Bonjour.
Ma mère est décédée le premier jour du printemps, cette année. Ca fait un mois et une semaine.
Le temps file mais rien ne change et je suis toujours aussi effondrée.
J'ai du mal à le montrer et j'ai du mal à l'admettre, les choses sont beaucoup plus difficiles à vivre que ce que je n'aurais jamais pu imaginer. Et pourtant, je m'attendais déjà à beaucoup en souffrir le jour où cela arriverait.
Mais voilà, pour moi, tout ça était imprévu.
Ma mère faisait partie de ces mères englobantes, fusionnelles, qui se préoccupent plus souvent du regard des autres que du bien-être de leur enfant (unique, pour moi). C'est ainsi que depuis toute petite, j'ai été placée de force dans une position d'aidante, de sauveuse de ma mère.
J'occupais tous les rôles à la maison, étant petite : celui de l'enfant qui doit absolument être parfait si non "que diront les autres", au détriment même de mes désirs et besoins, celui de l'enfant punching-ball qui sert de réceptacle à violence pour mon paternel, de l'enfant qui doit porter la responsabilité de la violence car "c'est à toi de faire attention à ce que tu dis pour ne pas l'énerver", de l'enfant soutenant d'un conjoint co-dépendant à l'alcoolisme du mari et à ses comportements à risque (accidents, fréquentation du milieu de la prostitution, tromperies, conduite sous alcool, arnaques envers les clients...), de l'enfant qui doit se planquer et se taire, se faire plus petit qu'une fourmi pour éviter les coups et les crises, l'enfant qui voit sa grand-mère maternelle aussi se faire taper dessus par son père parce que voilà, elle est dans le chemin... L'enfant aussi qui au bout d'un certain temps, laisse tomber toute idée de perfection étant donné que tout ça n'est jamais assez pour que malgré ses nombreux appels au secours, tout ça cesse et qu'elle fasse le choix de quitter le bourreau...
Oui mais voilà, la vie n'est pas idéale. Et les victimes de violence ne sont pas toutes enclines à quitter leur conjoint au jour où il frappe leur enfant. Et ma mère est restée, contre toute logique.
Alors, je lui en ai voulu. Beaucoup voulu. J'ai voulu m'échapper et je l'ai fait, très tôt, beaucoup trop tôt pour ce que je pouvais porter en terme de responsabilités.
J'ai quitté la région, je suis allée m'installer là où on ne pourrait pas venir me taper dessus tous les jours sous prétexte que mon bonjour n'avait pas suffisamment été enjoué au téléphone. J'ai été culpabilisée par ma mère qui m'a fait une scène terrible quand je suis partie pour sauver ma peau, faute qu'elle me la sauve.
Et puis, ensuite, j'ai commencé à parler de ce que j'avais subi autour de moi, je ne me suis plus laissée faire par mon père, la violence a cessé quand j'y retournais leur rendre visite... Mais je n'ai jamais coupé le lien.
Au départ, ça allait. Je me suis mariée. J'ai travaillé. Je travaille toujours. Je suis toujours mariée. Ma vie se portait bien, globalement, malgré des séquelles physiques et psychiques de la maltraitance.
Et les choses se sont apaisées quand maman a pris sa pension et a pu surveiller davantage mon géniteur.
Il y a trois ans, ça a recommencé de plus belle. Quand elle a commencé à ne plus pouvoir marcher, il a commencé à la tabasser, elle. Alors je lui ai dit de partir. Je lui ai dit que je l'aiderais. Elle n'écoutait rien. Elle n'écoutait pas. J'ai appelé à l'aide de nombreux service d'aide aux victimes de violence, j'ai contacté la police, il m'a clairement été dit que sans son concours, je ne pouvais rien faire. Rien.
Petit à petit, elle s'est laissée aller. Sa santé a commencé à en pâtir gravement. Elle qui avait toujours été au régime draconien se retrouvait avec du diabète et des problèmes cardiaques. Elle qui avait toujours été mentalement active ne faisait plus que jouer sur Facebook et avait des relations malsaines avec des "amis" racistes qui l'influençaient dans sa perception du monde. Elle devenait méchante, agressive.
Combien de fois ne lui ais-je pas dit de réfléchir, combien de fois ne lui ais-je pas demandé de rencontrer telle personne, de consulter tel psy, de parler à tel médecin ? Rien n'a bougé. Je n'ai pas pu l'aider.
A chaque fois que je raccrochais mon téléphone après une de nos énièmes conversations au cours desquelles elle me critiquait tout en n'admettant jamais que j'avais raison sur quelque point que ce soit (alors que tout ce que je lui conseillais était logique, issu de mes compétences professionnelles et pour son bien), en me disant que je ne la comprenais pas, je me sentais impuissante et mal, très mal.
J'ai débuté une thérapie en 2011. J'ai ressenti le besoin de parler de ce qui m'était arrivé, de la violence de mon père qui avait une influence sur ma vie quotidienne, sur mon emploi et mes relations professionnelles à une hiérarchie fonctionnant sur le mode du harcèlement moral.
Moi et ma thérapeute, ces derniers temps, travaillions sur mon rapport à ma mère. J'ai une mère fusionnelle, une mère qui s'est enfermée dans le malheur, qui n'attend que de la réussite de moi mais pas mon bonheur, qui ne voyait plus la réalité de sa relation violente en face, que j'ai supportée, portée dans mes bras pendant des années pour tenter de l'aider sans jamais, jamais obtenir une reconnaissance même de ce que son mari m'avait fait et de sa responsabilité dans le fait d'avoir laissé faire.
Je ne hais pas ma mère pour ça. Mais ce manque de reconnaissance de ma souffrance était invivable. Alors, il y a quelques mois, je lui en ai parlé. Je lui ai expliqué que je souffrais du fait qu'elle refusait d'admettre ses torts. Elle ne blâmait que mon père sans admettre une seule seconde que moi et ma grand-mère avions souffert car elle avait refusé de quitter son époux violent, allant à l'encontre de toute logique. Le dialogue fut clairement impossible. Admettre pour ma mère que quelqu'un d'autre qu'elle puisse être victime, elle qui doit rentrer dans l'idée d'une perfection personnelle sans faille, c'est impossible. Ma mère ne PEUT pour elle être un tant soit peu responsable de ma souffrance.
Qu'attendais-je là-dedans ? Simplement que nos relations soient honnêtes. Que nous puissions parler vrai, que nous puissions retrouver une communication saine, qu'elle puisse m'appeler quand elle avait envie de me parler et non pas quand elle aurait à se plaindre de mon père, ce qu'elle faisait sans jamais écouter ce que j'avais à dire ni même me demander comment je vais.
Mais c'était trop espérer. C'était impossible.
Epuisée, il y a quelques semaines, j'ai donc décidé de faire une pause dans nos relations et de ne plus prendre le téléphone quand elle appellerait. J'en étais arrivée au point où à la fin de chaque coup de fil, je ne voyais plus qu'une issue : le suicide. Ma mère me détruisait à petit feu. Mon impuissance à l'aider me détruisait complètement. Ma thérapeute me conseilla donc de prendre un peu de distance, le temps de travailler davantage sur mon rapport à elle sans que je ne sois perturbée par de nouveaux faits et cette sensation malsaine.
Mon objectif était ensuite d'arriver à bâtir une communication qui ne me pousserait plus à m'énerver, qui ne me pousserait plus à souffrir pour elle. Je ne voulais pas lui faire du mal ni me faire du mal. Ce que je désirais, c'était admettre que je n'obtiendrais jamais aucune reconnaissance de sa part et tenter malgré tout de garder le lien car elle était ma mère et que je l'aimais malgré ses actes.
Je la savais malade. Elle avait déjà fait plusieurs séjours à l'hôpital ces derniers mois. Mais récemment, plus rien. Je la croyais rétablie. Les médecins avaient été rassurants. J'avais toujours pris des nouvelles de sa santé via les hôpitaux ou ses médecins. Car obtenir des réponses vraies de sa bouche était impossible, tant elle avait pris pour habitude de mentir. Mon mari continuait de répondre au téléphone et de l'appeler quand je désirais des nouvelles. Mais j'attendais un peu de me reconstruire. Elle ne l'avait pas remarqué.
A noël, je lui avais proposé de venir manger à la maison vu que mon père prétendait qu'il allait aller travailler (faux, il était avec sa maîtresse en voyage à Paris). Elle avait refusé.
Donc mes distances avec elle étaient toutes relatives.
La semaine du 21 mars, elle dût se rendre aux urgences deux fois. Personne ne nous prévint. Elle ne nous avertit pas non plus quand son infirmière, au matin de sa mort, lui conseilla d'aller aux urgences au plus vite. Au contraire, elle refusa d'y aller. Le soir même, elle s'endormait pour ne plus jamais se réveiller, atteinte par une crise cardiaque.
Mon père me réveilla en pleine nuit pour annoncer son décès. Il n'y avait plus rien à faire. Ma mère était partie et toute possibilité de communication, de reconstruction, de dialogue avec elle s'était évaporée.
Depuis, je m'en veux terriblement d'avoir choisi ce moment-là pour travailler cela avec ma thérapeute.
Ma tête sait que je devais le faire. Mon coeur, lui, est endolori.
Je culpabilise énormément à l'idée de l'avoir laissée partir sans savoir ce qu'il en était. Rien ne me laissait présager qu'elle parte. Et pourtant, je me sens terriblement mal.
Mon père lui a marché 10, 15 fois dessus en agissant mal quant à l'organisation des funérailles et depuis son décès. Quelques jours après sa mort, il traînait déjà avec sa maîtresse et avait un nouvel accident sous alcool. C'est désespérant.
Je n'arrive pas à dépasser cette situation. Au deuil, au fait de perdre sa mère se mêlent différents sentiments : la culpabilité de ne pas avoir pu la sauver, la culpabilité de ne pas avoir été là quand c'était utile d'y être, la colère envers moi-même, la colère envers elle, la colère envers lui.
Mon mari m'a dit hier soir que s'il avait été à ma place, il aurait coupé les ponts avec eux bien plus tôt que moi.
J'étais incapable de le faire. J'aimais trop ma mère pour ça. Je n'aurais jamais réellement coupé les ponts. Je voulais juste me reconstruire et me voilà juste détruite.
Que faire pour dépasser ça ?