Auteur Sujet: Deuil et travail  (Lu 4566 fois)

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Hors ligne Myrphije

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Deuil et travail
« le: 15 novembre 2016 à 19:03:17 »
Bonjour à tous,
Apres des mois à avoir refusé d'aborder ce sujet du deuil que je vis depuis le mois de février, je me décide à partager sur ce forum, et à demander des conseils d'endeuillés, comme moi. Car seules les personnes qui vivent cet état peuvent comprendre.
Mon mari est décédé le 21 février, à l'âge de 48 ans. Il est tombé malade un an auparavant, les médecins ont mis longtemps à diagnostiquer un angiosarcome. Les six derniers mois de sa vie, j'ai arrêté de travailler pour prendre soin de lui. Jamais nous n'avons imaginé qu'une telle issue serait possible. Nous étions tous les deux dans le combat contre cette maladie. Je l'ai accompagné à chaque hospitalisation, à chaque séance de chimio...
Il a été mon premier et seul amour. On s'est rencontrés au lycée, et avons vécu trente années de bonheur, avons une fille qui a 24 ans. Elle était hyper complice avec papa, elle était sa princesse.
Ce 21 février, au petit matin, il est parti, je lui tenais la main. Il était hospitalisé depuis deux jours, durant lesquels je suis restée avec. Là non plus, je ne pensais pas rentrer sans lui à la maison. C'est un tsunami qui a ravagé nos vies, la mienne, celle de notre fille.
J'ai repris le travail un mois et une semaine après ce jour maudit. Je suis journaliste, mon métier demande une grande concentration et une forte capacité d'adaptation. C'est précisément ce qui me plaisait... Avant. Aujourd'hui, malgré des collègues bienveillants, apres huit mois passés à faire bonne figure au bureau, à faire des efforts considérables pour comprendre ce que les gens me racontent lors de reportages, d'autres efforts à m'adapter à un planning totalement irrégulier alors que j'ai un terrible besoin de repères dans le temps... Je suis épuisée. Je rentre dans cette maison tellement vide et silencieuse le soir, et monte directement dans ma chambre pour passer ma soirée à pleurer. Je passe des nuits affreuses, je me réveille toutes les heures, et dès 5 h, je n'arrive plus à m'endormir...
La fatigue est là, la douleur, le manque, cette absence insupportable. Chaque jour est plus difficile que le précédent. Et je fais l'amer constat que le deuil n'est absolument pas connu et reconnu dans la société, dans le monde du travail. Vous êtes au boulot, vous faites ce pourquoi vous êtes payés, et les soucis personnels restent aux vestiaires. Je me sens fragile, mes capacités amoindries, mes compétences sont sur pause...  Coûte que coûte, il faut faire le job, rien n'est fait pour comprendre mon état, rien n'est aménagé pour que je passe ce "cap" plus sereinement. J'ai demandé à avoir un planning plus stable, rien n'a changé. J'ai demandé à rester au bureau pour faire de la mise en page, au lieu d'aller sur le terrain, rencontrer que gens que j'appréhende de rencontrer, rien n'a changé.
L'entreprise ne s'adapte pas, c'est au salarié de s'adapter. S'adapter à cette nouvelle vie qu'il subit, s'adapter à tous ces bouleversements tant physiques que psychologiques, et faire en sorte de faire son travail correctement, comme si rien ne lui était arrivé. Et sans se plaindre, si possible. On compatit les premiers jours, et ensuite, les collègues ne pensent plus à ce que vous vivez. Pour eux, rien ne changent. Pour eux, vous n'avez pas changé physiquement, rien dans votre apparence ne rappelle le deuil que vous vivez, rien n'est visible, donc tout va bien...
J'aimerais beaucoup lire vos témoignages, si vous vivez ou avez vécu les mêmes difficultés que moi, si vous avez trouvé des solutions...
Merci à vous.
« Modifié: 15 novembre 2016 à 19:10:38 par Myrphije »

Hors ligne qiguan

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Re : Deuil et travail
« Réponse #1 le: 15 novembre 2016 à 20:32:27 »
"il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé" A. Einstein
"Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque" René Char

Hors ligne *Ephémère*

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Re : Deuil et travail
« Réponse #2 le: 15 novembre 2016 à 20:39:18 »
Bonsoir,
Le monde professionnel n'est pas doux à notre chagrin.
Il faut penser à te préserver. Si les conditions dans lesquelles tu travailles sont trop difficiles, peut-être devrais-tu t'arrêter.
Je pense que ton médecin, si tu lui expliques ce que tu traverses, te prescrira un peu de repos.
Nous ne prenons pas assez soin de nous. Nous tenons, coûte que coûte, et les repères imposés par notre emploi nous permettent peut-être d'ailleurs de résister.
Mais nous devons aussi être doux avec nous-mêmes et  à l'écoute de ce corps si fort et si fragile à la fois.
Ceux qui n'ont pas traversé ce que nous affrontons jour après jour, ne peuvent imaginer la quantité d'énergie qu'il nous faut trouver pour seulement mettre un pas devant l'autre. Se lever le matin, reprendre la "vie active".
La vie active ...
Alors que nous avons tellement besoin parfois de descendre du manège, de se cacher dans un coin de la maison, blottie, sans sortir de tout le jour, et sans voir personne.
Du temps, pour pleurer sans honte, pour descendre jusqu'au fond de notre peine, avant de remonter et de reprendre la route.

Prends soin de toi, accepte de te donner du temps si tu en as besoin.
Que la nuit te soit douce et tranquille.

 
*Ephémère*

       Tu es là d ans ma peau comme un coup de couteau.

Hors ligne kompong speu

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Re : Deuil et travail
« Réponse #3 le: 15 novembre 2016 à 21:02:33 »
Bonsoir
J'ai un boulot a fortes responsabilités bcp de déplacements, et la médecine du travail m'a mis inapte pour la troisième fois , même si ça me semble parfois disproportionnée je sais au fond que depuis la mort de mon fils je suis incapable de travailler
Prend soin de toi avant tout le reste est futile , la société ne propose aucun aménagements pour le deuil et bien arrête toi par épisode si nécessaire
Mille pensées pour toi

Hors ligne Myrphije

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Re : Deuil et travail
« Réponse #4 le: 15 novembre 2016 à 21:30:06 »
Merci beaucoup pour vos réponses. Je viens  de découvrir qu'il y a beaucoup de témoignages sur ce thème, que je n'avais pas vus avant de poster mon message. Effectivement, il est difficile de concilier travail et deuil. On se sent tellement absent, loin de tout ca, alors qu'il faut se donner à 200%.
À ma reprise, j'ai passé la visite médicale de la medecine du travail. J'ai trouvé l'attitude de la toubib tellement déplacée. Ça faisait un mois et une semaine que mon mari était parti, et elle me demande si je pleure tous les jours. Je n'ai,même pas pu lui répondre. Elle a bien vu que j'étais totalement effondrée, mais elle a considéré que j'étais apte.
Merci encore à vous de partager vos émotions, vos vécus...

Hors ligne Nora

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Re : Deuil et travail
« Réponse #5 le: 15 novembre 2016 à 22:08:02 »
Bonsoir,

Lorsque la maladie de mon mari a été décelée je venais d'obtenir un nouveau poste  par promotion ( je suis fonctionnaire ), à 120 km de chez moi. J'avais 1H30 à 2H de route matin et soir.
La maladie a évolué très vite, et j'ai presque aussitôt arrêté de travailler. Il est décédé 5 mois plus tard.

J'ai repris le travail 2 mois après le décès, dans un environnement presque inconnu, pas vraiment hostile, mais pas  très chaleureux. Et surtout je devais faire mes preuves dans ces nouvelles fonctions.

J'étais épuisée, ravagée par le chagrin, plus aucune concentration, et l'accompagnement puis le décès m'avaient complètement " lavé " le cerveau, je ne savais plus rien faire, je ne comprenais plus rien.

 J'ai donc passé beaucoup de temps complètement tétanisée et apeurée  de ne plus pouvoir travailler, en plus du chagrin, enfermée dans mon bureau ou dans les toilettes, souvent à pleurer.
Les trajets en voiture devenaient dangereux, à cause de  ma fatigue et du manque de concentration.

J'ai réussi à me rapprocher un peu de mon domicile ( 70 KM ...) 4 mois plus tard, ce qui était plus confortable.

Mais surtout j'ai retrouvé un environnement familier, des personnes bienveillantes, que je connaissais et appréciais, et, même si je n'étais toujours pas en pleine possession de mes moyens, tout a changé  : j'ai pu expliquer mes difficultés, demander de l'aide.
J'ai été comprise et épaulée, et petit à petit j'ai repris confiance en moi, je me suis prouvé que j'étais à nouveau capable de travailler, d'avoir des responsabilités. Cela m'a motivée, et même si je suis toujours très fatiguée je ne ressens pas le besoin de m'arrêter, je suis contente d'aller travailler, et j'ai ( presque ) retrouvé toutes mes facultés.

Si je n'avais pas obtenu cette mutation j'aurais arrêté de travailler, en prenant une disponibilité ou un congé formation ( tout le monde y a droit ...). Je n'aurais pas été capable de poursuivre dans ces conditions. A " travail " égal, l'environnement est primordial, ainsi que l'écoute et la prise en compte de notre état.

Mon témoignage ne t'apportera pas de solution, mais simplement :

Fais ce qu'il te semble être le mieux, et surtout, surtout,  prends soin de toi.
L'important c'est toi.

Amitiés.

Nora