Je viens d'apprendre que les gens vous fuient quand vous êtes endeuillé. Je ne le savais pas, car j'accompagne les endeuillés, professionnellement. Je pensais même pas que ça relevait du champ d'intervention d'un psy. Le deuil, c'est naturel, et pour moi ça relevait d'une solidarité. Mais non, et voilà pourquoi nous sommes sur ce forum, qui a le grand mérite d’être là quand nous nous isolons dans notre peine, parce que cette peine, nos proches, nos amis, ne savent pas s'en dépêtrer et ont des paroles très douloureuses "courage", "tourne la page" et autres fadaises.
Alors oui, la journée on fonctionne, quand on vous dit "ça va" on dit oui oui, mais on pense : "t'as réfléchi à ce que tu viens de me dire? Je viens de perdre un père un aimé et ça va?". Mais si on leur dit :"non, ça va pas", ils blêmissent, passent leur chemin. Le deuil est devenu une histoire intime. Les commerçants, ont va pas les accabler quand il vous proposent des commandes pour le saumon pour les fêtes de fin d'année, non? On va pas exploser en larmes en leur disant mais j'en ai quoi à f** de votre f** saumon, mon père est mort! Oui, on met des masques, on souris, on dit : "j'ai rien prévu pour Noël"
Et c'est Noël, les fêtes de famille. Et ce Noël je le passerai seule avec ma mère, 97 ans, des Noëls seules nous en avons passées souvent. Mon père était marin. Famille en Espagne sous le régime de Franco ou morte dans les camps, ou fusillée. Famille Lorraine périe sous Hitler. Ou rassemblée à Nancy en petit comité. Petite famille. Mes enfants seront avec leurs enfants. Qui traine un gamin de 6 ans en EHPAD le jour de Noël? Mon mari travaillera.
Noël ne veut plus rien dire. Je m'en fous. Beaucoup de choses s'épurent.
Mon père est là, en moi, et j'en viens à préférer ma solitude pour ce dialogue intérieur, avec la part de lui en moi, et ce que je suis.
Un deuil mène à la profondeur, au silence. On fait semblant pour pas heurter les autres, leur créer un malaise, les entendre nous débiter des niaiseries, se protéger en quelque sorte.
Et on est aux prises avec la grosse énigme : c'est quoi la mort? où tu es? Toi mon cher, où es tu? Tu es en moi déjà ça, mais, ta main sur mon épaule est en cendre, ce que tu étais dans ma mémoire, ton être disparu. Tu kiffais la science fiction, la théorie quantique, tu etais atthée. Où es tu?