Auteur Sujet: Deuil anticipé  (Lu 21224 fois)

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Karine

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Deuil anticipé
« le: 28 décembre 2012 à 13:12:07 »
Bonjour à tous,
 J'ai vécu une forme de deuil anticipé pour mon papa qui a été hospitalisé en urgence en janvier dernier et à qui on a diagnostiqué un cancer de la vessie. Ayant vu son chirurgien après sa première opération en avril, un dimanche matin parce qu'il refusait d'échanger avec moi par mail ou téléphone et que je n'habites pas sur place (un type détestable et sans aucune humanité qui m'a simplement dit " vous comprenez bien que vu l'état général de votre papa ce qui est arrivé n'est pas anodin...),  je me suis très vite doutée que le pronostic n'était pas bon, encore plus quand j'ai vu qu'aucun traitement de fond n'était proposé; mais je n'ai rien dit à mes parents, j'ai tout gardé " pour moi".
En août le diagnostic est tombé et les soins palliatifs ont été proposés. Jusqu'au bout mon papa a été dans le déni et je n'ai jamais pu parler de sa mort prochaine avec lui. Souvent je me suis effondrée les soirs, quand j'étais seule et bien des fois je suis partie au travail les yeux bouffis. J'ai commencé à écrire un texte que je voulais lire le jour de son enterrement un mois avant sa mort, je savais que si j'attendais la dernière minute je n'en aurais plus la force. Mon papa est rentré chez lui le 19 septembre, il est mort le 1er octobre. Maman et moi sommes restées avec lui jusqu'au bout.
Je sais que le " travail de deuil" ( l'idée qu'il allait partir, qu'on ne pourrait rien faire) a commencé bien avant sa mort pour moi, juste après d'ailleurs j'ai été très étonnée d'être si calme, de ne plus pleurer... L'approche des fêtes m'a fait renouer avec les larmes et la tristesse et je comprends aussi que ce n'est qu'un début et que la traversée sera encore longue.
Mon plus grand regret, mais personne n'y peut rien, c'est de ne pas avoir pu parler honnêtement avec lui qui refusait le dialogue sur son état.
Je vous souhaite à tous le meilleur en ces temps de "fêtes".
Karine

Hors ligne Antonia Sophia

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Re : Deuil anticipé
« Réponse #1 le: 29 décembre 2012 à 12:08:34 »
Bonjour Karine

Je suis à même de te comprendre car j'ai aussi suivi ce véritable parcours du combattant. Terrible situation que de sentir s'envoler à jamais chaque seconde qui te rapproche de l'instant fatidique. Immense peur de la seconde ultime.

J'avais l'impression littérale d'être en permanence sur des sables mouvants, d'être au centre d'un tremblement de terre et de n'être capable que d'essayer de me tenir debout. En même temps, cette sensation totalement horrible de ne plus avoir de temps, d'avoir du sable entre mes doigts et de le sentir s'écouler un peu plus à chaque fois. Incapable de le retenir, de le faire s'arrêter. C'est un sentiment qui m'a possédée à l'exacte seconde où il me l'a appris. Cette exacte sensation de sable qui coule et ce sentiment de n'avoir rien à quoi me raccrocher quand tout se fissure et menace de m'avaler.

Ce sentiment d'inéluctable. D'incontournable. De totale impuissance;  moi qui aime tout contrôler, tout diriger, tout planifier et tout préparer. Je me souviens de cette colère et de cette haine qui m'emplissaient, d'une manière totale et complète et sauvage. Envers tout. Envers dieu, envers les autres, envers le monde entier. Quand je voulais prendre sa maladie sur moi pour le sauver mais que je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas le sauver. Je ne pouvais rien faire. Juste rester là à le regarder s'amenuiser peu à peu. Je ne pouvais pas arrêter le temps. Une si grande frustration. Un si immense désespoir. Il était tout pour moi. Mon univers et ma maison. Ma force de vie et mon courage. Ma raison d'avancer. Il était mon âme soeur et maintenant ange au ciel qui m'attend.

Finalement, peut-être est-il moins cruel de mourir d'un coup, rapidement; sans avoir le temps de réfléchir ou de regretter. Parce que là, c'est une torture lente pour qui n'en finit pas de mourir. Et pour qui n'en finit pas d'être là, à côté. A s'en vouloir d'exister. A ne rien faire d'autre que de rester là, les bras ballants, à regarder le  vide dans  ses mains.

Et je ne parle pas du comportement des hospitaliers parce qu'ils seraient tous bons à mettre dans l'ordure et à la poubelle. Vu qu'ils l'ont collé dehors du jour au lendemain. Sans même me laisser le temps de me retourner. Sans soins palliatifs. Sans suivi médical. Pour toute explication, une interne, qui pourrait crever sans que je m'en soucie autrement, qui m'a dit qu'elle n'allait pas gaspiller des médicaments qui coûtaient cher pour lui alors qu'elle avait une patiente qu'ils pouvaient sauver. Là, je me retourne et je vois une femme sur un brancard à la porte de sa chambre ! Et mon mari que l'on sortait dans son lit tellement il était mal.... Hôpital larrey de toulouse. Jamais je n'aurais cru que l'on y jetait les gens dehors comme des chiens.

Je reste polie parce que je suis sur un site. Alors le soi-disant courage et le dévouement supposé de ces gens-là, je m'en tape. Parce qu'il n'y en a pas eu. Ils se sont fait de l'argent sur lui et sont passés à un autre.

Comme toi, il refusait d'aborder le sujet de sa mort prochaine et de tout ce .qu'il y aurait autour. Ce que je peux comprendre.

Comme toi, j'ai ce vaste regret de n'avoir pas pu parler de son état avec lui. Cet immense et éternel regret  qu'il ne m'ait pas écoutée pour aller se faire soigner dans une vraie bonne clinique. Tu vas rire, il a voulu se faire " soigner " à l'hôpital sous le prétexte que la soeur de sa belle-soeur y était infirmière. Persuadé qu'il a été par son " cher frère " d'y être bien suivi. Tout ce qu'il y aura gagné, c'est se faire " soigner " par des internes, autrement dit apprentis médecins.

Et je ne raconte pas ici, car ce n'est pas le lieu, de la captation d'une partie de mon héritage perpétrée à cause et par son entremise. Comme quoi, le corporatisme médical aura pris le pas sur la simple honnêteté.

Curieusement, françoise et estimable famille, je ne t'ai pas vue payer aussi une partie des funérailles et du monument. Comme quoi, les infirmières ne sont plus ce qu'elles étaient et il sent mauvais dans ce monde pourri des petites connivences médicales.
« Modifié: 13 janvier 2013 à 13:07:57 par Sophia »
Dis toi que nos êtres disparus sont quelque part. Vis pour toi. Porte en toi cet amour vibrant comme une flamme ardente. Et fais de cet amour ta force.

Karine

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Re : Deuil anticipé
« Réponse #2 le: 29 décembre 2012 à 19:37:44 »
Bonjour Sophia,
Je te remercie pour ton message que j'ai lu avec beaucoup d'attention. Nos colères sont tellement proches.
Depuis la mort de ma grand mère, après 15 jours dans un service de soins intensifs où on ne nous autorisait que des visites très courtes, je suis en colère contre le corps médical. Cela s'est ensuite confirmé avec papa une première fois quand son médecin de "famille" qui le connaissait depuis vingt ans n'a pas décelé que la bronchite chronique dont il souffrait était en fait les un signeau alarmant annonçant un infarctus. C'était en 2006, Papa est revenu de loin, il s'en est fallu de peu.
Et là encore, le même médecin l'a soigné pendant des mois pour une infection urinaire qui ne réagissait pas aux antibiotiques. C'est en janvier que papa a du être hospitalisé en urgence dans la nuit parce qu'il ne pouvait plus respirer: en fait l'infection urinaire était un cancer de la vessie avec une grosse tumeur; il ne pouvait plus respirer parce qu'il avait de l'eau dans les poumons.
Ma maman a rapidement changé de médecin, elle a trouvée une femme très à l'écoute et surtout très professionnelle.
Nous n'avons pas eu de nouvelles de son ancien docteur. ...je n'ai pas renoncé à l'idée de lui envoyer une lettre pour lui expliquer ce que je pense de lui et de ses compétences.
Le monde médical est malheureusement encore trop empli de personnes qui peuvent être incompétentes et désagréables (voire inhumaines).

J' essaie de ne pas me poser cette question : si le cancer avait été décelé plus vite, y aurait-t'il eu une chance de sauver papa ? Au fond de moi je sens que la réponse serait négative, mais on aurait au moins pu lui éviter des moments très pénibles, des douleurs énormes, sachant que tout ne faisait que commencer.

Ce que tu racontes de ton histoire , la manière dont  ton mari a été traité à l'hôpital me choque profondément.
Pour nous, qui avons eu la "chance" de pouvoir bénéficier des soins palliatifs, je dois souligner au contraire la gentillesse et la bonté des infirmières qui venaient prendre soin de papa.
Le dernier jour, l'une d'entre elles n'a pas pu retenir ses larmes et est partie pleurer dans une autre pièce. Et durant cette horrible dernière nuit, alors que je l'appelais parce que papa respirait en émettant un son très bizarre, fait de gargouillis, elle m'a d'abord indiqué ce qu'il fallait faire, puis ensuite d'elle même, elle a rappelé en disant qu'elle arrivait. Elle est restée avec nous jusqu'au bout.

Le drame que nous avons vécu, et que nous continuons de vivre d'ailleurs, nous confronte aux autres d'une manière beaucoup plus intense: c'est durant ces moments que nous découvrons la vraie personnalité des gens, qu'il s'agisse d'inconnus, d'amis ou de personnes qui prétendent l'être et de la famille.

Je te souhaite beaucoup, beaucoup de courage.

Karine

Sylbi

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Re : Deuil anticipé
« Réponse #3 le: 10 mars 2014 à 22:47:49 »
Bonjour à tous et toutes,

J'ai perdu mon père le 2 janvier dernier.
Ma mère souffre d'un cancer depuis 2009 et début janvier 2013 son oncologue lui a annoncé, sans prendre de pincettes, que le foie, les os, un omoplate et un poumon sont touchés.
Depuis...je sais qu'elle est condamnée. Elle continue la chimio parce qu'elle le souhaite. Les médecins disent que ca ne sert à rien.  Elle est très afaiblie. Depuis quelques jours elle est essoufflée en permanence.
Je me répète tous les jours que je vais la perdre. Impossible à accepter. J'ai l'impression d'être une enfant, d'avoir encore besoin d'elle. Je suis maman de deux enfants de 3 ans et 18mois. De me dire qu'elles ne se souviendront pas de leurs grands parents...
Et en même temps ma mère souffre beacoup, elle a un bras qui a triplé de volume. Elle est sous morfine. Parfois je me dis que quand elle partira, ca sera peut être un soulagement. Parce que cette attente de la mort est insuportable. Je suis pleine de questions (où sera-t-elle le moment venu? Est ce qu'elle va souffrir? Est ce que je serai là...).
Quand la mort est anticipée on peut penser que ca nous permet de nous y préparer, contrairement à une mort soudaine. Mais c'est tellement difficile. J'y pense tous les jours, je guette sans cesse mon téléphone. Quand je suis avec elle et qu'elle dort je guette sa respiration. C'est long, c'est douloureux. Je n'imagine pas comment elle se sent, ce qu'elle doit penser. Elle m'a dit un jour qu'elle aurait tellement aimé voir ses petites filles grandir. Ca me fend le coeur.
C'est dur. Tout ça est dur. On essaie de faire bonne figure face aux amis, à la famille. 
Et avec tout ca, je n'arrive pas à faire le deuil de mon pere. J'ai l'impression que mon corps me dit:"Ne craque pas maintenant, parce que le pire t'attends, bientôt c'est les deux que tu auras perdus. "

Courage à tous.