13 février 2013, après midi tranquille a la maison, je termine un rendez-vous, raccompagne la personne il est 15h30, j'ouvre ma tablette pour relever mes e mails, ma page facebook reliée au journal local s'ouvre et là je lis''telle ville un noyé retrouvé dans le canal, il semble s'agir du gérant de l'affaire où mon père est associé... j'ouvre le message en grand et là, un immeuble de 10 étages tombe sur moi, il s'agit de mon père.... mon mari incrédule me dit que j'ai mal lu ou interprété.... je dois prévenir la gendarmerie, la police...mon mari a le temps de me demander si il y a un commissariat dans la ville et c'est le black out.
Je reprends mes esprits 10 minutes plus tard, assise sur mes escaliers me balançant comme une autiste....mon mari est au téléphone avec le commissaire. Il s'approche de moi et doucement me dit ''il faut y aller''...
Dans la voiture pendant 50 minutes, je suis dans un état de sideration totale : les bras ballants, le regard fixe, les larmes coulant seules...puis c'est la police, je m'aperçois que je suis en pantoufles, de grosses pantoufles de feutre rouge, l'accueil est toujours''top'' : ''c'est la fille du noye ''....puis c'est l'inspection de l'appartement, les pompes funèbres. Je commence a ressentir une gigantesque colère contre les connards de journalistes, avides de sensationnel, qui n'ont pas respecté les consignes minimum : pas de photos et attendre que la famille soit prévenue. Moyennant quoi, je peux imaginer sans peine le corps de mon père dans la housse grise, les allées venues de la légiste puisque j'ai les images sous les yeux, ils ont même interrogé les commerçants voisins et photographier son ancienne société.... le directeur départemental de la police fera dans l'heure qui suit couper les liens facebook mais le mal est fait...
Il me faut en urgence trouver le livret de famille, le double des clefs de la voiture retrouvée ouverte sur un parking, bref commencer a ouvrir tiroirs de l'intime....nous rentrons épuisés a la maison et je vomirais deux fois dans la neige, le coeur chaviré de détresse.
Nuit blanche totale avant de plonger le lendemain dans les obligations : les vetements, les trucs a la con comme ''cette veste ci car il n'aura pas froid'', la police de nouveau, les pompes funèbres, l'organisation des obsèques, le prêtre... il est près de 16h et je n'ai toujours pas vu mon père... là, je dis ''stop'' un besoin viscéral d'être avec lui et de me rendre compte de cette putain de réalité : il est mort...j'impose pour la première fois et je me fous des rendez vous...
Il est là, tellement lui même dans son air malicieux que je m'attends a ce qu'il se lève et me dise ''je t'ai fait peur hein ?''...je dois poser ma main sur lui et percevoir le trois intense pour savoir qu'il est parti. Les questions arrivent , les pourquoi, les et si...
Elles seront ma filigranne des jours : il était fatigué, il avait subi un énorme traumatisme psychique avec la liquidation de la société créé par son père dans les années 20 et voir partir ce qui avait été sa vie sous la masse des casseurs au poids de la ferraille fut une mort annoncée... j'avais essayé de l'aider mais le pouvoir des décisions tranchées lui appartenait et nous nous étions heurtés souvent...il vivait dans le passé exclusivement, ni moi, ni ses petits enfants ni son arrière petit fils ne pouvait le ramener de ses terres noires.
Après la cérémonie dans son village d'enfance, j'ai eu un instant de profonde sérénité : il était maintenant a l'abri auprès des siens, dans ce village sur lequel il avait écrit un livre 10 ans auparavant et ou il avait eu l'immense bonheur de voir s'unir sa petite fille quelques années plus tôt.
Pas a pas, j,ai entamé la longue route du deuil, laissant venir a moi, la tristesse, la colère, l'oubli parfois et les questions toujours...pas a pas, jour après jour, démarche matérielle et spirituelle s'imbrique : recevoir un héritage sans véritable don du vivant de la personne est perturbant. Je m'inscris dans la lignée familiale, mais a ma façon. Certaines choses devront être tranchées pour que d'autres prennent leur envol a ma manière. Il m'a fallu pour cela me positionner comme héritière d'un passé et non pas la gardienne d'un sanctuaire.
Pas a pas, les choses bougent, moi la sensible, la magnetiseuse, celle qui pressent l'au delà et les âmes, je ne ressens rien ou si peu : quelques frôlements, quelques mots et j'accepte que pour l'instant nos chemins soient différents et réparateurs...
Je fatigue beaucoup et j'accepte, je vis chaque émotion sans jugement, j'aporends a dire ''non'' pour tout ce qui ne m'est pas necessaire..les liens, les amis sont très présents... j'ai une chance d'avoir un réseau attentif et ouvert. Je fais de mon mieux, je prie, je mange, l'énergie de vie est là mais pas encore en moi, mais je sais que cela viendra...je fais et je me laisse porter
J'ai également besoin de verbaliser et je tiens un journal de deuil que je brûlerai quand le moment sera venu et j'irais disperser les cendres dans ce canal où papa s'est enfoncé une froide nuit de fevrier