ai vu mes frères aînés anéantis, face à mon père à peine conscient, un masque lui couvrant le visage pour l'aider à respirer. Étrangement, je n'ai pas pleuré. J'ai repoussé avec violence l'éventualité de sa mort, je lui ai pris la main et je lui ai parlé, parlé, parlé... Je lui ai dit qu'on avait encore plein de choses à faire ensemble, qu'il pouvait passer cette étape, qu'il allait y arriver! Je l'embrassais, je le voyais qui ouvrait les yeux, qui me serrait la main, il nous entendait. Mes frères, ma mère et moi sommes restés des heures à lui parler à tour de rôle pour qu'il se réveille pour de bon.
En fin d'après-midi, les infirmiers nous ont brièvement mis dehors pour faire une prise de sang. Lorsqu'on est revenus, ils avaient déplacé le lit de mon père, de la rangée de quatre lits à un espace "privé" entouré de rideaux. Et là, j'ai compris que c'était fini. Ils ne l'avaient pas déplacé pour raccorder son assistance respiratoire mais pour nous laisser lui faire nos adieux. Nous avons tous pleuré ensemble, nous nous sommes serrés dans les bras, je voyais des larmes dans les yeux de mon père qui détestait nous voir aussi tristes. Je me souviens lui avoir dit "Ne pars pas! Je t'aime! Merci, merci de m'avoir élevée Papa!"
Puis ma mère a voulu que nous la laissions seule avec lui. Je suis sortie, hébétée de tant de douleur en une demi-journée. Et à 22h, mon père était mort.
Deux mois plus tard, je n'arrive toujours pas à m'y faire. Il me manque tant que parfois je sens véritablement un énorme poignard me transpercer le coeur. Je revois encore l'église noire de monde, la tombe couverte de fleurs. Ce n'est pas possible que tout ça soit pour mon père! C'était quelqu'un de grand. Quelqu'un qui savait donner autant d'amour que possible, et pas seulement à ses enfants. Je n'arrive pas à accepter ça. J'étudies à Paris et j'ai un mal fou pour préparer mes partiels, j'ai envie de rentrer à Bordeaux pour prendre soin de ma mère et mon petit frère. Je veux aller sur la tombe de mon père. Et j'ai tellement de mal à ne serait-ce que vivre comme avant. J'étais dans un état second aujourd'hui. Exceptée une amie qui elle aussi a perdu son père, peu de mes amis veulent m'en parler ou même me demandent comment je vais. Ils doivent se dire que ça va passer. Mais ça ne passe pas. Deux mois après sa mort (le délai auquel j'étais habituée à ne pas le voir avant de rentrer à Bordeaux) le manque se fait sentir, horriblement.
Bravo si vous avez lu ce pavé. Ça ne me ressemble pas de me dévoiler autant. J'ai l'impression d'être quelqu'un d'autre.