Chère Tifee,
Pardonne-moi de ne pas lire tous les messages ici présents, mais j'ai saisi l'essentiel et je partage grandement ta peine. Quand tu as dis que tu espérais en secret te réveiller dans une chambre d'hôpital, crois-moi, j'ai fais ce rêve, beaucoup.
A peine quelques jours après le décès de mon frère, j'ai dû m'endormir car il est entré dans mon rêve. J'étais dans le couloir de l'hôpital et je me dirigeais vers sa chambre. C'était tellement réel, parce qu'il faisait froid et j'avais des frissons. J'avais même senti l'odeur de la nourriture de l'hôpital. Du coup, je pensais que j'étais dans la réalité. Et dans cette "réalité", j'allais voir mon frère qui a eu un accident et devrait se faire opérer du pied (cet événement est déjà arrivé dans le passé, mais mon frère n'était pas décédé de ça). J'ai ouvert la porte, il était là. Tout était clair devant mes yeux. Je voyais sa silhouette, chaque trait de son visage, chaque expression qu'il me faisait. Il m'avait dit : "Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as pas cours ?". Et je lui ai répondu "Si, mais je commence à 8h. Donc j'ai préféré te voir avant". Il m'a souri, comme d'habitude. Puis s'est relevé sur ses coudes, a posé ses jambes avec délicatesse pour retomber sur le fauteuil juste à côté du lit. Il a enfilé son tee-shirt vert préféré et peu après, je ne nous entendais plus. Je nous voyais là, parler de tout et de rien, rire comme si nous n'avions jamais autant ri. Nous étions tellement heureux, insouciants de tout ce qui se passait autour de nous. J'étais comme une troisième personne qui contemplait cette scène sans en être lassé. Et puis, soudain, tout a disparu, lentement, comme une feuille qui devint cendre. Peut-être je me réveillais, mais au dernier moment, vraiment au dernier moment, y avait cette voix distincte, claire, presque comme une murmure, qui me disait "Pardon". Puis plus rien, j'ai ouvert les yeux. Et comme toi, la cruelle réalité m'a prise à la gorge. J'ai étouffé, j'ai pleuré, j'ai voulu me rendormir pour ne plus jamais me réveiller. Parce qu'il est là, dans mes rêves. Je ne pouvais pas me résoudre à le laisser là-bas !
Un autre rêve également, très court mais très intense. Je rentrais à la maison et je voyais mon frère sortir brutalement de sa chambre, un sourire malicieux sur ses lèvres. Surprise, je me suis jetée dans ses bras en lui criant : "Tu es sorti ! Tu es sorti ! Idiot, tu m'as fait peur !". J'ai vraiment senti son étreinte comme si j'étais vraiment dans ses bras, pour de vrai. Y avait sa chaleur, sa douceur, son odeur, c'était réel. Puis je me suis assise sur le lit, il était adossé contre la porte. Et je lui ai posé une question d'un air curieux : "Comment c'était dans le coma ?". Il m'a regardé et m'a répondu, d'un air tellement tendre que ça m'a surpris : "Je ne sais pas trop. Mais il y avait un grand escalier...". Et plus rien. C'était la fin du rêve.
À chaque fois que je me réveille, mon coeur s'arrête. J'ai l'impression de m'étouffer. Je peux me réveiller en larmes sans que je ne me souvienne de mon rêve, je peux me réveiller en manquant de respirer, je peux me réveiller le coeur lourd, m'empêchant de me lever. Je peux me réveiller pleine d'espoir et courir vers sa chambre pour n'y voir finalement que des photos de lui et non lui, sur le point de sortir du lit... C'est par les rêves que je le vois, vivant. Et c'est par les rêves que je m'y sens bien. C'est mon moyen de le faire revivre en moi. C'est mon moteur de vie et ma source d'inspiration. Après viennent les petits bonheurs de tous les jours pour égayer un peu plus mes journées... Mais sinon, je continue de rêver. Parfois il est là, parfois il est juste parti quelque part...
Aujourd'hui, ça fait 1 an et 8 mois qu'il est parti. Et donc, quoi ? Je devrais me taire et tourner la page ? Oh que oui, y a des gens qui me disent ça. Mais vous savez quoi, on se comprend entre nous et ça me suffit. La douleur est toujours aussi immense, comme si c'était hier. Celui qui dit que "le temps guérit les blessures" vous a donné le conseil le plus mauvais qui soit. Croyez-moi, le temps ne guérit pas, pas du tout. On aura toujours cet/ces blessure(s) ancrées en nous à jamais. Notre chagrin n'a pas de limites. Le deuil n'a pas de date d'expiration, et surtout, ce n'est pas une maladie. Comment voulez-vous qu'on en guérisse ? Ça n'existe pas.
Tyfee, n'écoute pas les gens qui te disent de telles choses. Certaines personnes ne comprennent pas, tant que ça ne les touche pas. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent, mais notre douleur n'est pas la leur. Prétendre connaître notre situation et la vivre réellement sont deux choses différentes. Qu'ils continuent donc d'imaginer ce que c'est d'être à notre place, mais qu'ils n'essayent pas d'être nous. Ils ne le sont pas, ils ne le vivent simplement pas.
Puissent ces petits moments innocents t'apporter une once de réconfort...
Bisous fort.
Riata.