Auteur Sujet: L'histoire sans fin de ma mère  (Lu 13409 fois)

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MissFluff

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L'histoire sans fin de ma mère
« le: 28 avril 2014 à 14:58:30 »
Bonjour.

Ma mère est décédée le premier jour du printemps, cette année. Ca fait un mois et une semaine.
Le temps file mais rien ne change et je suis toujours aussi effondrée.
J'ai du mal à le montrer et j'ai du mal à l'admettre, les choses sont beaucoup plus difficiles à vivre que ce que je n'aurais jamais pu imaginer. Et pourtant, je m'attendais déjà à beaucoup en souffrir le jour où cela arriverait.

Mais voilà, pour moi, tout ça était imprévu.
Ma mère faisait partie de ces mères englobantes, fusionnelles, qui se préoccupent plus souvent du regard des autres que du bien-être de leur enfant (unique, pour moi). C'est ainsi que depuis toute petite, j'ai été placée de force dans une position d'aidante, de sauveuse de ma mère.
J'occupais tous les rôles à la maison, étant petite : celui de l'enfant qui doit absolument être parfait si non "que diront les autres", au détriment même de mes désirs et besoins, celui de l'enfant punching-ball qui sert de réceptacle à violence pour mon paternel, de l'enfant qui doit porter la responsabilité de la violence car "c'est à toi de faire attention à ce que tu dis pour ne pas l'énerver", de l'enfant soutenant d'un conjoint co-dépendant à l'alcoolisme du mari et à ses comportements à risque (accidents, fréquentation du milieu de la prostitution, tromperies, conduite sous alcool, arnaques envers les clients...), de l'enfant qui doit se planquer et se taire, se faire plus petit qu'une fourmi pour éviter les coups et les crises, l'enfant qui voit sa grand-mère maternelle aussi se faire taper dessus par son père parce que voilà, elle est dans le chemin... L'enfant aussi qui au bout d'un certain temps, laisse tomber toute idée de perfection étant donné que tout ça n'est jamais assez pour que malgré ses nombreux appels au secours, tout ça cesse et qu'elle fasse le choix de quitter le bourreau...
Oui mais voilà, la vie n'est pas idéale. Et les victimes de violence ne sont pas toutes enclines à quitter leur conjoint au jour où il frappe leur enfant. Et ma mère est restée, contre toute logique.
Alors, je lui en ai voulu. Beaucoup voulu. J'ai voulu m'échapper et je l'ai fait, très tôt, beaucoup trop tôt pour ce que je pouvais porter en terme de responsabilités. 
J'ai quitté la région, je suis allée m'installer là où on ne pourrait pas venir me taper dessus tous les jours sous prétexte que mon bonjour n'avait pas suffisamment été enjoué au téléphone. J'ai été culpabilisée par ma mère qui m'a fait une scène terrible quand je suis partie pour sauver ma peau, faute qu'elle me la sauve.
Et puis, ensuite, j'ai commencé à parler de ce que j'avais subi autour de moi, je ne me suis plus laissée faire par mon père, la violence a cessé quand j'y retournais leur rendre visite... Mais je n'ai jamais coupé le lien.
Au départ, ça allait. Je me suis mariée. J'ai travaillé. Je travaille toujours. Je suis toujours mariée. Ma vie se portait bien, globalement, malgré des séquelles physiques et psychiques de la maltraitance.
Et les choses se sont apaisées quand maman a pris sa pension et a pu surveiller davantage mon géniteur.

Il y a trois ans, ça a recommencé de plus belle. Quand elle a commencé à ne plus pouvoir marcher, il a commencé à la tabasser, elle. Alors je lui ai dit de partir. Je lui ai dit que je l'aiderais. Elle n'écoutait rien. Elle n'écoutait pas. J'ai appelé à l'aide de nombreux service d'aide aux victimes de violence, j'ai contacté la police, il m'a clairement été dit que sans son concours, je ne pouvais rien faire. Rien.
Petit à petit, elle s'est laissée aller. Sa santé a commencé à en pâtir gravement. Elle qui avait toujours été au régime draconien se retrouvait avec du diabète et des problèmes cardiaques. Elle qui avait toujours été mentalement active ne faisait plus que jouer sur Facebook et avait des relations malsaines avec des "amis" racistes qui l'influençaient dans sa perception du monde. Elle devenait méchante, agressive.
Combien de fois ne lui ais-je pas dit de réfléchir, combien de fois ne lui ais-je pas demandé de rencontrer telle personne, de consulter tel psy, de parler à tel médecin ? Rien n'a bougé. Je n'ai pas pu l'aider.

A chaque fois que je raccrochais mon téléphone après une de nos énièmes conversations au cours desquelles elle me critiquait tout en n'admettant jamais que j'avais raison sur quelque point que ce soit (alors que tout ce que je lui conseillais était logique, issu de mes compétences professionnelles et pour son bien), en me disant que je ne la comprenais pas, je me sentais impuissante et mal, très mal.

J'ai débuté une thérapie en 2011. J'ai ressenti le besoin de parler de ce qui m'était arrivé, de la violence de mon père qui avait une influence sur ma vie quotidienne, sur mon emploi et mes relations professionnelles à une hiérarchie fonctionnant sur le mode du harcèlement moral.
Moi et ma thérapeute, ces derniers temps, travaillions sur mon rapport à ma mère. J'ai une mère fusionnelle, une mère qui s'est enfermée dans le malheur, qui n'attend que de la réussite de moi mais pas mon bonheur, qui ne voyait plus la réalité de sa relation violente en face, que j'ai supportée, portée dans mes bras pendant des années pour tenter de l'aider sans jamais, jamais obtenir une reconnaissance même de ce que son mari m'avait fait et de sa responsabilité dans le fait d'avoir laissé faire.

Je ne hais pas ma mère pour ça. Mais ce manque de reconnaissance de ma souffrance était invivable. Alors, il y a quelques mois, je lui en ai parlé. Je lui ai expliqué que je souffrais du fait qu'elle refusait d'admettre ses torts. Elle ne blâmait que mon père sans admettre une seule seconde que moi et ma grand-mère avions souffert car elle avait refusé de quitter son époux violent, allant à l'encontre de toute logique. Le dialogue fut clairement impossible. Admettre pour ma mère que quelqu'un d'autre qu'elle puisse être victime, elle qui doit rentrer dans l'idée d'une perfection personnelle sans faille, c'est impossible. Ma mère ne PEUT pour elle être un tant soit peu responsable de ma souffrance.
Qu'attendais-je là-dedans ? Simplement que nos relations soient honnêtes. Que nous puissions parler vrai, que nous puissions retrouver une communication saine, qu'elle puisse m'appeler quand elle avait envie de me parler et non pas quand elle aurait à se plaindre de mon père, ce qu'elle faisait sans jamais écouter ce que j'avais à dire ni même me demander comment je vais.
Mais c'était trop espérer. C'était impossible.

Epuisée, il y a quelques semaines, j'ai donc décidé de faire une pause dans nos relations et de ne plus prendre le téléphone quand elle appellerait. J'en étais arrivée au point où à la fin de chaque coup de fil, je ne voyais plus qu'une issue : le suicide. Ma mère me détruisait à petit feu. Mon impuissance à l'aider me détruisait complètement. Ma thérapeute me conseilla donc de prendre un peu de distance, le temps de travailler davantage sur mon rapport à elle sans que je ne sois perturbée par de nouveaux faits et cette sensation malsaine.
Mon objectif était ensuite d'arriver à bâtir une communication qui ne me pousserait plus à m'énerver, qui ne me pousserait plus à souffrir pour elle. Je ne voulais pas lui faire du mal ni me faire du mal. Ce que je désirais, c'était admettre que je n'obtiendrais jamais aucune reconnaissance de sa part et tenter malgré tout de garder le lien car elle était ma mère et que je l'aimais malgré ses actes.

Je la savais malade. Elle avait déjà fait plusieurs séjours à l'hôpital ces derniers mois. Mais récemment, plus rien. Je la croyais rétablie. Les médecins avaient été rassurants. J'avais toujours pris des nouvelles de sa santé via les hôpitaux ou ses médecins. Car obtenir des réponses vraies de sa bouche était impossible, tant elle avait pris pour habitude de mentir. Mon mari continuait de répondre au téléphone et de l'appeler quand je désirais des nouvelles. Mais j'attendais un peu de me reconstruire. Elle ne l'avait pas remarqué.
A noël, je lui avais proposé de venir manger à la maison vu que mon père prétendait qu'il allait aller travailler (faux, il était avec sa maîtresse en voyage à Paris). Elle avait refusé.
Donc mes distances avec elle étaient toutes relatives.

La semaine du 21 mars, elle dût se rendre aux urgences deux fois. Personne ne nous prévint. Elle ne nous avertit pas non plus quand son infirmière, au matin de sa mort, lui conseilla d'aller aux urgences au plus vite. Au contraire, elle refusa d'y aller. Le soir même, elle s'endormait pour ne plus jamais se réveiller, atteinte par une crise cardiaque.
Mon père me réveilla en pleine nuit pour annoncer son décès. Il n'y avait plus rien à faire. Ma mère était partie et toute possibilité de communication, de reconstruction, de dialogue avec elle s'était évaporée.

Depuis, je m'en veux terriblement d'avoir choisi ce moment-là pour travailler cela avec ma thérapeute.
Ma tête sait que je devais le faire. Mon coeur, lui, est endolori.
Je culpabilise énormément à l'idée de l'avoir laissée partir sans savoir ce qu'il en était. Rien ne me laissait présager qu'elle parte. Et pourtant, je me sens terriblement mal.
Mon père lui a marché 10, 15 fois dessus en agissant mal quant à l'organisation des funérailles et depuis son décès. Quelques jours après sa mort, il traînait déjà avec sa maîtresse et avait un nouvel accident sous alcool. C'est désespérant.

Je n'arrive pas à dépasser cette situation. Au deuil, au fait de perdre sa mère se mêlent différents sentiments : la culpabilité de ne pas avoir pu la sauver, la culpabilité de ne pas avoir été là quand c'était utile d'y être, la colère envers moi-même, la colère envers elle, la colère envers lui.

Mon mari m'a dit hier soir que s'il avait été à ma place, il aurait coupé les ponts avec eux bien plus tôt que moi.
J'étais incapable de le faire. J'aimais trop ma mère pour ça. Je n'aurais jamais réellement coupé les ponts. Je voulais juste me reconstruire et me voilà juste détruite.

Que faire pour dépasser ça ?
« Modifié: 28 avril 2014 à 15:02:31 par MissFluff »

Hors ligne Eva Luna

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Re : L'histoire sans fin de ma mère
« Réponse #1 le: 29 avril 2014 à 02:49:05 »
Ton histoire me touche beaucoup... sauf que je suis à la place de la mère...que j'ai fini par partir et que ce sont mes enfants qui vivent ce que tu as vécu ... avec leur père en ce moment et qui culpabilisent de ne pas savoir l'aider...
Moi, j'ai compris dans la douleur qu'on ne peut pas aider quelqu'un contre sa volonté et aussi qu'on peut aimer quelqu'un qui nous est une relation toxique...
De ta place, la place de l'enfant c'est plus dur... tu as ta vie à mener et le travail que tu fais avec ta psy t'aidera à remettre la culpabilité à sa juste place et accepter...un jour... que l'amour et la colére puissent coexister dans un seul coeur vers une seule personne...
 c'est ta maman...et sa mort est si récente que tu es effondrée et d'autant plus difficile à vivre que votre relation était compliquée...mais tu y arriveras...et ton petit mari t'y aidera...

psycat62

  • Invité
Re : L'histoire sans fin de ma mère
« Réponse #2 le: 01 mai 2014 à 08:46:08 »
MissFluff, tout comme Eva Luna, ton histoire me touche beaucoup aussi...

Sauf que moi je suis aux antipodes de ton histoire, avec des parents aimants, présents, et toujours soucieux, à plus de 75 ans, du bonheur de leurs enfants...
Ta (longue) histoire ne se réglera pas en 1 mois, ni en 2, puisque c'est une vie de souffrance et d'incompréhension que tu as à gérer...
Ta mère n'a pas su t'aimer comme tu lui demandais, elle n'a pas su se faire aimer en retour, en toute logique, puisque chacun sait que l'on ne récolte que ce que l'on sème aussi...
Elle n'était sans doute pas heureuse, et t'as donc rendue malheureuse aussi...cercle infernal...

Courage, tu n'as pas à culpabiliser, car tu n'as rien à te reprocher....tu as toujours été là pour elle, les seules fois où tu t'es éloignée, c'était uniquement pour "sauver ta peau" l'espace d'un moment...
Ta mère a fait des choix dans sa vie, celui de rester avec un homme mauvais, celui de ne pas forcément te protéger...
Mais c'était son choix, qu'elle a fait en tant qu'adulte "responsable"...même si elle s'est trompée...

Toi tu as le choix encore de souffrir...souffrir de son départ, ce qui reste bien normal...
Tu as le choix aussi de continuer à souffrir de votre "vie à deux" négligée, voire ratée.....

Ou tu as le choix de continuer, te relever, te battre, et lui montrer que tu peux y arriver, et que tu vas y arriver...
Arriver à être heureuse, malgré le peu de leçons à ce propos que tu as reçu...mais les rares que tu as apprise (par la vie), tu les as bien comprises, et bien retenues...

Je te souhaite de tout cœur le second choix, pour une "seconde" vie, bien meilleure...

Amicalement,
Catherine

MissFluff

  • Invité
Re : L'histoire sans fin de ma mère
« Réponse #3 le: 04 mai 2014 à 01:02:19 »
Je vous remercie pour vos réponses pleines d'empathie et qui me touchent tout autant que mon histoire semble vous toucher. C'est sûr que c'est une histoire tellement longue que je risque de ne pas en avoir fini demain, d'autant plus que ça ne faisait que six mois que ma thérapeute et moi-même parlions du rôle de ma mère. C'est juste dur à vivre mais voilà, quand elle est décédée, je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui disais que j'allais vivre, maintenant. Chose que je n'ai jamais pu faire. Etre heureuse, insouciante, souriante, non, jamais. Aujourd'hui, ne plus devoir porter le poids de sa relation me libère déjà partiellement même si c'est dans la souffrance que ça se passe. Jour après jour, j'apprends à pouvoir laisser coexister la peine de la voir me manquer sur ses bons côtés et la colère et la peine d'avoir été négligée, laissée seule, abandonnée à mon sort alors que je souffrais, puis d'avoir dû subir durant toutes ces années cette responsabilisation de sa situation qu'elle me mettait sur les épaules. Porter la vie de quelqu'un d'autre, qui refuse toute aide mais en demande tout de même désespérément, c'est atroce. Je vais peut-être enfin pouvoir m'occuper de moi, ce qui changerait (d'autant plus que je bosse dans l'aide aux personnes...).
EvaLuna tu as pu t'en sortir, de cette relation et même si tes enfants te reprocheront peut-être d'y être restée trop longtemps, tu as eu cette force. Quand ma mère m'a dit : "que penserais-tu de moi si je quittais ton père ?" je lui ai répondu "je serais fière, je t’emmènerais en voyage où tu le désires et on sabrerait le champagne". Tu as fait le bon choix, j'aurais aimé qu'elle le fasse.
Psycat, toi qui as des parents bons avec toi, profites-en bien. La perte d'un parent est parmi les pertes les plus violentes.
Il se trouve que récemment, une copine avec qui je correspondais via internet est également décédée, ça m'a replongé dans le deuil, d'autant plus que cette jeune-fille laisse une famille éplorée derrière elle, une famille unie.
Donc profites-en bien, doublement, triplement. J'aimerais moi aussi un jour avoir une nouvelle famille. Mais ce sera à moi de la construire.