Auteur Sujet: ENTRETIEN - Pour la présidente de la Société française d’accompagnement et de so  (Lu 4549 fois)

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LE FIGARO. - Qu’attendez-vous de la convention citoyenne sur la fin de vie?

Claire FOURCADE. - J’espère que cette concertation permettra de trouver un modèle à la française et non de plaquer chez nous celui d’un autre pays ou d’une autre culture qui ne nous correspond pas. Pour nous, le modèle belge est celui qui met le plus à mal le lien de confiance, la relation entre les patients et les soignants.
En 2005, après l’affaire Vincent Humbert, une loi sur l’euthanasie se profilait. Mais au fil des auditions parlementaires, les députés ont compris la complexité du sujet.
Cela les a incités à trouver un autre modèle. J’aimerais que la convention citoyenne préserve cette même capacité de réflexion. Ce serait dommage que les dés soient pipés et que la conclusion soit déjà écrite. Mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise!

Peut-on ignorer la demande croissante des Français à choisir leur fin de vie?

Aucune loi ne pourra répondre à toutes les questions sur la fin de vie. Y compris une loi sur l’euthanasie. Les sondages qui relaient l’opinion favorable à sa légalisation sont le reflet de la peur face à sa propre mort. Aujourd’hui, on voudrait mourir non seulement sans souffrance - ce qui est notre objectif en soins palliatifs - mais également «sans peine», sans s’en apercevoir.
On imagine qu’une loi pourrait éviter que la mort soit un épisode douloureux de la vie.
Si la France fait le choix de l’euthanasie, il s’agirait d’une rupture éthique et anthropologique. Tout le monde doit avoir conscience de la portée de ce changement. Car si personne ne sera obligé de demander une euthanasie, tout le monde sera obligé de l’envisager. Chaque patient se demandera: «Est-ce qu’abréger ma vie serait mieux pour moi, pour mes proches, pour la société?»

Le suicide assisté serait-il plus éthique, plus acceptable que l’euthanasie puisqu’il n’implique pas l’intervention d’un tiers pour accomplir le geste létal ?

Il s’agit d’une question sociétale qui n’appelle pas forcément de réponse médicale. Si la demande de changer la loi est une revendication au nom de la liberté, le suicide assisté serait une liberté qui empiète moins sur celles des autres que l’euthanasie.
Le suicide assisté implique moins les soignants. Il préserve mieux la capacité du patient à changer d’avis. Or, l’ambivalence, la fluctuation du désir de vivre et de mourir, existe chez des patients en fin de vie.
 Avec l’euthanasie, la procédure prend le pas sur l’écoute.
Cela peut être compliqué pour le patient de dire «Je ne veux plus» quand le processus est lancé.
Dans l’État de l’Oregon, aux États-Unis, la moitié des patients qui ont une prescription pour une pilule létale ne vont pas la chercher et, parmi l’autre moitié, 30 % ne la prennent jamais.

Une exception d’euthanasie ne permettrait-elle pas de répondre à des situations complexes? On pourrait y voir un acte de compassion…

Intellectuellement, cela peut apparaître comme une solution satisfaisante d’autoriser l’euthanasie dans de rares cas, pour répondre à des situations complexes.
Mais comment coordonner cette autorisation exceptionnelle avec le respect du collectif ?
Au quotidien, dans nos services, cela sera difficile de répondre aux demandes des patients. Les soignants pourront-ils dire à des patients que leur mort est «trop ordinaire» pour ce droit ?
Même si c’est une décision collégiale, je ne me vois pas dire : «Vous avez raté la mort exceptionnelle.»
Le risque, c’est aussi que l’exception devienne la règle.
La loi actuelle envoie le message que ces personnes représentent quelque chose pour la société et qu’il est important de les accompagner. Pour les soignants confrontés à la maladie et à la mort, cela a du sens

Quel message enverrait une loi sur une aide active à mourir?

Le choix de légiférer sur l’euthanasie met en tension de grands principes éthiques: celui de la solidarité et celui de la liberté individuelle, de l’autonomie.
Une loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté pencherait davantage vers l’autonomie que vers la solidarité.
Ce serait une mesure ultralibérale. La prééminence de l’autonomie est lourde à porter et envoie un message très performatif.
L’euthanasie, c’est une loi pour les forts, ceux qui peuvent regarder la mort en face, ceux qui sont capables de la demander et d’en choisir l’heure. Ils sont peu nombreux.
En creux, la légalisation de l’euthanasie nous dit: «Tu es digne tant que tu es autonome. Quand tu es vieux ou fragile, la question de la mort doit se poser.»
À l’inverse, la loi actuelle envoie le message que ces personnes représentent quelque chose pour la société et qu’il est important de les accompagner.
Pour les soignants confrontés à la maladie et à la mort, cela a du sens. Quand on entre dans la chambre de patients mourants, abîmés, dans un état dégradé, avec une lourde charge d’émotion, nous sommes là au nom d’un choix collectif, d’une société qui dit que ces patients valent le coup. Comment faire si la loi envoie le message que chacun fait comme il veut et que cela ne nous regarde pas?

Sur le terrain, êtes-vous confrontée à des demandes d’euthanasie?

Personnellement, je n’ai été confrontée que trois fois en vingt-deux ans à des demandes d’euthanasie persistantes. À chaque fois, je me suis engagée avec ces patients dans un contrat, un pacte de non-abandon.
S’ils savent qu’on sera là quoi qu’il arrive, cela permet de leur expliquer qu’on ne peut pas faire ce geste. Jamais un patient ne me l’a reproché.
Et, à chaque fois, ce pacte a permis à ces patients de vivre de manière apaisée le temps qu’il leur restait. Ce qui se passe concrètement dans les chambres des hôpitaux et l’idée que l’on se fait de la mort sont deux choses différentes.
Souvent, nous prenons en charge des patients qui ont l’impression d’être en trop, qui ont le sentiment d’être une charge pour leur famille, qui disent qu’ils coûtent cher à la Sécurité sociale…
Je leur dis que notre mission est de les écouter, de les soigner et de les soulager. La question de l’euthanasie ne fait pas partie de notre quotidien.
Elle se pose de temps en temps, mais assez rarement. Quand ces demandes s’expriment, il faut les entendre. Cela suppose déjà tout un travail d’écoute du soignant pour que le patient puisse dire qu’il va mal. Souvent, ce sont des patients qui ont peur, qui ont mal, qui n’arrivent pas bien à respirer. Notre travail est alors de les soulager à tout prix, même si cela raccourcit la vie, comme le permet la loi actuelle.
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Hors ligne Eva Luna

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Merci Qiguan pour cette retranscription qui éclaire un peu mon questionnement sur ce sujet, il n'y a pas de réponse simple à cette question qui est plus complexe qu'on ne l'imagine.