Auteur Sujet: Ma grand-mère...  (Lu 5391 fois)

0 Membres et 1 Invité sur ce sujet

Malaika

  • Invité
Ma grand-mère...
« le: 28 février 2015 à 14:26:17 »
Je ne savais pas trop où poster mon message, il n'y a pas de place pour quelqu'un d'autre qu'un conjoint, qu'un parent ou qu'un enfant sur le forum, ce qui me laisse davantage l'impression que la perte de ma grand-mère et sa douleur est sous-estimée... Néanmoins pour moi "parent" cible simplement une personne de sa famille, j'espère que mon message aura donc sa place ici...

J'ai 24 ans et ma grand-mère paternelle est décédée à l'âge de 87 ans mardi tôt au matin, dans son sommeil. Mon père m'a téléphonée vers 7h30 alors que je dormais, pour me l'annoncer. Elle n'en voulait plus, elle voulait partir, elle avait arrêté de s'alimenter, de sourire, de se battre. Elle a fini par avoir ce qu'elle souhaitait et je suis contente pour elle. Mais il y a aujourd'hui un énorme vide en moi, autour de moi, je n'arrive pas à assimiler le fait qu'elle n'est plus là, que je ne la verrai plus, ne l'entendrai plus, rien. Il ne reste rien. Elle a été incinérée hier selon ses souhaits, croyante qu'elle était mais à sa manière, un de ses traits de caractère que j'ai toujours admiré : ce n'était pas quelqu'un qui était conditionné, elle pensait par elle-même.

La voir partir derrière ces foutues portes a été très difficile, l'imaginer ensuite dans cette urne était complètement impossible. Quoi, c'est ça maintenant ma grand-mère, un tas de cendres ? Elle que je voyais encore mercredi, allongée dans son cercueil, belle et sereine. J'avais simplement l'impression qu'elle dormait. Nous sommes restés 4h au funérarium avec ma famille, je suis restée les quatre heures près d'elle à la regarder. J'étais persuadée qu'elle allait se réveiller à tout moment, je voyais très bien quelle tête elle aurait fait, je sais très bien ce qu'elle aurait dit. Mais elle ne s'est jamais réveillée, et dans ma tête c'est comme ça que je l'imagine encore : allongée, juste endormie, mais certainement pas morte.

Ma grand-mère était une battante, c'était une femme forte et humble qui ne pensait qu'à sa famille, elle adorait la musique et ne vivait en partie que pour elle. Tous mes oncles sont d'ailleurs musiciens, dont mon papa. Je l'ai toujours vue souriante ou en train de râler, c'était une femme de caractère mais certainement pas rancunière, mais il est certain qu'elle disait ce qu'elle pensait et ce sans détours. Elle chantait et dansait tout le temps et ce malgré son âge. Elle vivait au jour le jour, sans donner l'impression de se soucier de demain. C'était aujourd'hui qui comptait. J'ai eu beaucoup de mal à la voir se laisser aller ces derniers mois, elle avait beaucoup maigri, elle était toute blanche, ne reconnaissait plus vraiment les gens, elle ne voulait plus, tout simplement, et moi j'avais toujours envie de pleurer quand j'allais la voir. Mais je ne me doutais pas que ce serait bientôt la fin, parce qu'elle a vécu beaucoup de choses (l'année passée plusieurs infarctus en une journée, mais elle a survécu, même le médecin était étonné) mais à chaque fois c'était pareil : on pensait qu'elle allait partir, et à chaque fois elle restait, elle remontait la pente comme s'il ne s'était rien passé. L'année passée ou l'année d'avant, le médecin l'avait encore dit : "elle a les résultats d'une prise de sang de jeune fille". C'était toi ça Marraine (on l'appelait comme ça parce qu'elle n'aimait pas qu'on l'appelle "grand-mère", pour elle ça faisait vieux), un moral et une santé de fer malgré tout.

Elle ne m'a jamais déçue, elle ne m'a jamais blessée, je n'ai que de bons souvenirs d'elle, j'ai beau chercher, je ne vois vraiment rien de négatif chez elle. J'adorais aller la voir et passer du temps avec elle, j'adorais l'écouter et je me sentais toujours bien quand je sortais de chez elle (ou de sa maison de repos ces dernières années, car mes grands-pères sont décédés aussi mais il y a longtemps, j'étais très jeune). Je l'adorais, je l'aimais énormément, j'étais d'ailleurs très proche d'elle.

L'année passée, je lui ai écrit une lettre pour lui dire ce que je pensais d'elle, pour lui dire "je t'aime" (parce que dans la famille, c'est pas un truc qu'on se dit facilement). Je l'ai relue aujourd'hui et je me dis que j'avais tellement de choses encore à lui dire... Mais cette lettre l'a fait pleurer, et mardi seulement (elle ne l'avait jamais dit) on a su qu'elle m'avait répondu dans le carnet que je lui avais offert. C'est d'ailleurs la seule chose qu'elle a écrite dans ce carnet. Lire ses mots mardi a été difficile mais je suis contente qu'elle l'ait fait, contente d'avoir ça en plus. Mais c'était vraiment comme un "au revoir" de lire tout ça. Tu m'as dit "je ne regrette rien" et tu as totalement raison, tu n'as rien à regretter, tu as donné tellement, tu as toujours gardé la tête haute, tu en avais le droit, complètement, tu étais quelqu'un de merveilleux. Mais je trouve que tu méritais beaucoup plus de la part de ta famille. Tu as donné, tu n'as jamais pensé à toi, et finalement beaucoup de gens t'ont maltraitée.

Elle me manque terriblement. Depuis mardi, le temps s'est arrêté, je n'ai plus envie de rien à part regarder ses photos. J'ai passé deux jours à lire le faire-part de son décès, pensant arriver à assimiler le fait qu'elle était bel et bien partie. Parfois ça marchait, je pleurais un peu, mais mes larmes n'ont jamais beaucoup coulé depuis, comme si je n'avais pas envie d'avouer son départ. Je l'ai même annoncé à quatre personnes seulement, et quand il a fallu que je dise à certaines personnes qu'elle était morte ou que j'étais à son incinération hier, je n'ai pas pu. Je n'avais pas l'impression qu'elle n'était plus là, alors pourquoi devoir le dire ? Et je n'en ai toujours pas l'impression, même si au fond de moi je sais que je ne la verrai plus, que je ne l'entendrai plus et que ça me brise le coeur littéralement. Je ne vois plus que du vide, je pensais qu'hier m'aiderait à passer le cap, mais au final je ne sais pas ce qu'il doit se passer maintenant. Voilà, on t'a brûlée, et puis quoi ? On fait quoi maintenant ? Comment je fais sans toi ? J'ai juste envie de dire à mon père, comme à mes habitudes avant : "Tu vas voir quand marraine ? Tu me le diras, que j'aille avec toi ?" ou "On va voir marraine ?". Mais je ne peux plus le dire.

J'ai la sensation que tout autour de moi est complètement dérisoire. Je suis à l'université, j'étudie pour devenir vétérinaire, encore lundi je stressais de peur de rater mon année, maintenant ça me semble complètement secondaire, je ne sais même pas si j'ai encore envie de continuer. Je passe mes journées à penser à toi. Plus rien n'existe, tu n'es plus là mais il n'y a plus que toi qui compte. Je ne dors pratiquement plus, je n'y arrive plus, c'est le moment le plus difficile quand je me retrouve seule dans mon lit. Je vois les gens qui vivent leur vie, certaines personnes de ma famille qui semblent réussir à voir un peu plus loin, à ne pas vivre cette séparation trop négativement, et je ne sais pas, je ne comprends pas, je me sens seule. Je n'en parle pas, je ne le montre à personne ou presque, je n'y arrive pas, et pourtant j'ai l'impression d'avoir arrêté de vivre aussi. Cette séparation me fait beaucoup de mal mais je conserve cette douleur au plus profond de moi, parce que j'ai l'impression que je ne peux pas souffrir autant de t'avoir perdue.

Je suis heureuse pour toi, c'est ce que tu voulais. Je ne suis pas (plus) croyante (depuis longtemps), j'ai toujours dit qu'il n'y avait absolument rien après la mort, mais là je commence à espérer de plus en plus que si, qu'il y a un endroit où les âmes se retrouvent, apaisées. Parce que je veux que tu sois bien là où tu es, que tu aies tout ce que tu mérites depuis toujours, et je veux qu'on se retrouve quand je quitterai ce monde aussi, et je veux que tu me vois, que tu m'entendes encore, je veux que tu sentes à quel point je t'aime et à combien tu me manques déjà beaucoup. Hier pendant la cérémonie, la seule chose à laquelle je pensais, c'était "mon dieu, j'espère que tu t'es senti aimée, j'espère que tu savais à quel point je t'aimais et te respectais". Je suis fière d'avoir connu quelqu'un comme toi, des gens comme toi sont si rares... Tu étais authentique et entière. Moi qui ai toujours l'impression de ne pas être normale ou à côté de la plaque, on se ressemblait énormément et toi aussi on te prenait pour une folle. Ce n'est jamais le sentiment que j'ai eu venant de toi, mais alors jamais. Finalement je me sentais plus proche de toi que de beaucoup d'autres personnes de la famille.

Je pourrais parler de toi encore des jours et des années entières tellement il y avait à en dire à ton sujet, tellement tu n'étais qu'extraordinaire. Aujourd'hui papa donne un concert avec l'un de ses groupes et il va jouer quelques-unes de tes chansons préférées à l'accordéon, en ta mémoire. Moi j'en retiens une qui te va si bien : "Non je ne regrette rien" de Piaf. Depuis mardi je l'écoute en boucle. Ou encore "l'accordéoniste", qui m'a toujours fait songer à toi et à papa.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, j'ai rêvé que je te disais au revoir. Ma meilleure amie m'a dit que c'était peut-être ta façon de me dire au revoir aussi. Je n'ai jamais cru à tout ça, mais là j'ai envie d'y croire et je vais rester sur cette pensée. Et j'espère que tu m'accompagneras tous les jours. J'ai envie de croire à ce que le monsieur de la cérémonie a dit, j'ai envie de croire que tu seras cette petite étoile qui brillera au-dessus de moi, que tu seras le vent qui soufflera. Viens me faire un petit signe de temps en temps, je t'imaginerai toujours avec ton sourire et ton rire qui t'allaient si bien. Tu t'émerveillais pour tout.

Je t'aime, depuis toujours, pour toujours. Je ne te dis pas "adieu" mais bien "à demain". Reste près de moi mais pense à toi maintenant, règle bien tes comptes avec tous ceux-là là-haut, je suis sûre que tu as plein de choses à leur dire. Tu as retrouvé parrain aussi, je te vois bien courir après en l'engueulant et en lui reprochant toutes les misères qu'il t'a fait vivre. Hier pendant la cérémonie, je t'imaginais à travers le cercueil, je t'imaginais allongée, les mains jointes, en train de rire aux éclats les yeux fermés, soulagée mais aussi moqueuse de nous voir tous aussi tristes alors que tu es à présent tranquille. J'espère que tu as pu nous voir, tous réunis comme tu l'as si souvent souhaité... malgré que je sois triste que ce soit dans des circonstances pareilles que ça se passe. Tu peux dormir éternellement en paix mais n'oublie pas de venir nous emmerder un peu de temps en temps, on en a besoin, tu le sais bien.

A bientôt Marraine, je t'aime.