FORUM "LES MOTS DU DEUIL"

Comprendre et vivre son deuil => Discussions Générales => Discussion démarrée par: Webmaster le 08 août 2017 à 22:30:35

Titre: Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: Webmaster le 08 août 2017 à 22:30:35
Bonjour à tous !

Cela faisait longtemps que je n'avais pas posté un message sur le forum. A vrai dire cela faisait longtemps que je n'avais pas rêvé de mon frère et de mon père dans la même nuit.

Je me suis donc réveillé l'esprit un peu embrouillé par ce rêve étrange.

Plus tard dans la mâtiné, je tombe sur le spectacle d'une petite abeille blessée incapable de reprendre son envol.
En essayant de la nourrir avec un peu de sucre en poudre (je n'étais pas sûr que les abeilles mangeaient de ce pain là mais j'étais plutôt rassuré à la voir s'en délecter, la gourmande !). Bref, il se trouve qu'elle à réveillé beaucoup de choses en moi au moment où elle est malencontreusement tombé dans le vide... Ça peut paraître bête, mais j'étais triste et un peu en colère de ne pas avoir vu la chute venir.

Plus tard en consultant mes mails j'ai reçu le témoignage d’une femme formidable qui me parlait avec des mots d'une rare justesse et d'une grande beauté de sa relation avec la personne qui lui manque tant, elle finissait sa correspondance en abordant ce sentiment de devenir "blindé" au fur et à mesure des nombreuses pertes que lui imposait la vie.

Une drôle de coïncidence que ce mail, je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler de mon expérience du matin, de mon étonnement d'être si touché par le sort de cette petite bête. Et en même temps quelque part plutôt soulagé d'être encore aussi sensible...

Car d'une certaine manière j’avais moi aussi tendance à  penser être devenu "blindé" par mes épreuves, mes deuils et mes années d’accompagnement.

Une sortes de sentiment de survivant.

Mais l'expérience avec cette petite abeille m'a fait réalisé que ce n’est peut-être pas totalement vrai, que ça ne le sera certainement jamais, et que c’est peut-être même pas plus mal.

Voilà, je voulais partager cela avec vous et avoir votre avis sur ce sentiment, de "se blinder".

Merci de m’avoir lu et surtout prenez soin de vous !

Chaleureusement,

Yacine
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: souci le 09 août 2017 à 13:41:07

    Être blindé ... oh, non, non, quelle horreur ...
    Ni anémotif ni mono-émotif ...
    Surtout pas devenir comme un iceberg !
    Fondre ... sans trop se morfondre ...

    (https://www.aht.li/3102704/mayatriste.jpg)
    Sacré pays que ce Mexique-ci ...
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: qiguan le 09 août 2017 à 19:20:13
Tant de deuils pour moi depuis mes 20 ans et avant certes aussi puis les séries en famille et plus récemment aussi celui de mon aimé (avril 2014) et ma maman il y presque un an  me permettent de dire non pas blindée
Ni par la formation à l'accompagnement.
Et surtout pas envie de le devenir
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: loma le 10 août 2017 à 19:30:04
Blindée ??? non, je pense tout au contraire que pour beaucoup nous avons perdu ce blindage fait de faux semblants, de bling bling, de paraitre pour revenir à l'essentiel, amour, empathie, compassion, sincérité.
Nos capteurs sont sans arrêt en éveil, nos perceptions plus fines, notre sensibilité aiguisée, tout part du coeur et non plus du cerveau. Alors bien sûr sans notre blindage, la carapace semble un peu trop tendre, mais c'est tout ce qui fait notre humanité.
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: Ela le 11 août 2017 à 00:54:03
Yacine,
Je crois comprendre ce dont tu parles. C'est un ressenti, ou plutôt un questionnement? Une peur? que je partage... Qui m'a traversé, me traverse par moment... je crois qu'avant l'arrêt cardiaque qui a emporté mon chéri, une part de moi continuait à croire à ces contes de fées idiots dont on nous abreuve dès l'enfance... A l'idée d'un amour tellement romantique, tellement fort... tellement idéalisé surtout... qu'il survivrait à tout...  Où alors, dans le pire des scénarios possibles (qui n'était alors qu'une menace totalement chimérique, impensable): un amour si fort qu'il nous rendrait inséparable au point que si l'un de nous deux mourrait, l'autre disparaîtrait avec lui...
Cet idéal trop élevé, c'est la bête à abattre. Du vivant de mon chéri déjà, il arrivait qu'il s'insinue comme un venin dans mes pensées... un venin qui m'a fait douter... Et comme il est difficile d'admettre ça aujourd'hui... Ce doute, ces ratés, ces erreurs de parcours, ces besoins de distances, ces peurs infondés... alors qu'aujourd'hui: il me manque tant. Que je souhaite sa présence avec tant d'ardeur...
Et pourtant je suis toujours debout, et parfois le venin se réactive... Pourquoi ne suis-je pas morte avec lui? Si je l'aimais vraiment? Comment puis-je continuer à vivre? Comment puis je encore, parfois, me surprendre à sourire, à ne pas penser à lui l'espace de quelques minutes, à apprécier à nouveau certaines choses de la vie? Et alors, j'ai peur. Peur d'être sèche à l'intérieur. De m'assécher. De n'être plus capable de m'émouvoir, de pleurer, d'aimer.
Je me dis que si j'ai pu survivre, si je continue à survivre à son départ: s'il y a en moi quelque chose de suffisamment fort pour survivre au départ de celui qui était devenu le centre de mon monde: c'est qu'il y a en moi quelque chose de fort... de trop fort, de dur, de solide comme un roc. Et parfois, ce quelque chose en moi qui reste debout malgré tout: je lui en veux. Je le déteste. Je me trouve froide. J'aimerais étouffer dans mon mal être et rejeter chaque petite accalmie, chaque petit mieux être.

Parce que je culpabilise de n'avoir pas, au fond de mon cœur, cette certitude qu'il existe au moins une personne en ce monde dont je pourrais dire: "je ne pourrais pas vivre sans elle".

La réalité, c'est qu'il était devenu la personne la plus importante pour moi... qu'il est mort et que je suis toujours en vie. Alors, oui, parfois, j'ai peur d'être blindée... Blindée et nécessairement seule au fond de ma carapace.
Et pourtant, je ressens au fond de moi que de ne pas pouvoir vivre sans quelqu'un et d'aimer cette personne sont deux choses bien différentes.... Mais j'aurais aimé ne jamais avoir à le découvrir. J'aurais aimé pouvoir continuer à mêler "amour" et "attachement" sans jamais avoir à les différencier. J'aurais aimé, pour des années encore, vivre cette dépendance qui s'installe au point de rendre chaque séparation intolérable...  J'aurais aimé connaitre encore des milliers de fois le soulagement de retrouver les bras de mon aimé pour mettre fin à cette souffrance... Et même aujourd'hui, face à la réalité de son départ.... je regrette parfois de n'être pas "morte d'amour".... Etre morte en étant convaincue qu'il s'agissait là d'une ultime preuve d'amour.
Mais tristement,  je crois que la réalité est tout autre. Je crois que si j'avais réagi ainsi, si je choisissais de réagir ainsi aujourd'hui, ce n'est pas l'amour mais l'attachement, la dépendance qui dicteraient mes actes...
Mais il y a toujours en moi ces images... où je me vois entrain de m'effondrer dans le malheur, de le rejoindre.... et elles sont tellement séduisantes. Une scène de tragédie romantique.... A côté, la réalité du deuil semble tellement peu séduisante... Les jours qui passent, le quotidien.... se lever, penser à lui, manger, faire, marcher, penser à lui, essayer de ne pas penser, se mettre en pilotage automatique, rentrer, penser à lui, manger, s'abrutir devant la télé, tenter de dormir, penser à lui, penser, penser, craquer parfois, puis tenter de dormir, à nouveau..... etc.... Et pour ma part, c'est cette "banalité", cette répétition dans le deuil.... cette absence d'extraordinaire dans cette vie qui continue (en opposition à l'idée de sa mort, qui demeure tellement absurde, tellement impensable, inimaginable, incompréhensible...). C'est cette platitude, qui succède aux vagues émotionnelles des premiers mois, qui me fait craindre parfois d'être entrain de me robotiser. De me "zombifier"... D'être déconnectée....
Et pourtant, il faut bien survivre et je crois que ce "blindage", cette désagréable sensation d'être déconnecté, insensible... c'est juste une autre carapace qui recouvre la plaie.... Mais nos sensibilités sont toujours là, à vifs. Parfois à nu, parfois dissimulées derrière une sorte de froideur, d'indifférence... lorsque l'anesthésie s'impose comme meilleur mécanisme de défense...
Alors comme toi Yacine, j'accueille avec gratitude chaque larme, chaque vague de tristesse, chaque pincement au cœur qui viennent me rappeler qu'il reste un cœur qui bat sous la carapace.... Et puis d'autres fois.... je m'observe et je me trouve plus dure... plus sèche.... et j'essaye de ne pas trop me juger pour ça.... Il y a des éponges qui gardent tout à l'intérieur, elles n'en demeurent pas moins des éponges....
Merci d'avoir partagé avec nous cette anecdote de l'abeille et de m'avoir ainsi offert de mettre des mots sur ce douloureux ressenti qui m'accompagne moi aussi, sur ce long chemin...
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: Webmaster le 22 août 2017 à 21:37:57
Merci pour vos beaux témoignages et partages!
C'est vrai Loma, à la fois plus blindé et en même temps comme ouvert à une forme de sensibilité, que ceux qui n'ont pas perdu de proches peuvent difficilement ressentir. C'est une assez belle contradiction quand je vous lis finalement.
Et comme vous le dites si bien, je pense qu'il vaut mieux vivre avec cette sensibilité ! Encore merci pour vos réponses.
(Oh ! Holly ! Je suis tellement désolé, j'ai suivi aussi les textes de ce blogueur en fin de vie, ça m'avait beaucoup touché. Je suis désolé d'apprendre sa mort...)
Titre: Re : Le sentiment d'être « blindé » et une abeille.
Posté par: souci le 16 octobre 2017 à 12:01:16

   Génial: on a le choix de souffrir ou de souffrir !
   Youpipette et merchi pour la comprenette, hihi!

    Nous connaissons un vétérinaire plus que sur-compétént et sur-équipé et sur-motivé.
   La dernière fois qu'on y va il nous raconte "j'étais en train d'opérer la patte d'un chien, sa maîtresse était là (il propose toujours d'assister à ses soins). Soudain une mouche vient l'embêter, PAF il l'écrase. La bonne femme, toute scandalisée "mais enfin, docteur !"
   Ben wais ...
   La réalité, oui, mais à petites doses ... on peut quand même pas porter le monde sur le dos ...
   Cabossément vôtre, Titine.