Salut à vous.
Belle réflexion, Qiguan, respects, je reconnais bien ta grande perceptibilité à lever les lièvres qui font bobo! Tu as sacrément raison d'activer ce questionnement, sans le moindre conteste de ma part, c'est un épineux qu'il faut saisir, indéniablement.
Hier, en discutant avec une ex-collègue, psychologue clinicienne et psychanalyste toujours en activité contrairement à moi, retraité, j'ai pas mal échangé sur les épineux, justement. J'avais besoin de réactualiser mes "compétences" pour agir d'une place de bénévole face à ce gros morceau qui nous arrive sur la tronche, toutes les "ressources" devant être utilisées au service du bien commun, à mon avis, il n'y a pas à hésiter, il faut juste trouver la bonne façon éthique, responsable et respectueuse d'un "primum non nocere" pas mal malmené par bien des soignants de tous bords..Je n'ai pas toujours été aussi vigilant, et la mort de ma fille a certainement aiguisé cette vigilance à son maximum....Sujet différent mais bien connexe de cet épineux que tu mets en relief, je trouve.
Donc, avec mon ex-collègue, nous en sommes arrivés à échanger sur l'acharnement thérapeutique, en cascade d'autres sujets plus axés sur ce qui nous arrive en pleine poire. ça va décompenser sévère, à mon avis, et autant s'y préparer au mieux.
Pendant pas mal d'années, j'ai eu une position assez tranchée sur l 'acharnement thérapeutique. Un "non!" assez rigide, en fait. J'ai, comme mon ex- collègue et amie, assoupli cette rigidité tranchée.
Il me semble que bien des postures soignantes, agissant sur ce fil de rasoir de la limite, s'inscrivent dans des objectifs inconscients qui, à défaut d'être premiers, sont très certainement à écouter avec la plus grande attention.
Bien évidemment, "on ne va pas psychanalyser" un mourant. Pardonnez moi si je coupe un peu le virage dans ma formulation, sujet libre de nous-mêmes avant tout nous sommes, même mourants, bien évidemment.
Moi, j'aime bien faire un "va et vient" entre la pratique clinique et le ressenti de mon vécu. Je trouve ça sain. "Ne faites pas à autrui ce que vous n'aimeriez pas qu'on vous fasse" le résume assez bien.
Mon père est mort à la date anniversaire de ma fille, 11 mois après elle. Admettez qu'il y a un symbolique plus que puissant dans la volonté de mon père de mourir à cette date.
Je l'ai accompagné jusqu'au 5 juin, et vers 9heures du soir, épuisé, je suis allé me coucher. Eh bien, il est mort, seul, le lendemain, à 2 h du matin, un 6 juin, la date qu'il voulait viser. Son ultime cadeau de père, qui du fait de son corps et cerveau ravagés par une DSTA depuis 2 années ne lui avait pas permis de m'entourer de son affection quand le décès de ma fille m'a terrassé. Veillant à le protéger de cette nouvelle qui n'aurait, à mes yeux, fait qu'alourdir son propre cheminement si douloureux, j'ai mis 2 mois à pouvoir retourner le voir sans m'effondrer en larmes devant lui. Mais, n'ayant pu, lors de ma phase de sidération, aller à son chevet pendant ces 2 mois, alors que je le voyais quotidiennement avant, il a bien "senti" que quelque chose ne collait pas, aussi affectées que soit déjà ses capacités cognitives.
Quand je l'ai vu, mort sur son lit, au matin du 6 juin, 8 mois après, "lisant" dans ses yeux, 2 sensations m'ont immédiatement imprégnées :
la première fut la perplexité. Papa était perplexe. Cette question m'a longuement hantée. Perplexe de quoi?
Ce n'est qu'avec le recul du temps que j'arrive à nommer le train caché derrière ce premier train de perplexité.
Il y avait de la fierté. La fierté d'y être arrivé, tenant le coup à l'aide de multiples médocs, qui sans cette aide l'aurait très certainement amené à mourir au moins 2 mois avant. Donc, un peu bêtement, je me dis que "Grand Inconscient" sait parfaitement utilisé ce dont on a besoin pour accomplir l'essentiel de notre destin, acharnement thérapeutique y compris, si besoin est. "'L'objectif" inconscient de Papa était prioritaire à tout autre chose : mourir le 6 juin, et tenir le coup jusqu'à cette date, par tous les moyens à sa disposition, alors qu'il souffrait le martyr de devoir encore vivre, même au prix d'un état terriblement dégradant pour la noblesse de l'homme qu'il fut.
Quant à la solitude de sa mort, le matin même, une aide-soignante, pétrie d'humanité, m'a dit dans le couloir, me sentant culpabilisé de n'avoir pu être auprès de mon père à son chevet au moment de son dernier soupir : "vous savez, monsieur, nombre de nos résident(e)s souhaitent mourir seul(e)s". Qu'est-ce que cette femme m'a fait du bien et soulagé de cette culpabilité immédiate. Oui, mon père a voulu mourir seul, et l e plus important, pour lui, dans son immense sens de bonté paternelle, était, non que je sois à ses côtés, mais d'arriver à m'offrir cet ultime don de son décès, marquant toute sa compréhension, son amour de père pour son fils unique qu'il ne put aider autrement.
Alors, oui; l'hyper-complexe de la fin de vie ouvre bien des questions. Depuis, je suis bien plus compréhensif de la difficulté des médecins face à cet épineux à multiples épines. Mon ressenti me porte à assouplir mes anciennes rigidités sur ce sujet intégrant le grand questionnement de l'acharnement thérapeutique , puisque, sujet, Sujet, devrai-je écrire avec un S majuscule, justement, le Sujet est toujours le mieux placé pour décider de ce qui est bon pour lui, et nous, soignants, accompagnants, aussi vigilants soit-on, ne pouvons penser à la place de quiconque, mourants soit-ils (elles).
J'espère que ma réflexion contribue à la vôtre.
Merci, Qiguan, d'avoir ouvert ce sujet.
Pascal.