Chère Lola
Quand je te lis, c'est moi que je vois. J'espère vraiment pouvoir t'aider mais je sais à quel point c'est dur, à quel point il suffit d'un rien pour nous faire du mal tant la douleur est énorme après ça.
C'est drôle, à quel point nos histoires sont similaires. 19 ans aussi, cancer aussi (mais un cancer vicieux, invisible, impossible à diagnostiquer), et un père si incroyable. Pas la peine de raconter ça, tu le sais. La même admiration, le même attachement, le même amour incommensurable que je le lui porte transparaît dans ton message. Il est mort le 27 mars, presque un an et cet "anniversaire" me passe difficilement dessus. Les deux premiers mois ont été si durs, atroces, comme toi j'en avais mal, physiquement. Je sentais un couteau dans ma poitrine, ça tournait sans cesse, j'avais une telle envie de l'arracher et de poignarder quelque chose, n'importe quoi, pour évacuer ce déferlement de rage et de tristesse. Pas de regret, aucun, pour mon père, si ce n'est qu'il n'ait vécu plus longtemps, mais un chagrin immense, l'impuissance de l'avoir vu partir si vite. En à peine 6 mois! Et le matin du jour de Pâques, il allait si bien! ¨Pour mourir le soir.
La fac était dure, je ne te le cache pas. A 19-20 ans, peu de mes amis avaient le tact minimum pour me parler. Ils m'évitaient même, faisaient parfois comme si rien n'avais changé. Je ne leur en veux pas, c'est une chose énorme à gérer. Je n'avais arrêté les cours qu'une semaine, le temps de s'occuper de l'enterrement et de rester avec ma mère et mes frères à Bordeaux (j'étudie à Paris). Les premiers mois sont les plus durs, et c'est vrai, le temps fait beaucoup de choses. Mais tu n'as sans doute pas envie d'entendre ça, ceux qui me disaient, "avec le temps", je m'en foutais, quel temps? Il ne comptais plus. J'avais besoin de quelque chose, mon père. Mais là, en un an, j'ai vu le chemin que j'ai parcouru. Tout n'est pas tout rose bien sûr, et ceux qui me disent de me "reconstruire" ne savent clairement pas de quoi ils parlent. Faute sans doute à toutes ces images de pseudo-résurrections qui sont présentes dans les livres ou les films, où le héro ne peut que aller mieux. Nope. Les émotions sont un vrai yoyo.
Avril et mai étaient hardcore, vraiment. A la fac, je ne laissais rien voir. J'ai toujours pas mal refoulé. Le soir, parfois, je craquais complètement. Mais j'avais une amie qui m'a beaucoup aidé. Et puis, en juillet, j'ai fait une partie de St Jacques de Compostelle. Boum. Énorme pas en avant.Rencontré des personnes incroyables. Un jour, je me suis arrêtée dans la forêt, j'ai sorti une photo de mon père et moi et j'ai pleuré à chaudes larmes pendant 5mn. Puis je suis repartie. Je ne te dis pas de faire absolument quelque chose comme ça mais mon conseil c'est d'être égoïste. Tu es dans une situation où tu es en droit de demander de l'aide sans rendre immédiatement la pareille. Les gens ne te le proposeront pas, ils ne savent pas comment le faire. Dis-leur des choses simples : "venez parler avec moi", "viens dormir, je ne veux pas être seule", "aller, je veux sortir un peu, ne rien dire, ne rien faire mais sois-là". C'est un temps où tu es la priorité et tes amis qui voudront t'aider le feront.
N'ai pas peur de pleurer, ni honte. S'il y a bien une chose que j'ai apprise, c'est que ni l'humilité ni le sensibilité ne sont des marques de faiblesse. On aimerait nous le faire croire mais ce sont de grandes qualités. Tu as perdu ton père. Tu as 19 ans. Tu ne sais pas ce que tu peux faire, un pilier de ta vie s'est écroulé et on te demanderait de faire comme si de rien n'était?
Tu m'as l'air d'avoir partagé énormément de choses avec ton père, vous vous êtes tout dit, vous vous aimiez tant. Si tu veux m'en dire plus à son sujet je serais très contente, j'y retrouve des traits du mien. Perdre son père à 19 ans est quelque chose d'anormal et d'atroce mais cela peut aussi te forger des atouts extraordinaires, car se relever après une telle douleur, et surtout prendre aussi tôt conscience que la vie a intérêt à être vécue est une chose rare. Je sais, tout ça n'est que mots, ils ne valent rien face à ton chagrin. Ce que tu veux c'est ton papa. Ce que je veux, c'est mon papa.
N'empêche que j'ai beaucoup moins mal. Je suis triste parfois, mais d'une tristesse presque bénéfique. Je pense souvent à lui, je lui dis que je l'aime et je sais qu'il m'entend. C'est une chose très étrange mais je n'ai ni envie de mourir, au contraire je compte bien faire le maximum de choses, ni peur de la mort. D'un côté, il y a quantité de moments et de gens extraordinaires, de l'autre, il y a l'inconnu mais un inconnu familier, où mon papa sera toujours avec moi. Quand je rêve de lui, je sais qu'il est mort mais je suis contente de le voir, je me dis quelque chose comme "tiens papa, t'es là, ça faisait longtemps, je suis heureuse d'être avec toi".
Je pense fort à toi.
Lena.