Certains penseront que c’est de l’exhibitionnisme.
Peut-être.
Mais si les mots, les phrases, l’expression de mes sentiments dont je vais faire état plus loin peuvent aider ne serait ce qu’une seule personne…
Voici ce que j’ai écrit le 13 août 2010. Pierre est parti le 22 juillet.
« 13 août 2010
Cela fait 22 jours qu’il est parti. C’était jeudi 22 juillet 2010. Un jour ordinaire pour beaucoup, heureux pour certains, magnifique pour d’autres et apocalyptique pour moi.
On dit que le temps est un allié, que peu à peu la douleur se calme, que les crises de larmes s’espacent et les yeux finissent par s’assécher doucement et que de nouvelles habitudes se prennent, sans lui.
22 jours se sont écoulés. Une éternité. Un grand vide. Un trou sidéral. Une absence plus insupportable à chaque nouvelle minute, chaque seconde qui s’écoule. Je savais que cela serait invivable, mais pas à ce point. Je savais depuis au moins 10 jours que nous en arriverions là, je voulais m’y préparer. Mais on ne peut pas accepter, se préparer à la mort de celui que l’on aime plus que tout. On ne peut pas.
Lorsque la maladie s’est déclarée et que j’ai su, je me suis dit que je l’aimais tant qu’à l’instant où il cesserait de respirer, je manquerais aussi d’oxygène et là, sur son corps encore chaud, je n’aurais qu’à m’allonger pour que nous ne fassions qu’un dans la mort comme nous ne faisions qu’un dans la vie. Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard. C’est stupide mais cette idée m’a portée au fil des mois, je voulais y croire quand je voyais son état général se dégrader, sa pâleur grise sur son teint plutôt bronzé, ses poches sous ses yeux si pétillants, avant, son éclatant sourire de plus en plus rare, la maigreur qui se glisse partout pour faire de ce corps puissant et si rassurant un pauvre corps souffrant, ces épaules sur lesquelles je m’appuyais, soudain tombantes comme le premier signe du renoncement. Je faisais tellement semblant d’y croire, que j’y croyais.
Au pire je me disais que si je m’obstinais à respirer encore après son départ, j’aiderais la nature avec quelques comprimés, que je thésaurisais, minutieusement, sans m’avouer vraiment pourquoi.
Mais non.
Au pied de ce lit d’hôpital, en fixant désespérément ce drap blanc posé sur sa poitrine pour y détecter l’ombre d’un mouvement, malgré l’affirmation – et la délicate tentative de réconfort - des infirmières, là, j’ai continué de respirer, au rythme de mes sanglots, de façon saccadée, en hurlant silencieusement, en suppliant que le prochain sanglot me libère de la vie.
Mais non.
Je ne me suis même pas évanouie, je ne me suis pas ratatinée par terre pour me replier sur moi et tenter de disparaitre dans le sol. Je me suis rassasiée de son image en cherchant un peu de réconfort dans son visage enfin serein et calme après une nuit si agitée à batailler contre des démons dont je ne pouvais même pas le libérer. Je me suis repue de chaque grain de sa peau, chaque ridule, chaque cheveu, chaque détail de ce que je connaissais par cœur en me disant obsessionnellement que c’était la dernière fois, la dernière fois, la dernière fois.
Je lui ai dit combien je l’aimais, combien j’avais été heureuse avec lui, combien ce départ me révoltait tant il était injuste, comme il était beau.
Je l’ai supplié de m’emmener avec lui ou de me donner la force de continuer sans lui, si c’était vraiment obligatoire ou celle de faire ce que j’avais prévu de faire, ou encore la force de lui survivre et d’accomplir ce que je devais accomplir. Ma mission, si tant est que j’en ai une.
Mais rien, pas un signe pour me dicter la voie à prendre.
Il avait tellement eu à faire pour supporter ces propres combats avec un courage admirable, avec une foi qui me fait penser qu’il voulait me protéger. Maintenant, il avait bien le droit de se reposer enfin, à moi de me prendre en charge, seule, soudain seule, si seule.
C’est si dur, si difficile, si insupportable.
Mais lui, l’avait fait, passer les jours, les heures, les minutes presque normalement, en taisant ou minimisant ses souffrances physiques et morales, en disant s’habituer aux premières, en repoussant à plus tard les secondes. Je me dois de montrer le même courage que lui.
Mais c’est si dur, si difficile, si insupportable.
Maintenant, il est en paix, je n’ai plus à craindre pour lui, je n’ai plus à souffrir pour lui. Il n’a plus besoin de moi. Maintenant, je dois gérer mon chagrin.
C’est peu dire et pourtant c’est si banal de dire que ma vie a basculée ce 22 juillet à 6 :50. Tant de gens ont vécu, vivent et vivront de telle perte, voire pire encore. Ma souffrance à moi, est comme celle des autres. Inimaginable, intolérable. Mais c’est la mienne, celle qui me détruit, celle qui me bouffe, celle que je cherche à contrôler, où encore celle que je laisse exploser en pleurant jusqu’à ce que mes yeux ne voient plus rien, où en m’attaquant à une tâche épuisante afin que les larmes s’échappent par tous les pores de mon corps.
Parfois, je me dis que je vais y arriver, survivre, continuer à avancer… vers quoi ? Et c’est là le problème. Vers quoi ? Car sans lui, rien ne m’intéresse, rien ne me motive, aucun projet, aucune envie, même le soleil qui se lève en ce mois d’août me semble plat. Plus d’émerveillement devant une fleur, un paysage, un oiseau. Plus de goût à la nourriture même si mon corps la réclame avec indécence. J’avance. Un pied devant l’autre automatiquement en refusant de voir au-delà de demain qui est déjà si pénible à atteindre.
Qui, me parle de méditation orientale ou de yoga, pour trouver la sérénité, qui, me pousse à partir en voyage, à trouver le moyen de me vider le cœur et l’esprit en chantant dans une chorale, ou en m’occupant de plus malheureux que moi, qui, me dit que je dois très vite me débarrasser de ses affaires, d’autres d’attendre que j’ai fait « mon deuil ». Mon médecin me donne des anxiolytiques et des somnifères.
En réalité, la solution est en moi, je le sais.
14 août 2010
Je suis tellement perdue sans lui, je me sens tellement vulnérable, tellement seule malgré ma famille aimante et présente autour de moi, avec moi, malgré les amis qui se manifestent souvent, même trois semaines après. Je suis un bateau à la dérive, sans ancrage, sans port d’attache, sans carte et sans matériel de navigation, sur une mer parfois calme et parfois déchainée. Et je me laisse porter sans réagir vraiment. Un pantin
On dit qu’il faut parler, parler et encore parler, ne rien garder pour soi, extérioriser, communiquer, pleurer. Je fais tout cela, sans pudeur et sans avoir besoin de me forcer et parce que j’ai la chance d’avoir avec ma sœur une écoute attentive et une présence virile et efficace avec mon beau-frère et mon frère. Cette tendresse permanente m’enrobe la plus part du temps d’un cocon de protection qui semble me protéger des agressions du quotidien comme par exemple, SA brosse à dents sur le lavabo, SES vieilles tatanes de jardin délicatement ôtées de ma vue et mille autres choses. Mais souvent, le cocon se fendille et la vrille de la douleur pénètre jusqu’à mon cœur et me fait exploser de chagrin. Jusqu’à mon cœur ? Non jusqu’à mon corps entier, mes jambes qui se secouent nerveusement, mes mains qui se tordent, mon estomac qui se noue, mes poumons qui rétrécissent, ma respiration qui se bloque, ma vue qui se trouble, ma gorge qui se noue, ma voix qui annone. Et mes ongles que je ronge jusqu’au sang.
15 août 2010
Chaque jour est plus difficile, l’absence est plus lourde, le manque plus douloureux. Ce n’est même plus une question de réflexion, c’est simplement le quotidien, chaque heure, chaque minute, chaque seconde est une souffrance, inconsciente parfois mais si lourde à porter, si présente, un poids énorme qui pèse sur mes épaules, ses 80 kilos, probablement le poids qu’il pesait le jour de son départ, ce poids je le traine, je le supporte chaque jour, chaque heure, chaque minute. Un regard sur un objet à lui, une habitude « d’avant » que j’applique ou que je transgresse, je me dis Pierre va râler, où Pierre a fait cela, où je dois faire cela comme Pierre le souhaite, le veut, le fait. Chaque pensée est une souffrance.
Je tente de contrôler, cela a toujours été mon obsession, contrôler le stress, contrôler l’angoisse, contrôler le trac… Jusqu’ici, j’avais pu le faire, je me disais que tout était une question de contrôle, mais là, non. Je ne contrôle rien, j’ai beau tenter de repousser les pensées qui me font mal, elles reviennent lancinantes, obsédantes, envahissantes et la poitrine qui se resserre brusquement et le souffle qui manque à la simple vue d’un livre, d’un flacon d’eau de Cologne ou d’un cure dents. Et les larmes qui montent. »
Et voici ce que j’ai écrit, hier 17 mois plus tard.
« Samedi 14 janvier 2012
Réveil en hiver.
Il aura fallu attendre cette mi-janvier pour voire apparaître un jardin blanc de givre, figé par le froid, en ouvrant les volets.
-3° à 9 :00. Que fut la nuit ?
Par chance, il fait soleil, c’est magnifique. Un grand silence rend ce décor encore plus féerique, les oiseaux, sans doute surpris, comme nous, par cet hiver que nous n’attendions plus, sont restés « au lit », calfeutrés les uns contre les autres dans quelques buissons à feuilles persistantes.
Les chats « internes » sont curieux de cette étrange atmosphère, envie d’aller tâter la température, mais prudents, ils restent à regarder avec mélancolie par les carreaux, voire pour les plus téméraires, la tête hors de la chatière et le cul dans la maison !
Les « externes » se font discrets, marchant sur la pointe des pattes jusqu’au « bar à croquettes » que je maintiens toujours plein. Je leur ai aussi aménagé, comme nous le faisions ensemble des petits coins douillets dans des cartons, avec couvertures et bâches de protection.
Je suis toujours en haut de la vague, ou plutôt, dans une eau calme et tiède, un peu comme un fœtus dans le ventre de sa mère. Pas de larmes, pas trop de manque et pourtant, vous, mon doux Amour, sans cesse, là.
Oserais-je avouer que j’ai l’impression de m’habituer, que le manque se transforme en souvenirs. Enfin, je ne sais pas vraiment comment l’exprimer mais, en ce moment, je ressens un changement intérieur, comme si … j’acceptais, enfin.
Est-ce possible d’accepter ?
Est-ce encore un leurre ?
Vais-je tomber de plus haut encore, si possible ?
Est-ce acceptable d’accepter ?
En revanche l’avenir me fait toujours très peur sans vous. Je n’ai pas la sensation de reprendre ma route sans vous, je n’ai pas bougé depuis votre départ, pas avancé d’un centimètre, mais je ressens plutôt, comment dire, une certaine paix à l’instant immédiat, mais toujours une grande incapacité à voir au-delà de l’immédiat.
Un peu de calme, enfin.
Soudain, mon regard se porte sur ma main gauche, les ongles sont rongés, mais ce qui attire mon regard, c’est mon alliance, anneau d’argent, assez fin. Je ne porte plus guère de bijoux, cela me parait presque… indécent. Je ne me l’explique pas. Seule mon alliance compte. Uniquement elle. Et la votre que je porte au cou. Mon alliance à moi, c’est un bijou magnifique. Le plus beau pour moi. Il est le symbole de tout. Mon Amour pour vous et le votre pour moi. Notre engagement qui n’en fut pas un tant il était facile de croire que nous n’aurions pas à souffrir de cette union.
Un jour, je vous raconterais notre mariage, vu avec mes yeux, le plus beau jour de ma vie.
Je vous le dois.
Stop. Larmes en vue.
Je ne vais pas tout gâcher ! »
Je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Je voulais seulement montrer à ceux qui sont « perdus » que oui, le temps adoucit le chagrin, même si les sentiments restent les mêmes, même si l’absence reste cruelle.
Marina