Auteur Sujet: un jésuite témoigne  (Lu 3960 fois)

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un jésuite témoigne
« le: 07 janvier 2023 à 23:03:44 »
Godehard Brüntrup est un homme très occupé. Peu avant Pâques, il s'envolera pour les États-Unis, pour un congrès consacré au thème de sa vie : depuis qu'il en a lui-même vécu une, ce théologien, prêtre et philosophe catholique se consacre à la recherche sur les expériences de mort imminente. C'est par vidéoconférence que nous nous sommes entretenus avec Godehard Brüntrup, qui nous a reçus au sein du Collège des Jésuites de Munich.

DIE WELT : Professeur Brüntrup, vous aviez une vingtaine d'années lorsqu'après une défaillance cardiovasculaire, vous avez vécu ce que l'on appelle une expérience de mort imminente. Qu'avez-vous ressenti ?

Godehard Brüntrup : Une expérience de mort imminente commence par la sensation qu'on est en train de mourir et la peur qui l'accompagne. On a ensuite l'impression d'avoir succombé : la peur fait place à un grand calme intérieur et à une sérénité qui dépassent tout ce que l'on a connu jusque-là dans sa vie en termes de calme et de clarté spirituels, même en méditation. Cette clarté favorise une rétrospection dans laquelle on remet radicalement en question sa propre vie : à quel moment ai-je aimé ? À quel moment ai-je blessé ? Cette rétrospection est si détaillée, avec des événements remontant à la plus tendre enfance, que l'on n'arrive même pas à s'imaginer où ces souvenirs auraient pu être stockés. S'ensuit enfin une expérience de passage : à travers un tunnel menant vers un autre monde, dans lequel se trouvent également d'autres êtres familiers. On est alors assailli d'un amour immense, un sentiment qui va presque jusqu'à la dissolution de soi : on est certes toujours là, mais l'amour que l'on reçoit est tout simplement bouleversant.

À quoi ressemblaient ces êtres familiers ?

Je n'ai pas, comme c'est le cas pour certains, reconnu certaines personnes. Je n'ai pas non plus eu de longues conversations. C'est pourtant l'un des phénomènes associés aux expériences de mort imminente : les gens rencontrent toujours des personnes décédées, uniquement des personnes décédées. Pas de personnes vivantes. Le mécanisme cérébral qui opère ce tri est difficilement explicable. Certains ont même rencontré des personnes décédées dont ils ne savaient même pas qu'elles étaient mortes au moment de leur expérience de mort imminente.

Personnellement, voilà ce qui s'est passé pour moi : après le passage dans l'autre réalité, je savais que je n'étais pas seul, ce qui m'a d'abord un peu perturbé. Ensuite, j'ai ressenti un sentiment positif à mon égard. Mais ce n'était pas vraiment d'ordre spatial ou figuratif. C'était plutôt comme des champs d'énergie qui venaient de telle ou telle direction. Des champs lumineux, énergétiques — c'est difficile à décrire sans paraître ridicule. Mais cela n'a pas duré longtemps. Enfin, il y a eu ce sentiment d'amour absolu, que je qualifierais d'expérience mystique.

Vous voulez dire que vous avez rencontré Dieu ?

Je n'arrive pas l'expliquer autrement. Pour moi, c'était une expérience divine. Bien sûr, il existe également une autre tentative d'explication : si près de la mort, le cerveau joue un tour aux gens, il leur offre une dernière histoire du soir. Mais cette expérience est si intense que cette idée de tour joué par le cerveau me semble difficile à croire. Le fait que nous puissions ressentir que notre conjoint nous aime grâce à notre cerveau ne veut pas dire que l'amour peut être expliqué par les sciences naturelles, que l'amour est une molécule. De même, le fait que nous ayons besoin d'un cerveau pour reconnaître Dieu ne prouve pas nécessairement que notre cerveau a créé Dieu. En fin de compte, toutes les expériences humaines peuvent être considérées comme des jongleries de notre cerveau, y compris l'univers quotidien qui nous entoure. Or, mon univers quotidien me semble moins sûr que ce que j'ai ressenti à ce moment-là.

À quelle fréquence y pensez-vous ? Tous les jours ?

Au début, j'y pensais surtout en présence de certains déclencheurs : le passage d'une ambulance, par exemple. Ou au moment de m'endormir. C'est toujours une sorte de petite mort. Notre conscience nous abandonne. Je m'en suis souvenu dans ces moments-là, et ça a tout de suite eu une connotation positive pour moi. En m'endormant, je me suis dit : « Oui, tant mieux, je vais bien mourir un jour. » Et ça m'a plu. Aujourd'hui, je dirais que ça a été l'expérience la plus importante de ma vie. Il y a la vie avant et la vie après.

Vos frères jésuites ont-ils pris votre expérience au sérieux ?

Eh bien, je suis métaphysicien, une profession qui n'est de toute façon pas particulièrement prise au sérieux au sein d'un ordre religieux... Plus sérieusement : pendant longtemps, je n'ai pas du tout parlé de ce que j'avais vécu. Je ne pouvais pas le faire. Il m'a fallu environ cinq ans pour me sortir de cette réalité et me replonger dans la réalité normale. Avant, même si j'allais bien en apparence, j'avais toujours l'impression d'être dans le mauvais film.

Cette expérience a-t-elle eu un impact sur votre vocation religieuse ?

À ce moment-là, j'avais déjà rejoint les jésuites et je voulais devenir prêtre. Mais pendant les deux années qui ont précédé l'expérience, j'ai traversé une période difficile. J'hésitais. Cette expérience de mort imminente a mis un terme à ces doutes intérieurs, dans la mesure où je n'étais plus du tout attiré par une existence professionnelle où il s'agissait simplement de gagner de l'argent. Pour moi, il était devenu évident que je devais consacrer l'ensemble de mon existence à la question de Dieu.

Avez-vous vécu quelque chose que vous qualifieriez de spécifiquement chrétien lors de cette expérience ?

Bon nombre des personnes ayant vécu une expérience de mort imminente ont compris que l'amour était la réalité la plus profonde et la plus significative qui soit. C'est bien sûr aussi la vision du christianisme. Le plus réel de tout, c'est l'amour. De nombreuses personnes ayant frôlé la mort disent aussi que le plus important, après une expérience de mort imminente, c'est de consacrer sa vie à la recherche de la sagesse. Donc de ne pas courir après le pouvoir, l'argent, l'influence, la beauté, la santé. Il y a deux choses importantes dans la vie : d'une part, aimer et être aimé, et d'autre part, la recherche de la sagesse.

Avez-vous vécu d'autres expériences mystiques depuis ?

Maintenant, vous me questionnez comme un psychiatre... Non, je n'ai plus vécu d'expériences de ce genre. Et ce n'est plus nécessaire non plus. L'expérience de mort imminente, c'est comme le big-bang. On peut entendre le big-bang à tout moment avec un radiotélescope puissant : il continue à résonner dans l'univers. Il en va de même pour l'expérience de mort imminente. Il suffit de s'asseoir au calme et de fermer les yeux pour revivre l'expérience.

Ce que vous avez vu est-il pour vous la preuve que l'au-delà existe ?

C'est une vision spiritualiste qui n'a pas de sens à mes yeux. L'expérience de mort imminente reste une expérience faite dans ce monde. Ceux qui l'ont vécue n'étaient pas morts. Cependant, elle soulève quelques questions d'ordre philosophique et scientifique : dans une situation où, selon les connaissances standard, le cerveau ne devrait plus être en mesure d'accomplir des performances aussi élevées, la personne concernée perçoit encore beaucoup de son environnement. Ainsi, si l'on en croit un cas célèbre, une personne victime d'un arrêt cardiaque a pu voir tout ce qui se passait dans la pièce, depuis la perspective d'un oiseau, jusqu'à trois minutes après son décès. De telles choses ébranlent notre conception matérialiste du monde, mais cela ne prouve évidemment pas que ces choses sont d'origine surnaturelle. Peut-être que notre vision de la manière dont notre cerveau génère notre conscience doit tout simplement être radicalement réformée, ce qui nous fournira alors une explication pour les expériences de mort imminente également.

Mais vous-même, en tant que personne religieuse, n'avez pas été conforté dans votre foi ?

J'ai vu que la mort était très différente de ce que nous imaginons. On pense qu'en mourant, notre lumière intérieure s'éteint. Que quelqu'un baisse lentement le variateur. C'est tout le contraire qui se produit : la lumière s'allume et brille plus intensément que jamais ! Mais pour moi, cela ne veut pas nécessairement dire que je vais, par exemple, vivre éternellement ou quelque chose comme ça. Mon expérience n'exclut pas que tout finisse par s'assombrir par la suite. D'un point de vue théologique, on peut donc dire : « Cet amour infini que tu as ressenti ne te laissera jamais tomber. » Ma confiance personnelle en cet amour infini s'est bien sûr accrue, mais je n'ai pas de certitude définitive. Je ne peux pas dire que je n'ai plus besoin d'espérer, mais mon espoir ne doit plus être aussi radical, car j'ai déjà eu droit à un petit avant-goût.
Le Figaro
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